« L’accès à différentes stratégies, dont les marchés privés, se démocratise tranquillement auprès de la clientèle fortunée », confirme Frederick Chenel, vice-président, développement des affaires, Marchés institutionnels chez Fiera Capital.
Selon le profil du client, certains vont prendre plus de risques en se tournant vers les fonds de couverture ou encore les capitaux privés ; d’autres préféreront une approche indicielle plus passive avec des frais moindres ou opteront pour des titres individuels de catégories d’actif traditionnelles.
En gestion privée, les solutions offertes sont multiples et flexibles. Les clients qui ont plus de 1M$ à placer sont des investisseurs qualifiés et peuvent donc acheter des placements privés. Ils ont accès, comme à la Banque Nationale, à des caisses privées qui sont dans les faits des fiducies d’investissement à participation unitaire. Ces produits incorporent des actifs traditionnels que sont les actions et les obligations, mais aussi des actifs réels comme des immeubles, des infrastructures et même des terres agricoles ou des terres à bois.
« Nous décidons à l’interne de l’allocation stratégique et tactique du portefeuille de nos clients. Ensuite, nous engageons les meilleurs gestionnaires disponibles pour chaque catégorie d’actif. Une équipe les surveille à temps plein en analysant les risques, la performance et leur valeur ajoutée », explique Éric Bujold, président de Banque Nationale Gestion privée 1859.
« Les actifs non traditionnels sont souvent moins liquides. Et les clients fortunés peuvent du jour au lendemain avoir besoin de leur argent. Pour contourner ce problème, nous avons incorporé aux actifs non traditionnels des placements liquides », précise Martin Lefebvre, chef des placements et stratège chez Banque Nationale Gestion privée 1859.
Par exemple, en revenu fixe, certains fonds vont intégrer des stratégies d’options qui permettent d’aller chercher plus de revenus tout en protégeant le capital. Du côté des actions, on va notamment s’appuyer sur des stratégies de type bêta intelligent qui sont un croisement entre la gestion active et la gestion passive.
Par ailleurs, la gestion privée intègre aussi un volet tactique qui permet de vendre ou acheter sans bouger les actifs auprès des gestionnaires afin de réduire au minimum les impacts sur les prix des actifs sous-jacents, les coûts de transactions et les conséquences fiscales. Par exemple, si on veut réduire l’exposition au dollar américain d’un titre, on peut vendre la devise américaine par l’intermédiaire des contrats à terme dans le compte tactique, sans cristalliser la perte ou le gain accumulé avec la position détenue avec le gestionnaire externe.
Depuis la crise financière de 2008, des gestionnaires et des analystes de crédit voient des occasions dans les créances privées. En effet, les banques ont subi ces dernières années d’importants changements réglementaires qui les obligent notamment à être mieux capitalisées. Par conséquent, de nombreux emprunteurs se voient refuser leurs demandes même si leur dossier de crédit n’est pas mauvais.
« Lorsque le travail d’analyse de crédit est bien fait, ces portefeuilles de dette privée peuvent rapporter du 8, 9, voire 10 % de rendement, selon le type de prêt », affirme Richard Guay, professeur de finance à l’ESG UQAM et ancien président de la Caisse de dépôt et placement du Québec.
Ces portefeuilles pourraient par exemple prêter à un nouvel arrivant fortuné qui veut s’acheter une propriété. « La banque ne souhaite pas seulement savoir si l’actif vaut plus que le prêt, mais voudra avoir un historique de crédit. Bien que ces prêts soient refusés par les institutions financières, des prêteurs privés feront un suivi serré et ne s’inquiéteront pas, comme les banques, du risque réputationnel d’avoir à saisir les actifs en cas de non-paiement. Dans le cas de prêts automobiles, on installe un GPS afin de savoir où est le véhicule en tout temps ainsi qu’un antidémarreur à distance », précise Richard Guay. On pourrait donc acheter un fonds qui détient quelques centaines de prêts auto et qui a une bonne diversification géographique.
Dans le cas des actions privées, non cotées en Bourse, le risque encouru est bien plus élevé, car on n’a aucune garantie. « On peut frapper un coup de circuit, mais ce sont souvent des entreprises en démarrage et cela nécessite une grande expertise pour analyser les secteurs. L’investissement ne génère pas de revenus et l’argent est gelé pendant plusieurs années, parfois jusqu’à 10 ans », met en garde Richard Guay. Avec la dette privée, les garanties sont plus importantes, puisque si un remboursement n’est pas effectué, cela déclenche un processus de défaut et l’entreprise peut faire faillite, dit-il.
Certains affirment que les rendements historiques des placements privés sont moins volatils que ceux du marché boursier. « N’oublions pas que cela est davantage lié au fait que les prix de ces produits ne sont pas publics. Pour un fonds de pension, ce n’est peut-être pas aussi capital, mais pour un investisseur individuel dont l’horizon de placement est plus court, il faut faire attention », dit Ian Gascon, gestionnaire de portefeuille et président de Placements Idema. La firme propose des solutions à faible coût en utilisant des FNB.
Les fonds de couverture, aussi appelés hedge funds, s’adressent aux clients fortunés. Leur stratégie varie beaucoup. On a recours à des stratégies alternatives comme des ventes à découvert et de l’arbitrage afin de profiter d’écarts de prix entre des titres financiers similaires. Certains vont aussi utiliser l’effet de levier. On vise ainsi à procurer des rendements absolus positifs, peu importe les performances boursières.
« En règle générale, les frais de gestion des fonds de couverture sont très élevés, et les rendements, décevants. On mise alors sur le talent du gestionnaire et de son équipe plutôt que sur une catégorie d’actif en particulier. La gestion active peut être attrayante, mais il n’y a pas beaucoup de Warren Buffett sur notre planète », rappelle Richard Guay. Même quand un fonds de couverture va bien, cela coûte souvent 5 % par an en frais de toutes sortes. Par exemple, 2 % de frais de gestion de base plus 20 % sur l’excès de performance, précise-t-il.
L’IMMOBILIER ET LES INFRASTRUCTURES EN VOGUE
Qu’en est-il du secteur immobilier ? « Au Canada, le potentiel de rendement se trouve souvent dans des immeubles dégradés qui nécessitent des rénovations importantes. Après avoir payé les taxes, les assurances et l’entretien, les revenus de loyers sont souvent grugés en bonne partie. Il faut donc anticiper une hausse des prix et cela ne semble pas le cas dans un futur proche », affirme Richard Guay. Malgré les économies d’impôt que peut générer un logement locatif, les prix actuels ainsi que le profil risque-rendement de cette catégorie d’actif ne sont pas très attrayants, croit le professeur de l’UQAM.
« On peut aussi acheter une caisse privée qui incorpore des baux commerciaux ou des investissements dans des immeubles résidentiels, commerciaux ou industriels, ajoute Martin Lefebvre. Les rendements historiques des actifs réels étant non corrélés avec les actions et les obligations, ces stratégies vont davantage diversifier le portefeuille des clients fortunés en plus d’afficher des rendements autour de 7 ou 8 % par an », dit-il.
Aujourd’hui, les clients nantis peuvent également investir dans différents projets d’infrastructures, comme des ponts, des autoroutes, des centrales hydroélectriques, un parc éolien ou des hôpitaux. Les parties privées de ces projets en partenariat public-privé sont offertes sous forme de fonds.
Parfois, le projet sera entièrement privé. Là encore, on recherche un portefeuille qui investit dans plusieurs projets afin de profiter de l’avantage de la diversification.
« Ces investissements sont des sources de revenus garantis pour de longues échéances. L’entente peut inclure des clauses de protection contre l’inflation ou des changements réglementaires. Cela permet de prévoir assez précisément le revenu qui sera généré. Ces revenus sont donc plus stables et moins volatils que ceux des catégories d’actif plus traditionnelles », note Frederick Chenel.
Selon Ian Gascon, on ne doit pas se fier seulement aux bons rendements passés des placements en infrastructures et en immobilier, lesquels proviennent notamment de la baisse des taux d’intérêt depuis quelques décennies : « Ces produits font appel à des stratégies d’endettement, à de l’effet de levier qui a profité des taux qui ont baissé. Il faut bien comprendre dans quoi on investit. »
Si les taux remontent, ces projets qui ont de longues durées seront moins rentables, puisque la valeur actualisée des flux monétaires générés sera moindre. « Ce risque de taux d’intérêt est le même qui fait qu’aujourd’hui les actions sont chères et que les rendements obligataires sont faibles », croit-il.
PERTINENTS MARCHÉS TRADITIONNELS
« Plus le besoin d’actifs liquides est important pour le client, plus les marchés publics traditionnels seront attrayants, notamment les marchés boursiers, puisque le potentiel de rendement à long terme est intéressant », remarque Richard Guay. Et on recherche une bonne diversification géographique et, surtout, par secteurs d’activité économique. On ne voudra généralement pas couvrir le risque de devise des placements aux États-Unis, puisque c’est un facteur de protection, le dollar américain s’appréciant lorsque les marchés canadiens dégringolent. Le client évite ainsi les frais de couverture de devises qui peuvent être élevés.
Aux États-Unis, dans le cas des grandes capitalisations, il est très difficile de battre les indices, surtout après les frais. « L’achat d’un FNB qui coûte quelques points de base demeure alors une solution sensée », confirme Richard Guay. « Il est possible de bâtir un portefeuille mondialement diversifié et dans diverses catégories d’actif à l’aide d’une douzaine de FNB, et ce, à très peu de frais, soit 50-60 points de base en incluant tous les frais sous-jacents comme les coûts de transactions, les honoraires, les frais de courtage et de gestion du FNB », remarque Ian Gascon. Mais cela nécessite une expertise afin de sélectionner les bons FNB et de choisir les indices qui vont contourner les concentrations sectorielles, par exemple.
« La clientèle très fortunée va souvent opter pour nos solutions en actions, puisqu’une grande part de sa richesse se trouve dans des comptes taxables et l’aspect fiscal demeure important. Ces gens ont un horizon à plus long terme et n’ont pas nécessairement besoin de revenus », affirme Philippe Le Blanc, gestionnaire de portefeuille chez Cote 100, qui a développé une expertise dans les petites et moyennes capitalisations.
On peut également acheter des obligations publiques gouvernementales ou provinciales afin d’ajouter un volet assurance de protection si on craint une crise financière. « Mais ces titres rapportent très peu présentement, même dans le long terme. On pourrait donc se concentrer sur de plus courtes échéances, en plus d’ajouter du risque de crédit. Tout dépendra du profil du client et de sa tolérance au risque », souligne Richard Guay.