« MES HÉRITIERS DEVIENDRONT-ILS DE JEUNES RETRAITÉS ? »
Des clients veulent parfois éviter que leur fortune ne permette à leurs héritiers de quitter le marché du travail trop tôt. Ce peut être le cas, par exemple, d’un client sans conjoint dont les héritiers sont des enfants majeurs sans handicap. On propose alors que son testament crée à son décès une fiducie au bénéfice des enfants, avec des clauses restrictives sur l’accès au capital, note le notaire François Archambault, planificateur financier et conseiller sénior, centre d’expertise Banque Nationale Gestion privée 1859.
Une fiducie est une entité juridique créée au moyen d’un acte de fiducie selon laquelle une ou plusieurs personnes, appelées fiduciaires, détiennent et administrent des biens pour le compte d’autres personnes, appelées bénéficiaires.
Dans ce cas, le capital de la fiducie testamentaire proviendra des avoirs du client, après que les factures fiscales auront été payées. Rappelons qu’un client, sur le plan fiscal, est présumé avoir disposé de ses biens à leur juste valeur marchande tout juste avant de rendre l’âme.
Des exceptions permettent de transférer au conjoint ses avoirs, sans incidence fiscale immédiate. Dans notre cas, le client n’a pas de conjoint et ne peut donc pas profiter de ce transfert.
Après avoir pris conscience de l’importance du revenu de placement annuel prévu dans la fiducie, le client pourra décider si celui-ci sera entièrement versé à ses enfants ou non et prévoir des conditions précises d’empiétement sur le capital, comme pour l’achat d’une première maison. Si ce revenu annuel est trop élevé, le client pourrait aussi créer des fiducies testamentaires au bénéfice de ses petits-enfants ou mettre sur pied une fondation privée avec une part de son capital.
« Selon la règle générale, il faut de 300 000 à 500 000 $ de capital pour que ça vaille la peine de créer une fiducie, étant donné les frais d’administration de celle-ci », dit François Archambault.
« MON HÉRITAGE IRA-T-IL À MES ENFANTS ? »
Parfois, un client est en couple avec une personne qui n’est pas le père ou la mère de ses enfants. À son décès, ce client souhaite que son conjoint ne manque de rien durant sa vie, mais veut s’assurer que son patrimoine retourne à ses enfants au moment du décès de son conjoint. Pas question de risquer que sa fortune soit remise au prochain amoureux de son conjoint et que ses enfants n’héritent de rien.
« Souvent, on va utiliser la fiducie testamentaire exclusive au conjoint. L’ensemble des revenus générés par le capital seront versés au conjoint. C’est une des conditions pour bénéficier du roulement fiscal au conjoint au moment du décès », explique François Archambault.
On prévoit souvent des conditions restrictives d’empiétement sur le capital. Par exemple, le conjoint devrait utiliser son propre capital avant de pouvoir empiéter sur celui de la fiducie.
Beaucoup de conjointes perçoivent la fiducie exclusive comme une façon d’être contrôlées après la mort, car elles doivent alors quémander à un fiduciaire. « Ça peut amener des discussions plus ardues », dit François Archambault.
Pour dénouer ces situations, François Archambault et son équipe simulent les revenus versés la vie durant à la conjointe et lui soulignent que ceux-ci lui sont acquis. « Des fois, elles se rendent compte qu’elles en ont assez et même trop », note-t-il.
Ce contrôle post mortem découlant de la fiducie testamentaire s’avère pertinent pour d’autres motifs, selon l’avocate Hélène Marquis, directrice régionale, planification fiscale et successorale chez Gestion privée de patrimoine CIBC : « Ça peut être très intéressant pour protéger les membres de la famille qui ont des besoins spéciaux, comme les enfants sous l’influence d’un conjoint dépensier ou de certaines substances. »
« Pour protéger une personne à risque de souffrir d’une maladie dégénérative, par exemple, il peut être intéressant de garder la fiducie exclusive au conjoint. Ça va régler les problèmes liés à l’homologation du mandat de protection, surtout si le conjoint n’a pas d’actifs significatifs à son nom : les fiduciaires vont continuer de gérer et on fera homologuer le mandat juste pour les soins à la personne », dit Hélène Marquis.
Si la fiducie testamentaire sert à protéger un jeune enfant, il importe de prévoir les clauses d’empiétement sur le capital. « On en voit dans les cas de maladie, d’études ou pour permettre à l’enfant de se lancer en affaires », explique le notaire François Desmarais, spécialiste en planification fiscale et successorale chez Gestion de patrimoine TD.
« Il ne faut surtout pas restreindre le fiduciaire aux placements présumés sûrs, en vertu du Code civil. Beaucoup de notaires pensent que c’est une bonne façon de faire, alors que cette sécurité finit par coûter trop cher. On choisit un fiduciaire en qui on a confiance, alors mieux vaut lui donner plus de pouvoirs », ajoute-t-il.
« VAIS-JE PAYER TROP D’IMPÔT À MON DÉCÈS ? »
Un client fortuné peut décéder en étant actionnaire d’une société, que ce soit une entreprise opérante ou une société de portefeuille. Son testament doit être assez souple pour permettre au liquidateur d’adopter la stratégie successorale la plus pertinente pour réduire sa facture fiscale, selon Hélène Marquis.
En effet, sans planification, le décès d’un actionnaire risque d’entraîner une double imposition : l’imposition d’un gain en capital sur les actions entre les mains du défunt et l’imposition d’un dividende de liquidation pour la succession. Toutefois, on peut mettre en place des stratégies fiscales dans ce genre de situation.
Le paragraphe 164 (6) de la Loi de l’impôt sur le revenu permet d’éliminer ou de réduire le gain en capital du défunt pour ne conserver que l’imposition du dividende de liquidation entre les mains de la succession, selon le cas.
« L’article 164 (6) est le plus facile à utiliser, mais il faut le faire dans l’année du décès », précise Hélène Marquis. Si on ne peut appliquer ce paragraphe, d’autres techniques existent.
« Ce sont des techniques de réorganisation d’entreprise qui amènent la création de nouvelles sociétés et qui entraînent des frais légaux et fiscaux importants. Par contre, quand le liquidateur de la succession n’a pas de clause pour procéder à la réorganisation, ça peut devenir un gouffre financier », ajoute-t-elle.
Dans le cas d’une fiducie testamentaire exclusive en faveur d’un conjoint, on ne peut éviter la double imposition avec le paragraphe 164 (6). Il faut employer d’autres stratégies qui demandent du temps. L’acte de fiducie doit donc être rédigé pour permettre, par exemple, de prolonger la durée de la fiducie exclusive, même après le décès du conjoint.
Par ailleurs, un client veuf et sans conjoint dont les héritiers sont autonomes financièrement ou qui a l’habitude de donner à un organisme de bienfaisance pourrait, par exemple, effectuer un don à un tel organisme dans son testament afin de réduire sa facture fiscale, note Hélène Marquis : « Pour être vraiment efficace, il est préférable de consulter un spécialiste en dons planifiés. »
Pour léguer de manière efficace fiscalement, des clients optent aussi pour de l’assurance vie. « Ils vont, par exemple, investir dans une police, pour s’assurer que cet argent sera transmis à la prochaine génération. Après, les clients peuvent librement dépenser l’argent qu’il leur reste », dit la fiscaliste Annie Boivin, directrice principale, planification fiscale et successorale, chez Gestion de patrimoine TD.
« MES HÉRITIERS RECEVRONT-ILS LEUR DÛ ? »
Un client en affaires a beau avoir signé une convention avec ses actionnaires qui prévoit que ses actions seront rachetées à son décès, cet éventuel rachat peut être mal financé. Par exemple, la police d’assurance qui couvre le rachat peut ne pas avoir suivi la hausse de la valeur des actions du client, dit François Archambault : « Si vous avez 2 M$ d’assurance vie, mais que votre part vaut 10 M$, il y a un manque de 8M$. Et ça peut être difficile de racheter cette part si les bénéfices non répartis de l’entreprise ne sont pas assez élevés ou qu’un rachat défaisait le fonds de roulement ou faisait qu’on ne respecterait plus des ratios de solvabilité. »
Selon lui, il devient essentiel de prévoir les avenants de la police d’assurance permettant d’accroître le capital-décès sans preuve médicale afin que ce capital suive la valeur des actions. François Archambault ajoute que l’annexe de la convention entre actionnaires qui prévoit la méthode d’évaluation des actions au moment du décès doit être remplie afin d’éviter des risques de conflit post décès.