Or, selon plusieurs analystes, la liquidité des titres sous-jacents qui composent les portefeuilles de FNB est plus importante que cette dernière source de liquidité afin de déterminer la véritable liquidité d’un FNB. Plus il sera facile pour un manufacturier de FNB d’acheter ou de vendre l’actif sous-jacent du FNB afin de créer ou d’éliminer des parts de FNB, plus celui-ci sera liquide. L’inverse est aussi vrai, ce qui fait craindre l’impact, sur certains FNB, d’un stress important, comme une grave crise financière.
Jean Morissette, consultant et ancien dirigeant de Services Financiers Cartier, s’interroge aussi sur la liquidité de ces fonds lors d’une éventuelle crise financière. Il se fait prudent : «On connaît bien les avantages des FNB, mais on connaît moins bien leurs inconvénients. On va les découvrir avec le temps.»
Les doutes de Jean Morissette semblent appuyés par nul qu’autre que Jack Bogle, fondateur de Vanguard. En décembre dernier, dans le Financial Times, celui qui est le père de la gestion passive, le concept à l’origine des FNB, demandait aux régulateurs de porter attention aux FNB. «Pourquoi ? À cause de leur poids et de leur fragilité lors de stress sur les marchés.»
«Le taux de roulement annuel de l’actif des parts dans le plus gros FNB du monde, qui reproduit le S&P 500, atteint 3 000 %, écrivait Jack Bogle dans le quotidien britannique. Les conséquences de ce volume de transactions – appelez ça spéculation si ça vous chante – devraient être analysées.»
Selon lui, le taux élevé de roulement des FNB crée une illusion de liquidité. En effet, il est possible de négocier fréquemment les titres du FNB, car ces derniers sont vendus et achetés sur le parquet de la Bourse sans que les sous-jacents (les véritables titres détenus par les FNB) ne le soient, eux. Or, rien ne prouve que ces sous-jacents soient aussi liquides. Pensons entre autres aux obligations de sociétés ou municipales. D’où une dichotomie entre la liquidité du FNB et celle des sous-jacents qui pourrait éclater en plein jour en cas de chaos sur les marchés.
Rappelons que les FNB sont négociés sur les marchés boursiers sans que les titres détenus par ceux-ci ne changent de mains. Les fonds communs, eux, ne peuvent être vendus qu’au prix de clôture. Le fonds commun qui subit des décaissements doit forcément se départir de titres. Il ne peut donc y avoir une divergence trop grande entre la liquidité du fonds commun et celle des sous-jacents, contrairement aux FNB.
L’origine des craintes
Les FNB prennent plus de place sur les marchés. Par exemple, le volume quotidien de l’action la plus négociée du monde, celle d’Apple, atteint 3 G$. Ce qui est peu par rapport au FNB le plus négocié, le State Street SPDR S&P 500, dont le volume atteint 14 G$ tous les jours. Cinq des sept titres les plus échangés sur les marchés mondiaux sont des FNB. Jack Bogle, lui, constate que les FNB comptent pour la moitié du volume total des Bourses américaines.
Selon certains, cette croissance effrénée des FNB laisse envisager une cassure potentielle entre le marché des FNB et celui des titres financiers que les FNB devaient pourtant calquer. D’où la possibilité de la formation d’une bulle qui pourrait éclater en cas de turbulence sur les marchés si les investisseurs perdaient soudainement confiance en un outil qui ne serait pas aussi liquide que promis, puisque le marché des sous-jacents de ces FNB ne serait pas nécessairement en mesure de répondre à des ventes en catastrophe.
Pour illustrer cette popularité des FNB, rappelons qu’en 2016, les fonds communs ont subi aux États-Unis des décaissements nets de 130,7 G$, tandis que les FNB enregistraient 240 G $ d’entrées nettes, selon Morningstar.
Le chaos survenu le 24 août 2015 à New York lorsque les cours se sont effondrés rapidement à l’ouverture démontre qu’il n’est pas toujours facile de vendre rapidement un FNB et que des écarts importants peuvent survenir entre le cours d’un FNB et la valeur des sous-jacents. Plusieurs notent, toutefois, que ce problème n’était pas dû aux FNB, mais aux règles mises en place à la suite de la crise financière de 2008 et le flash crash de 2010. La NYSE avait alors eu recours à la Rule 48.
«L’ouverture des transactions sur plusieurs titres avait été retardée, explique Chris Heakes, vice-président et gestionnaire de portefeuille, placements de produits structurés mondiaux, BMO Gestion d’actifs. Les FNB ont eu un comportement erratique ce matin-là et leurs cours variaient beaucoup, mais tout comme celui des actions sous-jacentes.»
Industrie rassurante
«Les FNB constituent moins de 5 % de l’ensemble des actifs sous gestion. Comment les FNB peuvent-ils être accusés de causer ces soubresauts s’ils ne représentent qu’une si petite partie des actifs sous gestion ?» s’interroge Alfred Lee, vice-président et gestionnaire de portefeuille chez BMO Gestion d’actifs.
Le détenteur du titre de CFA invoque la secousse sur les marchés dans la foulée de l’élection de Donald Trump à la présidence américaine. «Dans les jours qui ont suivi l’élection, les FNB d’actions ont reçu des entrées de 50 G $ tandis qu’un montant similaire a été retiré des FNB à revenus fixes. Ceci démontre que les FNB constituent un outil efficace qui permet de rééquilibrer rapidement en fonction des évènements qui secouent les marchés», constate-t-il.
Alfred Lee fait aussi observer que les FNB ne diffèrent pas outre mesure des fonds communs. «Les fonds communs indiciels sont dans le paysage depuis longtemps et ils n’ont pas causé de turbulences», explique le gestionnaire.
Yves Rebetez, directeur principal d’ETF Insight, ajoute : «Le seul risque que je puisse voir réside dans le fait que de nombreux investisseurs individuels détenant des FNB peuvent vendre en masse en appuyant tout simplement sur une touche de clavier, ce qui était moins direct avec les fonds communs.» Cependant, ce dernier croit qu’on a tendance à sous-estimer la sagesse de l’investisseur lambda. «Est-ce que l’investisseur est véritablement inapte à comprendre ses actes ?» observe-t-il.
FNB d’obligations, plus vulnérables ?
Une importante liquidation de titres obligataires est l’autre incident survenu en 2015 qui fait craindre le pire à certains. La baisse des prix de l’énergie avait alors entraîné une pression sur les obligations à rendements élevés (junk bonds) des sociétés énergétiques.
Les FNB d’obligations suscitent encore plus d’interrogations, car ils permettent d’aller chercher un rendement supérieur en cette période où les taux des obligations d’épargne ou des certificats de dépôt sont faibles en investissant dans des obligations peu liquides de sociétés dont la cote de crédit est moins bonne ou, encore, dans les obligations municipales. Les investisseurs pensent obtenir simultanément un rendement supérieur et une liquidité accrue !
Quel serait, par exemple, le marché pour les obligations de Val-d’Or si le cours du métal jaune venait à s’effondrer ? Un FNB d’obligations municipales détenant des obligations de cette ville de l’Abitibi éprouverait alors de la difficulté à écouler ses obligations d’une ville dont la capacité de payer ses dettes dépend de la santé de l’industrie aurifère. Une ruée vers la sortie de ce fonds serait possible lorsque les investisseurs se rendraient comptent que les sous-jacents du fonds ne se vendent pas si facilement que ce qui avait été initialement escompté.
Au Canada, l’industrie rétorque à ces arguments. «Pour l’investisseur moyen, les FNB permettent aux acheteurs et aux vendeurs d’échanger leurs titres de FNB sur un marché secondaire liquide plutôt que sur le marché moins liquide des obligations», avance Matt Montemurro, gestionnaire de portefeuille chez BMO Gestion d’actifs.
Il cite en exemple le FNB BMO obligations de sociétés américaines à haut rendement couvertes (ZHY). «En 2016, pour chaque 100 $ de titres négociés sur le marché, il n’y a eu que 13 $ de titres sous-jacents qui se sont échangés. Cela démontre l’impact positif des FNB sur la liquidité.»
Matt Montemurro précise sa pensée. «Pour les transactions importantes, le gestionnaire de portefeuille devra passer par le marché obligataire, mais nous pouvons maintenant négocier directement avec tous les négociants du buy-side par l’entremise de ces plateformes. Nous avons accès à plus de 40 négociants traditionnels d’envergure internationale et à plus de 1 000 firmes du buy-side, comme Pimco, Fidelity, BlackRock.»
Yves Rebetez fait remarquer que le marché obligataire est celui dont les paramètres sont les mieux connus. «Il y a des professionnels qui connaissent sur le bout de leurs doigts les données concernant l’échéance, le taux du coupon, la cote de l’émetteur et qui sont aux aguets. Ils attendent que les occasions se présentent», pondère-t-il.
Les experts remarquent aussi que des mainteneurs de marché veillent à ce qu’un marché fluide existe pour chacun des FNB. «Les mainteneurs de marché inscrivent continuellement des offres d’achat et de vente», explique Yves Rebetez, quoiqu’il se désole que ces derniers aient depuis quelques années moins de capitaux à leur disposition, puisque les institutions financières réduisent leurs budgets.
Yves Rebetez fait aussi remarquer qu’en cas de panique, la pression avec un FNB sera répartie sur l’ensemble des titres plutôt que sur un seul.
Risque d’écarts
Une autre critique faite aux FNB vise plus particulièrement ceux qui se spécialisent dans les marchés émergents. Il y aurait souvent un écart entre la valeur de ces FNB et celle de leurs sous-jacents. Encore là, l’industrie monte au front pour se défendre. «Il est normal que le cours d’un FNB de marché émergent s’éloigne de la valeur de l’actif net. Il y a toujours de leurs marchés ouverts tandis que d’autres sont fermés. La valeur nette de chacun des actifs est donc évaluée selon les taux de change fixés à Londres à 16 h. Il est donc normal que le cours ne reflète pas la valeur nette des actifs», explique Chris Heakes.
Yves Rebetez souligne que ceci demeure néanmoins dans l’intérêt de l’investisseur. «Le vendredi à 16 h, le cours du FNB est peut-être différent de celui des sous-jacents, mais c’est à l’investisseur de décider alors s’il préfère attendre l’ouverture du marché à l’autre bout du monde le lundi pour vendre.»
Chris Heakes s’étonne également que le dossier du Financial Times fasse référence au fait que le FNB GREK, qui calque le marché grec, ait continué à se négocier lors de la crise financière qui a frappé ce pays alors que la Bourse d’Athènes était pourtant fermée. Selon lui, cela illustre une situation avantageuse pour le client plutôt que le contraire. «Cela permet plus de flexibilité. Les acheteurs et les vendeurs pouvaient acquérir ou se départir d’une exposition, et ce, malgré la fermeture de la Bourse. Le FNB était donc plus liquide que le marché traditionnel», poursuit Chris Heakes.
Jack Bogle pointe plutôt du doigt le taux de roulement d’une action sur ces marchés, qui est habituellement de 12 % contre 880 % pour un FNB. Ce qui l’inquiète et le pousse à demander aux régulateurs de porter une attention particulière aux FNB.