À première vue, les fonds négociés en Bourse (FNB) nouvellement lancés semblent exercer un certain pouvoir d’attraction sur les investisseurs.
Ainsi, en décembre 2018, les 25 plus gros FNB lancés en 2018 avaient un actif cumulatif représentant un cinquième (20,7 %) des ventes nettes de 2018, selon l’Association canadienne des FNB. En décembre 2017, les 25 plus importants FNB lancés cette année-là cumulaient un actif équivalent à 19,6 % des ventes nettes de 2017. En décembre 2016, l’actif total de ce groupe analogue représentait 10,4 % des ventes nettes de 2016.
Gestionnaire de portefeuille adjoint chez Claret Gestion de placements, Maxime Dubé souligne l’importance qu’ont les nouvelles tendances aux yeux d’un certain nombre d’investisseurs individuels : «Chez certains, toutes les modes sont bonnes. Ils achètent les produits du jour. Les FNB y répondent à merveille, comme c’est le cas par exemple de la marijuana ou de l’investissement de type ESG [avec critères environnementaux, sociaux et de gouvernance].»
Président de la firme de gestion de portefeuille Placements Idema, Ian Gascon ajoute que les FNB ont tendance à être «vendus» plutôt qu’achetés. «Les équipes de vente tendent à stimuler les ventes des produits les plus récents. Bien souvent, tout repose sur des efforts de marketing, comme si la nouveauté était une valeur en soi», dit-il.
Ian Gascon ajoute que l’offre de FNB est devenue pléthorique en raison de cette approche de vente et de l’appétit des grands manufacturiers : «Plusieurs institutions financières lancent énormément de FNB. Beaucoup sont similaires à ce qui existe déjà. L’investisseur individuel est confronté à des choix ardus et il en perd son latin. Comment, dans une telle abondance, peut-on construire adéquatement un portefeuille de FNB ? Chose certaine, cette abondance contribue à justifier les frais du conseil.»
Par ailleurs, les investisseurs institutionnels jouent également un rôle. «Ces dernières années, les taux d’intérêt ont été extrêmement bas. Des investisseurs institutionnels ont eux-mêmes acheté des FNB spécialisés en revenu fixe, afin d’augmenter des rendements peu attrayants. Comme ils n’embauchent pas de gestionnaires spécialisés, ils baissent leurs coûts. Cela peut favoriser certains manufacturiers», signale Maxime Dubé.
Bien qu’ils ne détiennent que le tiers des actifs en FNB, les investisseurs institutionnels ont également la possibilité de faire bouger les marchés, d’après le document «Canadian Investment Funds Industry : Recent Developments and Outlook», de Strategic Insight. «Un seul ordre d’achat de leur part peut avoir beaucoup d’impact sur les ventes», constate Maxime Dubé.
Malgré sa relative jeunesse, le marché canadien des FNB est très exigeant à l’égard des petits nouveaux qui aimeraient se faire une place au soleil.
«Bon nombre de petits manufacturiers n’ont presque pas eu de ventes nettes dans les cinq premiers mois de l’année !» s’exclame Alain Desbiens, directeur général – distribution des FNB Québec et Atlantique chez FNB BMO.
D’après Strategic Insight, les investisseurs n’ont pas de préférence marquée pour les nouveaux FNB : «Une grande portion des ventes de FNB a gravité autour d’un petit nombre de FNB plus vieux et déjà établis, et ayant souvent beaucoup d’actif. En 2018, les 15 FNB les meilleurs vendeurs ont cumulé 48,2 % des ventes nettes annuelles et seulement 4 sur les 15 ont été lancés après 2015.»
Dans une note de recherche publiée le 11 mars dernier, l’analyste Daniel Straus, de la Financière Banque Nationale, a compilé des statistiques révélatrices. Elles portent sur les actifs des FNB canadiens en fonction de leur date de création et de leur secteur d’appartenance. On y constate que rares sont les FNB créés en 2017, 2018 ou 2019 qui font partie des premiers de classe sur le plan de l’actif sous gestion.
Finance et Investissement a créé un échantillon comprenant presque tous les FNB d’actions et FNB d’obligations réunis dans la note de recherche, lequel avait alors 151,4 G$ en actif sous gestion (ASG). Le groupe des FNB créés depuis 2017 représentait 9,7 % de l’ASG de tout l’échantillon. L’actif des «nouveaux FNB» d’actions comptait pour 8,5 % de celui de l’ensemble des FNB d’actions. De son côté, l’ASG des FNB d’obligations derniers nés représentait 12,2 % de celui de tous les FNB de titres à revenu fixe de l’échantillon. Les constatations varient en fonction des sous-groupes.
Prenons, par exemple, le secteur des grandes capitalisations canadiennes. Parmi les 59 FNB composant ce secteur en mars, on trouvait 20 FNB créés entre 2017 et 2019, la plupart ayant 100 M$ d’actif ou moins. Ces 20 fonds ne représentaient que 4 % de l’actif total de ce secteur.
Parmi les 23 FNB de marchés émergents, 8 ont été lancés en 2017, 2018 ou 2019. Ils affichent 12,1 % de l’actif total sous gestion sectoriel.
Seuls les secteurs thématiques échappent à cette tendance. Il s’agit des FNB spécialisés en chaînes de bloc (ou blockchain), où la proportion des FNB créés entre 2017 et 2019 atteint 100 % ; des FNB spécialisés en technologies (100 %) ; des FNB de type ESG (70,7 %) ; des FNB d’infrastructures (46,3 %) et des FNB de marijuana (100 %). En revanche, ces secteurs thématiques ne pèsent pas très lourd puisqu’ils affichent, au total, 3,2 G$ en actif sous gestion.
Les secteurs liés aux titres à revenu fixe laissent une certaine place aux FNB créés entre 2017 et 2019. C’est le cas, par exemple, des titres à revenu fixe à haut rendement (high yield fixed income), où les petits nouveaux engrangent 30,5 % de l’actif total des 30 FNB en présence.
Selon Strategic Insight, les nouveaux manufacturiers de FNB font face à de lourds défis. Les frais de gestion, très bas dans cet univers, laissent peu de place à l’erreur. De plus, la «prolifération de produits et l’imitation rapide des formules gagnantes rendent la différenciation entre manufacturiers de plus en plus difficile à faire».
Avec la collaboration de Guillaume Poulin-Goyer