L’an dernier, à titre d’exemple, Placements Mackenzie a lancé sur le marché une série de FNB à gestion active, suivis par des FNB à bêta judicieux (smart beta). First Asset et Vanguard ont aussi investi ce terrain avec des lancements de FNB gérés activement. De nouveaux acteurs se sont présentés également dans ce segment du marché, dont Hamilton Capital et Questrade. Harvest a converti sept fonds fermés en FNB actifs. Sphere and Wisdom Tree ont quant à eux inauguré leurs nouvelles séries de fonds judicieux, que certains assimilent dans l’industrie à la gestion active, alors que d’autres hésitent davantage à leur accoler cette étiquette. Bref, l’élan ne semble pas s’essouffler. En début d’année, c’était au tour de Dynamique et de BlackRock de saisir la balle au bond avec cinq FNB gérés activement.
Toutes proportions gardées, la popularité des FNB à gestion active est plus grande au Canada qu’aux États-Unis, bien que leur nombre au sud de la frontière ait grimpé de 73 à 173 en trois ans, selon le Financial Times.
«Ce n’est toutefois que moins de 1 % des actifs gérés par les FNB américains qui le sont de façon active alors qu’au Canada, c’est environ 15 %», constate Marie Chantal Lauzon, vice-présidente, développement des affaires au Québec, de Horizons ETFs Management. «Chez nous, c’est même plus. Sur les 7 G $ que l’on gère, 3,5 G $ le sont activement.»
Alain Desbiens, vice-président Québec et Atlantique, FNB BMO Gestion mondiale d’actifs, nuance ces chiffres. «Ces statistiques additionnent les ventes de fonds actifs à celles des fonds à bêta judicieux, qui ne sont pas à proprement parler, selon nous, des fonds à gestion active.»
Point de vue partagé par François Bourdon, chef adjoint des placements à Fiera Capital, pour qui les fonds factoriels ou à bêta judicieux ne sont qu’une version améliorée des fonds indiciels. «Ils tentent toujours de reproduire un indice même si ce dernier est amélioré», estime celui qui gère le Horizons Active Preferred Share (HPR), le premier FNB canadien à gestion active à franchir le cap du 1 G $ d’actif sous gestion.
Innovation au menu
Comment expliquer le succès des FNB à gestion active ? Yves Rebetez, directeur général de ETF Insight, s’avance : «Les FNB ne sont qu’un mécanisme comme un autre d’atteindre une stratégie de placement supérieure à d’autres options en matière de coûts ou sur le plan fiscal.»
De son côté, Tyler Mordy, président et chef des placements chez Forstrong, propriété à plus de 70 % d’iA Groupe financier, fait remarquer qu’à l’origine les fonds communs de placement étaient plutôt actifs et les FNB passifs, mais que cette distinction s’estompe avec le temps. «Le FNB est un outil qui permet de mieux structurer les portefeuilles, de les rendre plus robustes et de les diversifier plus simplement», martèle le titulaire du titre CFA.
La croissance de ce secteur découle aussi de l’éventail de l’offre sur le marché. «Comme les manufacturiers existants ont déjà couvert l’ensemble des possibilités en matière de gestion passive ou indicielle, il est normal d’assister à des lancements de FNB à gestion active puisque ce territoire est encore vierge», suggère Yves Rebetez. Il fait remarquer du coup que de nombreux fonds actifs sont lancés par des fabricants de fonds communs.
Laurent Boukobza, vice-président distribution de FNB chez Placements Mackenzie, dresse un constat similaire : «Il y a un nombre limité d’indices à reproduire, s’il y a déjà trois ou quatre acteurs qui offrent la gestion indicielle, il n’y a plus place pour de l’innovation de ce côté.»
Warren Collier, directeur général et responsable des fonds iShares chez BlackRock Canada, explique la stratégie de sa firme. Cette dernière vient de lancer sur le marché cinq FNB actifs en collaboration avec Dynamique. «Nous avons décidé d’allier notre offre de FNB à l’expertise de Dynamique, qui compte déjà sur une équipe de gestionnaires actifs chevronnés», explique ce dernier.
De plus, des conseillers en placement s’intéressent à la gestion active sous forme de FNB, dont Vincent Cliche, de la Financière Banque Nationale. «Je crois que les marchés sont inefficients et que l’on peut donc faire mieux qu’eux. Je choisis donc des FNB actifs. La beauté des FNB repose sur le fait que l’on peut jumeler des philosophies de placement différentes.» Vincent Cliche souligne que la question des frais n’est pas primordiale, mais aime bien que les frais moindres des FNB lui permettent de dégager un espace pour sa rémunération sans pénaliser le client. «Si les frais du FNB sont disons de 0,5 % et que je facture 1,2 ou 1,3 % en surcroît, c’est encore moins que les frais de gestion de 2 ou 3 % d’un FCP», calcule-t-il.
Populaire, le revenu fixe
Aux États-Unis, la grande majorité des fonds gérés activement ont comme actif sous-jacent des titres à revenu fixe, selon le Financial Times. Qu’en est-il au Canada ?
Tyler Mordy y va d’une explication : «Aux États-Unis, contrairement à ici, il existe un star-système des gestionnaires. Les gens aiment savoir à qui ils confient leur argent.» Il cite en exemple le portefeuilliste Bill Gross, perçu comme une vedette. Forstrong vient d’être choisi pour gérer activement sept portefeuilles de FNB du robot-conseiller Wealthsimple, filiale de la Financière Power.
Il est difficile de savoir si cette tendance en faveur des FNB à gestion active de revenus fixes s’exprime au Canada. Cela dit, en 2016, les FNB de titres à revenu fixe en général ont représenté 38,1 % des créations nettes de FNB au Canada par rapport à 60 % de celles-ci pour les FNB d’actions, selon Investor Economics. L’actif sous gestion des FNB de revenu fixe s’élevait à 30 % du marché canadien et celui des FNB d’actions, à 68 %. En 2016, BMO Gestion mondiale d’actifs a attiré la moitié de la création nette de FNB de revenu fixe.
Il reste qu’actuellement les FNB gérés activement occupent une place appréciable au Canada, les plus importants étant des FNB d’actions. Au Canada, ces derniers semblent un peu plus populaires, car ils sont réglementés comme les fonds communs de placement : ceux-ci ne publient que leurs 10 plus grosses positions. Leurs gestionnaires ont donc moins peur d’être copiés.
Comment expliquer que les revenus fixes soient plus populaires que les fonds d’actions parmi les fonds gérés activement aux États-Unis et probablement bientôt aussi au Canada, selon des observateurs ? Le Financial Times y va de deux explications. Premièrement, contrairement à la gestion active en matière d’actions, les études universitaires laissent entendre que la gestion active des revenus fixes apporterait une valeur ajoutée indéniable.
François Bourdon exprime des réserves quant aux conclusions de ces études sur la futilité de la gestion active en matière d’actions, mais il constate qu’effectivement l’historique des rendements de la gestion active des revenus fixes est probant. «La taille dans les obligations est importante, puisque c’est un marché over-the-counter [de gré-à-gré]. On a donc accès à de meilleures émissions et à de meilleurs prix qu’un investisseur individuel», souligne le gestionnaire de Fiera Capital.
En effet, le marché des obligations est un marché moins transparent que celui des actions, où l’accès à l’information est restreint et sur lequel il est difficile d’obtenir, par exemple, les spreads [écarts de taux]. Le marché des actions privilégiées est du même acabit. «C’est pourquoi le fonds Horizons Actif Actions privilégiées, que l’on gère, performe si bien. C’est un marché inefficient, donc un bon gestionnaire est capable d’ajouter de la valeur année après année», se réjouit Marie Chantal Lauzon.
Laurent Boukobza abonde dans le même sens. «La gestion active apporte beaucoup de valeur aux revenus fixes. Négocier des obligations à la pièce, c’est difficile et c’est un marché que les investisseurs comprennent moins bien. Bien souvent, si un conseiller réussit à mettre la main sur une obligation, c’est qu’elle a passé par les pupitres de différentes institutions et ce n’est pas forcément une des meilleures.»
François Bourdon ajoute aussi le fait que les revenus fixes constituent une catégorie d’actif plus complexe qui ne repose pas sur une croissance dans un segment précis d’un marché ou d’un secteur de l’économie.
Une autre raison donnée par le Financial Times invoque la difficulté de calquer un portefeuille d’obligations par opposition à un portefeuille d’actions. «C’est une très bonne explication, dit François Bourdon. Nos activités de revenu fixe sont plus difficiles à reproduire. Si quelqu’un prenait le téléphone pour acheter exactement les titres de mon portefeuille, il n’y arriverait probablement pas, car les obligations ne sont plus en stock ou il payera plus cher, car son pouvoir d’achat est moindre. En outre, on se repositionne plus souvent qu’un fonds d’actions. On change de durée, on peut être court aujourd’hui et long demain, et le tout se fait en un simple clic. On peut acheter une nouvelle émission qui sera épuisée le lendemain, etc.»
Aymen Karoui, professeur au département de finance de l’Université York, à Toronto, met l’accent sur un exemple cité par le Financial Times, soit celui d’Apple. Si un client veut investir dans le capital-actions de cette société, il n’y a qu’un seul titre que l’on peut se procurer. De plus, tous les investisseurs comprennent que les actions de la société augmenteront si le nouveau modèle d’iPhone connaît du succès, mais qu’elle chutera dans le cas inverse. Or, il en va autrement pour les titres obligataires. «Vous avez alors une panoplie d’options, puisqu’une société compte souvent plusieurs émissions d’obligations aux caractéristiques divergentes [devises, échéances, rachetables ou pas, taux fixes ou flottants, etc.]», mentionnait le quotidien.
Aymen Karoui nuance la tendance des fonds gérés activement. «Les FNB à gestion active connaissent une belle progression, mais pas de nature à faire basculer le marché tant que cela.»