L’analyste de fonds et vice-président de HighView Financial Group, Dan Hallett, est habituellement sceptique quant aux nouveaux produits. Ces derniers, juge-t-il, sont souvent des stratagèmes de marketing pour profiter des tendances du jour.
Il fait une exception pour les fonds négociés en Bourse (FNB) équilibrés, ou regroupant de multiples catégories d’actifs. «Cette nouvelle catégorie de produits va être bénéfique aux investisseurs, dit-il, une chose que je ne dis pas habituellement des dernières offres.»
La grande majorité des FNB équilibrés, environ 30 à ce jour, est composée de FNB classiques avec des pondérations en actions et en obligations variant en fonction du conservatisme de la pondération cible. Une petite minorité ajoute quelques autres catégories d’actifs, notamment des fiducies immobilières, de l’or ou des options.
En juin dernier, la catégorie des FNB équilibrés représentait 4,1 G$ d’actifs sous gestion, ce qui constituait une part de 2,3 % du marché canadien des FNB, selon Daniel Straus, vice-président et directeur de la recherche et de la stratégie sur les FNB, à la Financière Banque Nationale.
Cette faible part du marché des FNB cache cependant une croissance importante. «Il y a seulement deux ans, la part des FNB équilibrés était pour ainsi dire de zéro», fait ressortir Daniel Straus. «En avril 2018, l’actif sous gestion était de 233 M$ ; c’est dire que la croissance a été de plus de 1 500 %», rappelle Marie-Chantal Lauzon, vice-présidente principale, développement des affaires chez Horizons ETFs Management (Canada).
L’eldorado de ces FNB tient au territoire gigantesque des fonds communs équilibrés qui totalisaient 787 G$, selon Alain Desbiens, directeur FNB Québec chez BMO Gestion mondiale d’actifs, qui reprend une statistique de l’Institut des fonds d’investissement du Canada.
On peut s’étonner que les manufacturiers de FNB aient mis tant de temps à le découvrir. En fait, iShares offrait déjà en 2005 un premier FNB équilibré sous la marque Claymore. Tout récemment, la firme a rebaptisé ce produit iShares Diversified Monthly Income ETF (XTR).
«Avec des frais de gestion de l’ordre de 0,6 % à 0,8 %, les produits d’iShares n’ont jamais décollé, note Daniel Straus. La catégorie n’a vraiment pris son envol qu’avec l’introduction, en février 2018, de trois portefeuilles équilibrés de Vanguard, dont les frais de gestion étaient de 0,24 %.»
Sous le capot
Sauf quelques exceptions, notamment dans les produits de Purpose Investments, tous les FNB équilibrés sont des FNB de FNB. Dans la majorité des cas, les FNB sous-jacents appartiennent aussi au manufacturier qui les assemble. Par exemple, le Vanguard Balanced ETF Portfolio est composé de sept FNB de Vanguard, notamment le Vanguard US Total Marked Index ETF (part de 24 %), le Vanguard Canadian Aggregate Bond Index ETF (23 %), le Vanguard FTSE Canada All Cap Index ETF (18 %), et quatre autres.
Une situation semblable prévaut pour les produits d’iShares, de BMO et d’Horizons.
Ces acteurs, qui dominent la scène des FNB au Canada, proposent des suites complètes de FNB équilibrés.
Pour offrir une suite complète de FNB comme celle de BMO, «il faut qu’un manufacturier dispose d’une bonne base de FNB indiciels», fait ressortir Alain Desbiens.
Ce soubassement de FNB indiciels est la fondation grâce à laquelle les manufacturiers peuvent offrir pour l’ensemble des frais de gestion supérieurs de quelques points de base seulement aux frais de chaque FNB indiciel sous-jacent. Ce léger supplément couvre les frais liés au rééquilibrage périodique du portefeuille, le plus souvent trimestriel.
L’alignement d’une suite de FNB sous-jacents, tous la propriété d’un même manufacturier, n’est pas une règle universelle. «Cet enfermement dans les fonds d’un seul et même fournisseur pourrait rebuter certains conseillers et investisseurs», juge Dan Hallett. Ainsi, Horizons, avec son FNB Horizons occasions mondiales gérées (HGM), lancé en août 2015, avant que le secteur explose, intègre 10 FNB, dont neuf n’appartiennent pas à Horizons !
AGFiQ fait de même avec son Multi-Asset Income Allocation ETF (QMY), où sur 10 FNB sous-jacents, huit sont d’iShares et trois d’AGFiQ. Une particularité de ce FNB équilibré tient à la présence d’un FNB d’infrastructures.
Faisant bande à part, Purpose Investments offre une version FNB de son Multi-Asset Income Fund (PINC) qui est composé en majeure partie de titres individuels, qu’il s’agisse d’obligations de Curo Group Holdings, d’actions de Pembina Pipeline Corporation ou d’actions privilégiées de la Banque TD.
À cause de leur approche de gestion active, les fonds HGM et PINC exigent un ratio des frais de gestion plus élevé que celui des FNB équilibrés courants : de 1,42 % dans le cas de HGM et de 0,99 % dans le cas de PINC. Cependant, les familles de FNB équilibrés, tant chez Vanguard, iShares, BMO que Horizons, ont des ratios des frais de gestion (RFG) qui sont dans la partie inférieure de la fourchette, soit de 0,16 % pour le HBAL de Horizons, de 0,20 % pour les trois de BMO, et de 0,25 % pour la famille de Vanguard. Au moment d’aller sous presse, le RFG des FNB d’iShares n’était pas affiché, mais leurs frais de gestion s’établissaient à 0,18 %.
Comment tourne le moteur
Un FNB équilibré est peu exposé aux écarts cours acheteur-cours vendeur, juge Daniel Straus. «Ils ont un taux de rotation et des niveaux de transaction minimaux, dit-il. Grâce à la popularité actuelle [des FNB équilibrés], les gestionnaires bénéficient d’afflux importants de capitaux qui leur permettent de rétablir constamment l’équilibre des fonds sans négocier.»
Cette faible sensibilité à l’écart cours acheteur-cours vendeur se perpétuera sans doute même quand la popularité de ces fonds s’effritera car, explique Daniel Straus, «nous avons affaire à des portefeuilles très diversifiés dont les fonds sous-jacents sont les « best-sellers » de chaque manufacturier et qui jouent dans les marchés les plus importants et les plus liquides. Les fonds qui s’affairent dans les marchés moins liquides forment une proportion minime. C’est dire que le fonds « parent » risque de souffrir des écarts de cours.»
Tout écart important, s’il devait survenir, se manifesterait comme une légère perte de rendement, juge le spécialiste. Cependant, rappelle-t-il, «l’investisseur qui ne négocie pas dans un épisode de perte ne la ressentira probablement pas en fin de compte».
Le client qui investit dans un fonds commun peut facilement faire de petits placements à intervalles réguliers. Le monde des FNB ne reproduit pas d’emblée cet avantage. Cependant, fait ressortir Daniel Straus, certains courtiers à escompte offrent un plan de contribution préautorisé auquel un membre peut souscrire. «La plupart des FNB ont des prix entre 10 $ et 20 $, dit-il, ce qui permet d’effectuer un tel programme assez facilement.»
Ces plans n’ont toutefois pas la flexibilité de leurs équivalents chez les FCP, où un investisseur peut acquérir des fractions d’unités.
Un investisseur doit être avisé que la portion obligataire d’un FNB équilibré n’offre pas la même flexibilité qu’un équivalent en fonds commun. Par exemple, tout FNB obligataire dans les sous-jacents sera forcément couvert, ce qui retire la possibilité de gagner au jeu des devises à l’international. De plus, la pondération des indices obligataires fait qu’on s’expose aux plus importants emprunteurs, «ce qui ne fait qu’augmenter le risque», souligne Étienne Bordeleau-Labrecque, vice-président et gestionnaire de portefeuille adjoint chez Partenaires Ninepoint.
Changer la donne
Quoi qu’il en soit, les FNB équilibrés changent la donne. Le marché des FNB offre un produit qui a le potentiel «d’être un point d’arrêt unique, une solution de base toutes saisons pour un portefeuille», affirme Daniel Straus. Ces produits – qu’il appelle les «enfants perdus du monde des FNB» – peuvent se substituer aux fonds communs de même type. C’est dire que «ça laisse beaucoup de place pour croître», lance Alain Desbiens.
«Un investisseur peut avoir au coeur de son portefeuille un FNB équilibré et ensuite garnir la périphérie avec des stratégies particulières, dit Marie-Chantal Lauzon. On s’en va vers une prépondérance de FNB équilibrés.»
L’investisseur qui recourt à un FNB équilibré et qui le détient pour le long terme paye une seule fois les frais d’achat et de vente, et minimise les frais liés à l’écart cours acheteur-cours vendeur.
Plusieurs tendances favorisent la diffusion des FNB équilibrés dont, l’implantation croissante de comptes à honoraires chez les conseillers, la multiplication de fonds communs de série F qui oeuvrent dans le même sens, la pression à la baisse sur les frais de gestion, note Dan Hallett : «Il y a une forte possibilité que ces produits vont gagner le marché des conseillers et résider au coeur des portefeuilles.»
Pour un conseiller soucieux de recruter les enfants de ses clients, par exemple, un seul FNB équilibré pourrait très bien faire l’affaire, juge Dan Hallett, d’autant plus que «les FNB avec leurs bas frais de gestion sont des produits particulièrement attrayants pour les plus jeunes générations», ajoute-t-il.
De plus, considère Dan Hallett, les FNB équilibrés, tout comme les fonds communs équivalents, auront une influence bénéfique en ce sens que leurs bas frais de gestion favorisent un rendement plus élevé.
Dans une étude réalisée il y a près de 10 ans, Dan Hallett avait constaté que les détenteurs de fonds communs équilibrés avaient un rendement aussi bon, et souvent meilleur, que les investisseurs en actions. Parce que la volatilité d’un fonds équilibré est moindre que celle d’un fonds d’actions, les investisseurs «les détenaient plus longtemps, les négociaient moins souvent et en tiraient des rendements supérieurs, fait ressortir l’analyste. Les FNB offrent les mêmes avantages comportementaux que les fonds communs équilibrés et pourraient aller chercher une partie du marché dont les fonds communs ont bénéficié si longtemps.»