Le principal défi lié à l’entrée en vigueur du Modèle de relation client-conseiller – phase 2 (MRCC2) est de nature technologique, estime Éric Lapierre, associé chez Borden Ladner Gervais.
Il explique cette situation par le nombre considérable de communications informatiques qui seront dorénavant requises entre les firmes.
« Les services d’informatique joueront un rôle central dans la mise en application de MRCC2 », a-t-il dit lors du huitième colloque sur la conformité du Conseil des fonds d’investissement du Québec (CFIQ), en mars dernier.
Sylvain Perreault, chef de la conformité chez Mouvement Desjardins, partage cette opinion.
Malgré le fait que de nombreux membres du service de la conformité se soient consacrés à cette réglementation, Sylvain Perreault considère que les efforts et les investissements liés à la mise en œuvre du MRCC2 « ne concernent pas autant la conformité que les outils technologiques. »
Dans une lettre publiée en avril, Ian Russell, président et chef de la direction de l’Association canadienne du courtage en valeurs mobilières (ACCVM), écrit que la mise en œuvre de MRCC2 repose sur la capacité des sociétés inscrites d’« obtenir dans le format prescrit les informations détaillées sur le portefeuille relatives aux opérations des clients, calculer la valeur et le taux de rendement, et insérer ces informations dans tous les documents pertinents destinés aux clients. »
Traiter des millions d’ordres
Au Canada, les sociétés émettrices, les distributeurs et les intermédiaires financiers sont reliés électroniquement au sein d’un même réseau. Ce réseau permet l’achat, la vente et le transfert réciproque de fonds d’investissement et de titres financiers.
Pour accéder à ce réseau, les différents membres de l’industrie canadienne d’investissement se voient attribuer un code. Par exemple, c’est la société FundSERV qui tient le registre des codes pour l’industrie des fonds communs de placement.
Ce code est propre à chaque société, et permet de l’identifier pour la durée de vie de chacune des transactions qui l’impliquent. C’est le cas des transactions exécutées via le réseau commun et des transactions effectuées manuellement à l’extérieur du réseau, lit-on sur le site Internet de FundSERV.
FundSERV fournit un accès à son réseau électronique interentreprises à plus de 35 000 produits de fonds d’investissement. L’entreprise évalue à environ 150 000 le nombre de transactions quotidiennes enregistrées sur son réseau, précise FundSERV.
Au final, le traitement de l’information récupérée et inscrite au fichier de rapprochement de transactions généré par FundSERV permettra « aux sociétés émettrices de déclarer la bonne séquence de transactions aux distributeurs pour que les distributeurs puissent calculer le rendement prévu dans les rapports qui seront obligatoires en vertu des dispositions du MRCC2 qui entreront en vigueur en 2016 », peut-on lire dans une récente publication de l’ACCVM.
Ce traitement doit aussi permettre « de fournir pour chaque compte, à partir du 22 septembre 2014, les informations sur les commissions de suivi payées par les sociétés émettrices aux distributeurs », est-il également écrit.
Il faut noter que certaines transactions de titres ne sont pas systématiquement exécutées par l’intermédiaire du réseau de FundSERV. Ces transactions sont alors réalisées manuellement. C’est le cas des transactions effectuées de gré à gré ou qui concernent des titres illiquides, comme dans le cas de fonds de capital de risque de travailleurs.
La capacité des sociétés à exécuter le transfert de titres illiquides de comptes clients entre elles préoccupe d’ailleurs Ian Russell, en raison de la difficulté à en évaluer la valeur, écrit-il. Une situation qui ajoute au défi de la transmission des informations.
Échéancier serré
En raison de la nécessité pour les sociétés de fonds de placement de déclarer aux courtiers « les positions de placement « sans inscription dans les Livres » détenues au nom de clients auprès de sociétés de fonds de placement indépendantes », comme l’écrit Ian Russell dans une lettre mensuelle, une collaboration accentuée entre les courtiers en valeurs mobilières et les sociétés de fonds de placement sera requise.
L’échéancier serré des diverses mises en œuvre du MRCC2, jumelé aux changements importants et en profondeur requis par les systèmes d’arrière-guichet et plusieurs documents destinés à la clientèle pour se conformer aux règles, est susceptible de « créer des problèmes sérieux à plusieurs sociétés inscrites auprès de l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières », écrit également Ian Russell.
« MRCC2 nous pose un défi, qui est de faire transiter l’information entre différentes plateformes afin de pouvoir transmettre les états de compte et les autres informations requises à nos clients. Il nous faut donc revoir les fonctionnalités de nos plateformes technologiques actuelles », mentionne Sylvain Perreault.
Lourde responsabilité
« Nous travaillons avec quatre plateformes différentes, précise Jean Carrier, vice-président à la conformité chez Groupe financier Peak. Les différentes firmes de programmation devront ajuster leur logiciel afin que nous soyons en mesure de produire les relevés de compte correctement. Cela pèse donc un peu plus sur ces firmes qui se trouvent en amont dans le processus. »
Chez Croesus, une entreprise de technologie spécialisée en solutions de gestion de portefeuille et de relation client, la planification liée à MRCC2 a été amorcée il y a plusieurs mois.
« Chez nous, le dossier MRCC2 est « sous contrôle », estime David Mastroberardino, directeur de produit chez Croesus. Nous discutons régulièrement avec nos clients afin de cerner leurs besoins et pour comprendre comment les applications et les rapports de notre logiciel seront utilisés avec la mise en œuvre du MRCC2. Notre stratégie consiste à voir comment nous pouvons aider nos clients à mieux aider leurs clients. »
Plusieurs rapports correspondant aux obligations législatives requises par MRCC2 sont déjà pris en charge par le logiciel Croesus, selon David Mastroberardino. Le logiciel génère et envoie des rapports de performances aux investisseurs depuis des années.
Certains rapports devront toutefois être modifiés. C’est le cas des fonctions qui touchent les calculs de performance, mentionne David Mastroberardino.
« C’est une chose de développer de nouvelles fonctionnalités, et c’en est une autre de les implanter chez nos clients, qui doivent les approuver et les tester. Mais nous sommes continuellement en discussion avec nos clients et nous serons prêts bien avant l’échéancier de juillet 2016 », avance-t-il.
Croesus n’a par ailleurs effectué aucune embauche précisément pour la mise en oeuvre du MRCC2. « Nos embauches sont liées à la croissance de l’entreprise et se trouvent générées par plusieurs projets sur lesquels nous travaillons, dont MRCC2 », confirme David Mastroberardino.
Réforme coûteuse
De façon générale, l’industrie est favorable au MRCC2, qui vise une plus grande protection des clients, estime Paul Balthazard, vice-président et directeur régional, Québec et Provinces de l’Atlantique chez RBC Dominion valeurs mobilières.
« Ces changements demandent toutefois de l’adaptation en terme d’outils et de façons de faire. La question est donc de voir si les firmes ont les moyens de se conformer à ces changements, qui demandent des investissements importants, et à quelle vitesse elles peuvent réussir à le faire », analyse Paul Balthazard.
« Nous sommes la firme la plus importante de l’industrie, ajoute-t-il. Nous avions donc en place des systèmes capables de supporter ces changements, et pour nous, cette adaptation n’est pas majeure. Mais ce n’est pas le cas de tous, et certaines firmes ne sont pas aussi bien préparées pour ces changements. »
Bien qu’il soit encore impossible d’évaluer les coûts engendrés par la mise en œuvre de MRCC2 pour un cabinet, David Mastroberardino calcule les frais de l’opération en millions de dollars.
« J’écoute mes collègues de différentes firmes et je ne serais pas étonné que la facture atteigne les sept, ou même les huit chiffres. Je ne saurais pas en évaluer le coût exact, mais je crois qu’elle pourrait atteindre la dizaine de millions de dollars », évalue-t-il.