Dans un fonds commun de placement, la décision de se protéger ou de ne pas se protéger contre le risque de change, ou encore de couvrir ou de ne pas couvrir les fluctuations des taux de change, relève du gestionnaire de portefeuille. Dans un fonds négocié en Bourse (FNB), cette décision appartient à l’investisseur – ou à son conseiller. Cette importante nuance tient à la mécanique même de la plupart des FNB, et les conseillers ont tout avantage à en tenir compte.
Le souci de se protéger des fluctuations de taux de change est relativement récent, note Raymond Kerzérho, directeur de la recherche chez PWL Capital, à Montréal. Il y a seulement 20 ans, les fonds d’investissement ne pouvaient consacrer que 20 % aux actifs étrangers, ce qui minimisait l’impact des taux de change sur leurs actifs sous-jacents.
Par contre, cette limite a été éliminée et, vers 2004, les prix du pétrole ayant flambé, les fluctuations du dollar canadien face aux monnaies étrangères avaient un effet accru sur les rendements. «Il y avait beaucoup de discussions à ce moment-là au sujet du peak oil qui poussait sur la valeur du dollar canadien, et on a même vu ce dernier dépasser le dollar américain», dit le spécialiste. Les questions ont vraiment commencé à surgir quand la devise canadienne a dépassé les 0,80 $ US. «On s’est sérieusement posé la question si on devait protéger nos clients d’une façon ou d’une autre des fluctuations de change, particulièrement vis-à-vis de la monnaie américaine.»
Pour le responsable d’un FNB, la mécanique de la couverture de change est la même que pour le gestionnaire d’un fonds commun. On recourt à des contrats à terme sur devises. Par exemple, explique Raymond Kerzérho, «pour un portefeuille d’actions américaines d’une valeur de 50 M$, le gestionnaire achètera pour 50 M$ de contrats sur le dollar canadien (contre des dollars américains), ce qui effacera en grande partie l’effet du taux de change sur le rendement en dollars canadiens du portefeuille».
La couverture incombe à l’investisseur
La problématique de la couverture de change se pose différemment dans un FNB et dans un fonds commun. Pour ce dernier, l’investisseur confie au gestionnaire du portefeuille toutes les décisions à ce sujet. Il peut ne pas être satisfait de la façon dont le gestionnaire s’occupe de la chose et choisir de vendre le fonds pour en acheter un autre, mais tant qu’il demeure investi dans le fonds, toutes les décisions relèvent du gestionnaire.
Dans un FNB, un investisseur dispose souvent de trois options. Par exemple, pour les FNB d’actions, il peut acheter soit un FNB en monnaie canadienne couvert, soit un FNB en monnaie canadienne non couvert ou encore un FNB coté au Canada, mais libellé en dollars américains. Ainsi, un FNB comme le BMO d’actions américaines à faible volatilité, de type «bêta intelligent» géré à partir de règles automatisées, offre une version couverte (ZLH), une autre non couverte (ZLU) et une version en dollars américains (ZLU.U). Cette dernière version n’est pas un FNB américain, mais un FNB canadien libellé en dollars américains. On trouve maintenant 75 de ces FNB qui, de façon typique, portent l’extension «.U».
Une autre option existe. Un client peut acheter un fonds directement aux États-Unis, évidemment coté en dollars américains. C’est le cas d’un FNB comme le Vanguard Total Market qui affiche la cote VTI à New York, mais dont on trouve deux équivalents cotés au Canada : le VUS couvert en dollars canadiens et le VUN non couvert. La taille de ce marché est difficile à évaluer, indique Daniel Straus, vice-président et directeur de la recherche et de la stratégie sur les FNB, à la Financière Banque Nationale, à Toronto. Ce spécialiste l’évaluait encore assez récemment à 100 G$, une portion importante d’un marché canadien des FNB qui se chiffre maintenant à plus de 183 G$.
Cependant, ajoute-t-il, «on voit la part des FNB de type « .U », qui reproduisent un FNB équivalent américain, augmenter rapidement, une demande qui vient des investisseurs plus fortunés qui s’éveillent aux questions d’impôt de succession et qui désirent limiter la taille des actifs qu’ils détiennent aux États-Unis».
Dans le cas des FNB à gestion active, la décision de couvrir, comme pour les fonds communs, est en général laissée à la discrétion du manufacturier du FNB. «Dans un tel cas, l’investisseur ne sait pas quelle proportion du portefeuille le gestionnaire choisit de couvrir ou non», explique Daniel Straus.
Pour un FNB obligataire, l’option la plus répandue tient à des FNB qui sont couverts d’office contre les fluctuations de la devise. «De façon générale, on ne veut pas supporter un risque additionnel à celui des mouvements de taux d’intérêt dans un FNB de titres à revenu fixe, donc on annule le risque de change» dit Marie-Chantal Lauzon, vice-présidente principale, développement des affaires chez Horizons ETFs Management (Canada). On veut que la portion obligations d’un portefeuille lui apporte de la stabilité, alors que ne pas couvrir risque d’augmenter la volatilité.»
De plus, un fonds d’obligations d’entreprises, comme le BMO obligations de sociétés américaines à haut rendement, est offert en versions couverte (ZHY) et non couverte (ZJK).
Les FNB d’actions à gestion active adoptent des pratiques de couverture variables entièrement à la discrétion du gestionnaire. Marie-Chantal Lauzon donne l’exemple d’un portefeuille américain où on trouverait le titre de McDonald’s. «Une grande part des revenus de McDonald’s est mondiale, note-t-elle. Va-t-on couvrir un tel titre à 100 % ou seulement la part des revenus américains, soit seulement 35 % ou 40 % ? C’est de plus en plus la façon de penser des gestionnaires.»
Dans d’autres situations, par exemple des portefeuilles d’actions mondiales ou d’actions de marchés émergents, il est fréquent que de tels portefeuilles ne soient jamais couverts. Il y a tant de devises en jeu, fait remarquer Raymond Kerzérho, et «cette diversification réduit le risque des devises, car certaines vont évoluer en compensation les unes des autres».
Comment décider
Quand un conseiller devrait-il opter pour un FNB couvert et quand préférer l’option non couverte ? La réponse tient à deux autres questions. La première : le dollar canadien est-il cher ou bon marché par rapport à la monnaie de destination – dans la majorité des cas le dollar américain ? Les économistes déterminent une telle question à partir d’une foule de variables, fait ressortir Raymond Kerzérho : prix du baril de pétrole, politique monétaire de la banque centrale, niveau des exportations, etc.
Ce spécialiste préfère s’en tenir à un point de vue simple : le dollar canadien est-il à un niveau bas ou élevé selon son évolution historique ? Depuis les années 1975, il a varié de 0,62 $ US à 1,07 $ US. Au cours des trois dernières années, il s’est maintenu dans une fourchette qui fluctue entre 0,72 $ et 0,84 $, son niveau récent s’établissant autour de 0,75 $.
La deuxième question : la tendance du dollar canadien est-elle à la hausse ou à la baisse ? Actuellement, il est à un bas niveau. Va-t-il remonter ou glisser à la baisse ? Ici, on ne peut éviter les questions relatives au contexte économique : politique des banques centrales, situation du marché des matières premières, direction de l’économie américaine, etc. En règle générale, établit Raymond Kerzérho, «quand le dollar canadien s’apprécie, ça pénalise le rendement des portefeuilles canadiens détenteurs de titres américains, et la même logique prévaut pour tous les pays de destination».
La crise financière de 2008 fournit un exemple percutant de l’effet de devise, fait-il ressortir. «Le marché boursier américain a perdu environ 40 %, mais un portefeuille équivalent en dollars canadiens a perdu seulement 22 %. En période d’économie difficile et de récession, ne pas être couvert peut constituer une protection.»
Coût explicite et coût implicite
Exercer une couverture de change «entraîne depuis la crise un coût minime, indique Daniel Straus. Il n’est pas dispendieux de couvrir toutes les parties d’un portefeuille.» Par exemple, le FNB S&P 500 non couvert de Vanguard impose un ratio des frais de gestion (RFG) de 0,08 %, et son équivalent couvert, un RFG de 0,09 %.
Toutefois, il existe un coût implicite qui peut s’avérer significatif, juge Raymond Kerzérho. «Lorsque vous implantez des positions pour couvrir, explique-t-il, dès que le marché fluctue, votre couverture perd de son efficacité. Si vous détenez 100 M$ en actions américaines et 100 M$ en contrats à terme sur le dollar canadien, et que la valeur des actions s’apprécie de 10 %, votre couverture devient subitement insuffisante ; vous avez maintenant besoin de 110 M$ de contrats à terme. Si le marché se comporte de façon très volatile, monte et descend violemment, le gestionnaire de portefeuille est tout le temps en retard sur le marché avec sa couverture du risque de devises, et le fait d’être continuellement en retard peut entraîner des coûts additionnels à la gestion de portefeuille. Cela en réduit le rendement.»
Certains investisseurs institutionnels ont appliqué une stratégie prudente de couverture à laquelle on a donné le nom de «minimisation du risque de regret». Il s’agit ici de maintenir en permanence une couverture pour une portion de 50 % du portefeuille. «Les portefeuilles de la plupart des investisseurs sont essentiellement exposés aux dollars canadiens et américains dans une très forte proportion, constate Daniel Straus. Il est donc sensé de pratiquer une telle couverture.»
Toutefois attention, la règle n’est pas un absolu, avertit Raymond Kerzérho : «Il est justifié que celui qui a très peu d’actions étrangères, par exemple de 15 % à 20 % de son portefeuille, ne couvre pas.»