En janvier 2016, à 50 ans, il a fusionné sa pratique avec celle de Sébastien Vallez, un conseiller de 39 ans qu’il avait lui-même recruté une dizaine d’années auparavant. «Le plus important est de trouver quelqu’un qui a les mêmes valeurs que soi», dit-il.
À eux deux, ils servent maintenant plus de 250 familles et gèrent un actif de 100 M$. Mais d’ici cinq ans, Sébastien prendra la gestion du bureau et Jean Paquin lui confiera les comptes de ses plus jeunes clients, pour se concentrer sur ses clients de longue date. Il compte prendre sa retraite à 65 ans.
Son fils Louis-Philippe se joindra à l’équipe dès qu’il aura terminé son baccalauréat en comptabilité. «Mes clients sont rassurés, car ils savent que s’il m’arrivait quelque chose, Sébastien et Louis-Philippe seront là. Ça ne changera pas grand-chose pour eux», dit Jean Paquin.
Ce genre de transition n’est pas chose courante, disent les deux associés. Or, chez Groupe Investors, on prend très au sérieux l’enjeu de la relève. «À l’image de la population, une forte proportion de nos conseillers est constituée de baby-boomers», dit Claude Paquin, président des Services financiers (Québec) de Groupe Investors et frère de Jean Paquin.
Il évalue que 30 % des conseillers actuels environ partiront au cours des 5 à 10 prochaines années. Le plus important, selon lui, est d’établir le profil de leurs remplaçants. «Il y a 30 ou 40 ans, les gens entraient dans l’industrie avec un secondaire 5, on leur enseignait une démarche d’affaires et ils gagnaient bien leur vie. Cette époque est révolue», dit-il.
L’étoffe de l’entrepreneur
Groupe Investors offre aux étudiants de troisième année d’un baccalauréat en finance, en comptabilité ou en économie la possibilité de faire un stage rémunéré de 12 semaines dans ses bureaux régionaux. Les candidats sont sélectionnés au moyen d’un test psychométrique qui mesure leur fibre entrepreneuriale. Les plus prometteurs sont convoqués à une entrevue et jumelés à un conseiller établi.
«Ils ne font pas de photocopies, souligne Claude Paquin. Ils font du shadowing, c’est-à-dire qu’ils sortent avec les conseillers et on les place devant des cas réels d’analyse de situation financière. On leur fait jouer le rôle du conseiller, mais sans la sollicitation», dit-il.
Le président se réjouit de voir que la plupart de ces étudiants choisissent ensuite de rester. Selon lui, le taux de conversion des stagiaires est de 75 %. «Nous n’avons jamais été en aussi bonne position pour assurer la relève, mais nous y travaillons depuis 8 à 10 ans. Tout ça ne se fait pas du jour au lendemain», dit Claude Paquin.
Gino Savard en sait quelque chose. Si le président de MICA Services financiers est de tous les événements de l’industrie, c’est parce qu’il est constamment en mode recrutement. Tout en tentant d’attirer les conseillers d’expérience, il cueille aussi sa jeune relève sur les bancs d’école.
«Nous sommes toujours en contact avec des professeurs pour cibler les meilleurs», dit-il. Et pour lui, les meilleurs ne sont pas ceux qui cumulent les A+, mais ceux qui ont la bosse des affaires.
Les jeunes qui se démarquent sont invités à travailler à Québec, en soutien au réseau de conseillers, ou encore à se joindre à un conseiller sénior qui les prendra sous son aile. Chez MICA, on encourage les conseillers à avoir à leurs côtés un associé junior prêt à prendre la relève au moment opportun.
Souvent, celle-ci est assurée dans la famille. «Sur 175 conseillers, 42 sont des enfants de conseillers qui travaillaient déjà avec nous», dit Gino Savard.
Chez Groupe financier PEAK, le président, Robert Frances, constate qu’un transfert de clientèle à l’interne est plus avantageux. «La rétention des clients est plus élevée, et grâce à cela, la valeur du bloc d’affaires est plus élevée», dit-il.
Pour les cabinets indépendants, le coût du recrutement de jeunes conseillers à l’externe peut être élevé, dit François Leduc, coordonnateur du programme de Conseil en assurance et services financiers du Collège Montmorency. «Il faut les accompagner, leur faire obtenir leur permis… Les grands réseaux peuvent plus facilement assumer ces coûts», dit-il.
Les jeunes ne sont pas tous tentés non plus par l’aventure entrepreneuriale. Plusieurs vont vers les banques, qui offrent sécurité d’emploi et salaire en commençant. «Dans cette carrière-là, quand vous avez la fibre entrepreneuriale, the sky is the limit, sinon ça peut être très difficile», dit Stéphane Dulude, président et directeur général de SFL Partenaire de Desjardins Sécurité financière.
Le financement, le nerf de la guerre
Chez SFL, les nouvelles recrues ont tout de même droit à une rémunération fixe pendant les 12 premiers mois, à condition de réaliser certains objectifs. «On ne leur demande pas de vendre, mais on veut qu’ils se fassent connaître, qu’ils soient actifs dans les chambres de commerce, sur les réseaux sociaux, et qu’ils fassent des rencontres. Nous croyons qu’en appliquant notre recette, ça va fonctionner», dit Stéphane Dulude.
SFL bénéficie de l’appui financier de Desjardins pour financer le coût à l’entrée des nouvelles recrues. Le réseau embauche annuellement entre 110 et 125 conseillers de 25 à 35 ans. Selon Stéphane Dulude, 50 % des membres de l’équipe de vente n’en faisaient pas partie en 2000.
«Les nouveaux conseillers sont aussi dispensés de certains frais, notamment pour l’accès à certaines technologies. On veut faire en sorte qu’ils ne passent pas leur première journée à faire uniquement une série de chèques», dit Stéphane Dulude.
La firme offre aussi du financement à ceux qui souhaitent reprendre la clientèle d’un autre conseiller. «On ne s’ingère pas dans le processus, mais on fournit le financement à l’acheteur sur trois, cinq ou sept ans. Peu de distributeurs ont cette possibilité d’avoir accès à des capitaux», remarque Stéphane Dulude.
Chez Groupe Investors, le transfert de clientèle d’un conseiller à l’autre se fait par l’intermédiaire du cabinet, qui finance l’acheteur pendant deux ans. Quant au vendeur, une prime de rétention sur l’actif lui sera versée pendant 60 mois.
«Celui qui prend la relève ne recevra donc pas de commissions de suivi pendant 60 mois, mais recevra 100 % de la rémunération générée par de nouvelles affaires, par exemple, s’il ouvre de nouveaux comptes ou ajoute les enfants ou d’autres produits financiers à un même compte», explique Claude Paquin.
Plusieurs intervenants constatent que partir de zéro est difficile de nos jours. Dans les cabinets indépendants, on développe aussi des outils de financement. PEAK, par exemple, fait affaire avec des institutions financières pour du financement de base et intervient au besoin à même ses capitaux pour du financement supplémentaire. «C’est sûr que c’est plus difficile pour quelqu’un qui commence, et il nous est arrivé de financer des jeunes qui avaient de grandes dépenses», dit Robert Frances.
Chez MICA, le programme de prêt en place «permet à la grenouille d’avaler le boeuf», illustre Gino Savard. «Le book est d’abord évalué par un expert interne ou externe en consultation avec le vendeur. Dans le cas où le book a été transféré dans la famille, on fait un gel successoral, et le fils ou la fille rachète progressivement sur un certain nombre d’années à même les revenus. Le financement n’est donc pas nécessaire.»