Les répondants redoutent «l’effet Walmart» en raison notamment de l’abolition éventuelle des commissions intégrées. «Cela se répercutera sur la relève, dit l’un d’eux. Le recrutement sera difficile et encore une fois, ce sont les gros qui s’accapareront le marché, comme Walmart a tué les petits commerçants.»
Deux grandes vagues frappent de plein fouet les firmes de plus petite taille depuis quelques années : les investissements nécessaires pour s’adapter aux technologies mobiles et les ressources mobilisées pour répondre aux nombreuses exigences de la règlementation.
Dans ce contexte, quel est l’avenir pour les petits acteurs ? Certains répondants au sondage voient poindre une nouvelle vague de consolidation dans l’industrie, qui suit celle amorcée au début des années 2000.
«Les courtiers plus importants pourraient y voir la possibilité d’acquérir certaines firmes plus petites qui n’arriveraient pas à intégrer tous les changements proposés tout en maintenant un certain niveau de rentabilité», dit un autre répondant.
François Bruneau, vice-président, administration et investissement, chez Groupe Cloutier, prévoit plutôt des retraites anticipées et moins de relève. «Au Québec, ce qu’il y avait à consolider l’a pas mal été dans les dernière années», dit-il.
Dans un mémoire du Groupe Cloutier déposé dans le cadre de la consultation des autorités règlementaires sur la norme fiduciaire (33-404), on précisait que depuis l’instauration du règlement 31-103 en 2009, le nombre de courtiers membres de l’Association canadienne des courtiers en fonds mutuels (ACCFM) est passé de 145 à 103, soit une baisse de 30 % en six ans.
François Bruneau ajoute que lors de sa dernière rencontre avec des membres de l’industrie, l’Autorité des marchés financiers (AMF) s’est dit consciente des impacts que les changements pourraient avoir sur les indépendants. Il souligne que, parmi les 37 % des ménages canadiens qui détiennent un fonds d’investissement, environ 13 % ont souscrit leurs produits auprès d’un indépendant, selon l’étude «Canadian Financial Monitoring» d’IPSOS.
«Nous n’avons déjà pas beaucoup de place et là, la règlementation nous frappe de plein fouet. C’est inquiétant, mais au moins, les régulateurs sont ouverts à mieux connaître notre réalité», s’encourage François Bruneau.
L’AMF se défend bien de vouloir nuire aux petits indépendants. «Les petits courtiers et les petites institutions sont touchées, et l’objectif n’est pas de les rayer de la carte ou de donner un poids disproportionné à un secteur et à de grands acteurs au détriment des autres. Il faut une certaine équité dans le système. Les participants vont devoir trouver leur niche», dit Gilles Leclerc, surintendant des marchés de valeurs à l’AMF.
Certains pourraient même y voir des occasions d’affaires, selon lui. «Il y a des industries qui réalisent que certains changements règlementaires leur ont permis de mieux anticiper les changements d’affaires et de mieux s’y adapter», dit Gilles Leclerc.
C’est le cas notamment chez Assante, où Éric Lauzon, vice-président régional, développement des affaires dans l’Est du Canada, affirme profiter de ces changements pour diversifier l’offre de ce réseau qui compte quelque 700 à 800 conseillers au Canada. Il mentionne que 60 % des actifs gérés par ces derniers le sont déjà avec un mode de rémunération à honoraires.
Temps d’arrêt, svp
Toutefois, il reconnait que pour les conseillers ou les firmes dont une bonne proportion des revenus proviennent encore des commissions, les contrecoups d’une abolition de ce type de rémunération seront difficile à encaisser. «En même temps, on demande à la firme d’investir dans les technologies comme jamais, alors que ses coûts augmentent et que ses revenus diminuent. Est-ce que les petites firmes auront de la misère ? C’est sûr», dit Éric Lauzon.
Les répondants au sondage ont d’ailleurs fait quelques suggestions à l’intention des régulateurs. L’un d’eux suggère, par exemple, d’accorder une période de transition de trois ans pour permettre aux petites firmes de passer des commissions aux honoraires.
D’autres prônent un temps d’arrêt pour permettre à l’industrie de souffler un peu. «Depuis quelques années, il y a une surcharge en matière de réglementation ; c’est beaucoup pour les firmes et leurs représentants. Même pour la clientèle ce n’est pas évident», estime un répondant sondé.
Recrutement difficile
Les autorités sont trop éloignées de la réalité du terrain dans l’industrie, martèle Daniel Bissonnette, cofondateur de Planifax. «Ces projets de loi sont écrits par des fonctionnaires qui n’ont jamais rencontré un client de leur vie !», dit-il, furieux.
S’il ne s’inquiète pas pour sa firme, qui est passé en 2015 dans le giron d’Investia, une filiale d’iA Groupe financier, il craint que le recrutement de jeunes conseillers soit difficile dans l’industrie. «Si tu n’as pas un book de 25 M$ minimum en partant, tu pourras pas te faire une paie, parce que ça coûte une fortune de lancer sa pratique», dit-il.
Éric Lauzon, lui, refuse de lancer la pierre aux régulateurs. «Leur mission est de protéger le consommateur et avec le vieillissement des baby-boomers, ils [les régulateurs] sentent que la clientèle est plus vulnérable, note-t-il. Est-ce qu’il sont plus nerveux ? Potentiellement. Est-ce qu’on paie tous un peu pour les abus de l’industrie dans le passé ? Peut-être.»
Il ne croit pas qu’il faudrait des règles différentes pour les petites firmes. Du temps pour s’adapter ? Pourquoi pas, mais pas de règles différentes. «Le fait d’être petit n’est pas un passe-droit. Pendant des années, les indépendants se sont plaints que les banques n’avaient pas à dévoiler leur rémunération. Là, elles le font depuis janvier et les clients sont conscient qu’elles étaient payées comme les indépendants, alors c’est bon pour eux.»
Pour François Bruneau, une extension des délais serait l’équivalent d’un grand pelletage en avant. «Qu’on donne trois ans ou pas, une fois le délai de transition terminé, le problème pour la relève sera le même. La pente sera très abrupte pour un jeune qui veut se lancer comme indépendant», dit-il.
Groupe Cloutier oeuvre depuis 40 ans dans l’industrie et a su se diversifier avec le temps. «On fait de l’hypothèque, des fonds communs, des fonds distincts… on va survivre parce qu’on peut partager les coûts entre plusieurs divisions, mais les conseillers qui avaient leur permis de fonds communs et qui en tiraient un salaire vont vendre leur bloc et se concentrer sur l’assurance ou sur autre chose», dit-il, ajoutant que plusieurs pourraient aussi prendre une retraite anticipée.
Il reste que les petites firmes ont une certaine importance dans l’industrie. «Le Mouvement Desjardins estime que les petites firmes de courtage doivent évoluer dans un environnement qui leur permet de se développer et de contribuer à une offre concurrentielle en valeurs mobilières», indique l’institution financière.