Le défi en 2016 ne sera donc pas technologique. «Les institutions ont les ressources pour calculer et communiquer ces données», note-t-elle. L’onde de choc se fera davantage sentir dans la relation qu’entretiennent les professionnels avec leurs clients.
Contrairement aux mesures de 2014 et de 2015, celles de l’an prochain «susciteront nécessairement des questions de la part des clients», note-t-elle. Les courtiers devront «trouver les bons mots» pour justifier les services en fonction des commissions. Un défi en soi !
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«La gestion du changement est un des éléments les plus importants» pour la réussite de la phase deux du Modèle de relation client-conseiller (MRCC 2), concède Lise Dupont, vice-présidente, Initiatives d’affaires, chez Financière Banque Nationale Gestion de Patrimoine.
L’institution financière s’y prépare depuis près de trois ans en formant ses représentants pour qu’ils réagissent adéquatement aux questions des clients. «La formation sera un élément très important pour nous, mais aussi pour nos clients», indique-t-elle.
Failles montrées du doigt
Alors que certains préparent leurs arguments pour expliquer la valeur de leurs services, d’autres montrent du doigt les failles des mesures du MRCC 2 appliquées en 2016. Tel que conçu, le règlement «laisse une porte ouverte à qui voudrait tricher», dénonce Flavio Vani, président de l’Association professionnelle des conseillers en services financiers (APCSF).
Le diable est bel et bien dans les détails. Essentiellement, l’APCSF conteste que les courtiers soient contraints à ne divulguer que les commissions qu’ils reçoivent, et non l’ensemble des frais. Des institutions financières pourraient tenter de créer des fonds sans commission pour les distribuer uniquement dans leurs succursales, explique-t-il.
En agissant de la sorte, des institutions pourraient essayer de rentabiliser leurs activités en augmentant les frais de gestion qui ne figurent pas obligatoirement sur les relevés. En contrepartie, elles pourraient réduire, voire abolir, les commissions, donnant ainsi aux clients l’impression de payer moins cher pour un service similaire, craint Flavio Vani.
Tributaires des produits offerts par les institutions financières et les maisons de fonds, les conseillers indépendants ne pourraient adopter une telle stratégie. Il y a là une faille à colmater, croit le président de l’APCSF.
La solution proposée : divulguer aux clients tous les frais, aussi bien les commissions que les frais de gestion. «Si tous les frais sont communiqués, [les institutions] ne peuvent pas s’échapper. Elles n’auront plus de porte de sortie», dit-il.
L’APCSF promet d’en faire son cheval de bataille au cours de la prochaine année. Elle a communiqué avec le bureau du ministre des Finances du Québec à ce sujet. «Si nous avons suffisamment d’argent, nous irons en cour pour nous battre. […] Je ne veux pas être la victime collatérale d’un changement», lance Flavio Vani.
Moins tranchée, la position de Francis Sabourin va dans le même sens. Le directeur en gestion de patrimoine chez Richardson GMP s’interroge : «Tant qu’à divulguer des informations [par souci de transparence], il faudrait peut-être tout divulguer, comme certains le suggèrent. Ça éviterait de mettre l’accent juste sur la rémunération du conseiller.»
Ces craintes ne sont pas nouvelles. Elles avaient été exprimées dès 2011 lors des consultations qui ont mené au MRCC 2. Les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) avaient réagi aux commentaires qui lui avaient été envoyés en 2013 : «Si des problèmes surgissent dans d’autres modèles de rémunération, nous envisagerons des mesures appropriées».
«Le moment de passer à l’action»
«Le débat est justifié», estime Normand Leclerc.
Président de la firme GNL Rôle-Conseil, ce consultant accompagne des entreprises dans l’application du MRCC 2.
Il ne fait pas l’autruche : «Il risque d’y avoir des échappatoires. Certaines sociétés ne manquent pas d’ingéniosité. C’est le danger». Les autorités devront être vigilantes et préciser certains points de la nouvelle réglementation au fil du temps.
Toutefois, la grogne de certains groupes ne changera pas la mise en application des exigences prévue pour les prochains mois, selon lui. Le train est en marche et tous doivent le suivre. «Les dés sont jetés, c’est maintenant le moment de passer à l’action. Les exigences qui sont là ne changeront pas.»
D’autant plus que les modifications liées à la rémunération s’inscrivent dans une tendance en matière de réglementation qui dépasse les frontières canadiennes, rappelle Normand Leclerc. Les autorités britannique et australienne ont adopté des mesures visant une plus grande transparence, allant même jusqu’à abolir les commissions de suivi.
«Ces exigences ne découlent donc pas nécessairement uniquement de l’AMF ou des 13 autorités de réglementation au Canada», précise-t-il.
L’année 2016 pourrait être aussi celle où le concept de MRCC3 prendra du galon. Non officiel, ce terme désigne essentiellement l’application des exigences du MRCC 2 aux secteurs qui en sont actuellement exclus, comme ceux des fonds distincts et des produits d’assurance.
«Ça, c’est tout un débat», lance Normand Leclerc, soulignant que les directions de sociétés d’assurance sont frileuses à l’idée d’étendre des exigences similaires à celles du MRCC 2 à leur secteur. «L’investisseur à qui on présente un fonds distinct fait-il réellement la différence entre un fonds distinct et un fonds de placement ? Je n’en suis pas sûr», dit-il.
Néanmoins, avant d’étendre les exigences à d’autres secteurs, beaucoup d’eau devrait avoir coulé sous les ponts. L’industrie devra avoir adéquatement intégré les mesures du MRCC 2, ce qui n’est pas chose faite. «Les trois à cinq prochaines années serviront à peaufiner ce qu’on vient de mettre en place», estime Normand Leclerc.