Les dernières dispositions, et les plus significatives, du MRCC 2 – les relevés améliorés de frais et de rendement envoyés aux clients – sont entrées en vigueur à la mi-juillet. À la suite de cet exercice de mise en oeuvre qui a duré trois ans, bon nombre dans l’industrie du placement peuvent considérer que le pire est passé en matière de réforme réglementaire fondamentale. Cependant, étant donné que les régulateurs en valeurs mobilières et les gouvernements provinciaux envisagent déjà de nouvelles mesures pour renforcer la protection des investisseurs, il est clair que l’industrie devrait se préparer à faire face à la perspective d’autres bouleversements à venir en matière de réglementation.
À la fin d’avril, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) ont publié un document de consultation qui établit une série de «réformes ciblées» visant à dissiper les préoccupations constantes des régulateurs concernant les relations clients-conseillers. Entre autres choses, les régulateurs continuent à s’inquiéter du grand manque d’information entre la plupart des clients et leurs conseillers. En effet, plusieurs études récentes ont révélé que près de 50 % des investisseurs canadiens ignorent ce qu’ils paient pour le conseil en placement, et beaucoup croient qu’ils ne paient rien.
Les régulateurs se soucient également du fait que les clients s’appuient trop sur leurs conseillers en matière de conseil, et que malgré cette dépendance, ils n’obtiennent pas de valeur pour leur argent. Ils se préoccupent aussi du fait que les conflits d’intérêts, qui trouvent leur origine dans le système de rémunération, sont trop généralisés et mal gérés.
Vers une norme légale ?
Préoccupées du fait que l’industrie et le système de réglementation servent mal les investisseurs, les ACVM proposent un certain nombre de «réformes ciblées» jugées nécessaires par les régulateurs.
Parmi les changements possibles : des mesures d’amélioration de la réglementation des conflits d’intérêts, des exigences de renforcement des normes de convenance et de connaissance du client et du produit (KYC/KYP), et un resserrement des recommandations des types de titres que les conseillers peuvent utiliser.
Les ACVM (sauf en Colombie-Britannique) envisagent également qu’une norme légale de meilleur intérêt soit imposée. Une norme de meilleur intérêt représenterait une obligation majeure supplémentaire pour les courtiers et les conseillers qui devraient faire passer les intérêts des clients avant les leurs et résoudre tout conflit d’intérêts en faveur du client.
Les partisans les plus convaincus de cette idée, la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO) et la Commission des services financiers et des services aux consommateurs du Nouveau-Brunswick, maintiennent que les réformes ciblées proposées ne suffiront pas, car elles ne peuvent pas régler tous les problèmes de protection de l’investisseur susceptibles de surgir.
Elles considèrent qu’il est également nécessaire qu’un principe général exige que l’industrie accorde la priorité aux intérêts des investisseurs. Selon elles, cela mettrait la réalité réglementaire en phase avec les convictions de la plupart des investisseurs, soit qu’on exige déjà que les conseillers agissent dans le meilleur intérêt de leurs clients.
Toutefois, la Commission des valeurs mobilières de la Colombie-Britannique précise qu’elle ne croit pas à la nécessité d’une norme légale de meilleur intérêt. Bien qu’elle partage les préoccupations des autres régulateurs concernant la relation client-conseiller, elle affirme que ces questions peuvent être réglées grâce à l’ensemble de réformes ciblées proposées, ce qui renforcera la compétence du conseiller, améliorera les normes de diligence raisonnable et réglementera les titres des conseillers.
Selon le document des ACVM, les régulateurs des autres provinces sont plus ou moins à l’aise avec l’idée d’imposer une norme de meilleur intérêt, mais ils entreprennent la consultation pour explorer cette idée.
Conflits d’intérêts à l’étude
Entre-temps, les organismes d’autoréglementation – l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM) et l’Association canadienne des courtiers de fonds mutuels (ACCFM) – voient plus loin que le MRCC 2. Plus particulièrement, les organismes d’autoréglementation (ainsi que la CVMO) ont indiqué leur intention d’étudier les conflits liés à la rémunération chez les divers courtiers sous leur surveillance. Cela alimentera les réflexions des régulateurs concernant une éventuelle norme de meilleur intérêt et les réformes ciblées. L’OCRCVM ajoute que cela aidera les organismes d’autoréglementation à décider s’il est nécessaire de prendre des mesures supplémentaires pour clarifier ses normes existantes en matière de gestion des conflits et de priorisation des intérêts des clients.
De plus, à la fin de juin, les ACVM ont déclaré leur intention de publier à l’automne un document de consultation qui proposera l’élimination de la pratique des gestionnaires de fonds communs qui paient les courtiers et leurs représentants par l’intermédiaire de commissions de suivi et d’autres commissions intégrées. On demandera plutôt aux courtiers de facturer leurs services directement aux investisseurs.
Ces deux initiatives majeures (le meilleur intérêt et la réforme des frais des fonds communs) en sont à leurs tout débuts. Mais il apparaît que les régulateurs ont compris que la divulgation ne suffisait pas pour dissiper certaines préoccupations de longue date concernant la protection des investisseurs particuliers.
Historiquement, la divulgation a été la fondation de base de la protection de l’investisseur au Canada. Toutefois maintenant, en raison de la perspective de ces réformes supplémentaires, les régulateurs semblent accepter qu’il faut plus que de la transparence pour assurer que les investisseurs sont traités équitablement par l’industrie et protégés adéquatement par les autorités de surveillance.
Divulguer n’est pas assez
«Nos propositions d’amélioration de la relation client-conseiller et notre consultation sur les frais des fonds communs constituent des changements nécessaires pour régler les conflits, et complèteront la transparence obtenue grâce au MRCC 2», affirme Maureen Jensen, présidente et chef de la direction de la CVMO.
«Les réformes proposées visent à mieux aligner les intérêts des firmes et des conseillers sur ceux de leurs clients et à régler les conflits qui peuvent faire que les investisseurs n’obtiennent pas les résultats qu’ils méritent», ajoute-t-elle.
Ce dernier développement est bien reçu par les défenseurs des investisseurs, qui ont longtemps soutenu que la divulgation ne serait jamais suffisante pour assurer la protection de l’investisseur. Par conséquent, ils défendent les types de réformes plus radicales envisagées par les ACVM. Ainsi, la Fondation canadienne pour l’avancement des droits des investisseurs (FAIR Canada) appuie l’interdiction des structures de rémunération potentiellement problématiques (comme les commissions de suivi) et l’adoption de ce qu’elle appelle une norme de meilleur intérêt «pertinente».
«Nous constatons que plusieurs initiatives majeures passent au premier plan plus ou moins en même temps, mais ce n’est pas surprenant. Ce sont toutes des facettes interconnectées du même thème central : elles participent à la transition d’une industrie du placement à une profession du placement», remarque Neil Gross, directeur général de FAIR Canada.
«Cette transition est essentielle et ne peut vraiment pas être faite de façon fragmentaire. C’est comme monter un tipi : les éléments clés doivent être placés au même moment parce qu’ils se soutiennent mutuellement et donnent à la structure sa force et son intégrité, affirme Neil Gross. J’imagine que la plupart des régulateurs font le même constat, aussi j’espère qu’ils feront bientôt ce qu’ils doivent faire pour assurer que la transition puisse s’opérer et qu’elle s’opère.»
Cependant, l’industrie n’est pas prête à renoncer à l’idée que la transparence devrait rester la pierre angulaire de la protection des investisseurs. Les premières réactions d’associations professionnelles de l’industrie telles que l’Association canadienne du commerce des valeurs mobilières (ACCVM) et l’Institut des fonds d’investissement du Canada (IFIC) ont été une forte opposition à l’adoption d’une norme de meilleur intérêt. L’IFIC, en particulier, a aussi repoussé une éventuelle interdiction des commissions intégrées.
Sur ces deux questions, l’industrie soutient que les régulateurs devraient donner aux réformes imposées par le MRCC 2 le temps d’agir avant de décider que des changements plus profonds sont justifiés. Ils affirment également que si les régulateurs déterminent que des réformes plus importantes sont nécessaires, les changements devraient être graduels, et non pas fondamentaux.
«Nous pensons que les régulateurs devraient procéder prudemment, avec des efforts bien intentionnés en vue d’établir des réformes pratiques et rentables post-MRCC 2, tout en s’appuyant le plus possible sur le cadre réglementaire existant de l’OCRCVM», dit Ian Russell, président et chef de la direction de l’ACCVM.
Valeur incertaine
Les ACVM reconnaissent que des mesures, telles que le MRCC 2 et la nouvelle divulgation à la souscription pour les fonds communs, peuvent dissiper certaines des préoccupations concernant la relation client-conseiller. En effet, la valeur incertaine de ces réformes est une des questions cruciales que se posent les régulateurs qui s’interrogent sur l’imposition d’une norme de meilleur intérêt.
À cette fin, la Commission des valeurs mobilières de la Colombie-Britannique dirige un projet des ACVM qui étudiera l’impact des réformes du MRCC 2 et des réformes de divulgation des fonds communs à la souscription. Toutefois, étant donné que le premier ensemble de nouveaux relevés de frais et de rendement reflétant la réglementation du MRCC 2 ne parviendra aux investisseurs qu’en 2017, une évaluation de l’efficacité de ces initiatives ne pourra pas se faire avant quelques années. Effectivement, il est prévu que le projet d’évaluation se poursuive jusqu’en 2018.
Ces questions de protection de l’investisseur comportent une dimension politique supplémentaire. En Ontario, un comité de spécialistes a été mandaté par le gouvernement pour revoir la réglementation de la planification financière. Ce comité a déjà recommandé d’instaurer une «norme de meilleur intérêt» pour les fournisseurs de conseil financier dans le cadre de ses recommandations préliminaires de réforme de la réglementation de la planification financière. Les recommandations finales du comité sont prévues pour la fin de 2016 et pourront servir à renforcer l’engagement de l’Ontario dans une norme quelconque de meilleur intérêt.
Alors que les régulateurs des provinces et les organismes d’autoréglementation travaillent sur de nombreux fronts – auxquels s’ajoute la perspective de l’action gouvernementale de l’Ontario -, il semble que le contexte réglementaire pourrait évoluer d’une manière qui propulse l’industrie du placement bien au-delà du MRCC 2 au cours des prochaines années.