D’importantes disparités demeurent dans la façon dont les assureurs rétribuent les représentants en assurance, jugent des spécialistes, lesquelles risquent de les inciter à ne pas toujours recommander le produit le plus approprié à leurs clients.
Dans le cadre du Baromètre de l’assurance 2019, Finance et Investissement a demandé à des conseillers en sécurité financière de déterminer, pour les produits d’assurance vie, de prestations du vivant et de rente, la compagnie d’assurance qui offre la meilleure rémunération aux conseillers.
« C’est pas mal standard dans le marché », a répliqué un répondant au sondage en ligne qui a été mené en mai et juin 2019. Un autre précisait : « Les pourcentages sont pas mal égaux ». Un répondant situe la question au niveau des assureurs : « C’est pareil d’une firme à l’autre », a-t-il dit, ce à quoi un participant a ajouté : « Tout le monde reçoit la même rémunération » et un autre : « tout est identique ». Enfin, « c’est très compétitif », a résumé un autre sondé.
« Je suis étonné que les gens disent que tout est pareil, car il y a beaucoup de variables », commente François Blanchet, vice-président, développement des affaires provinciales, chez Aurrea Signature.
Même son de cloche de la part de Guy Duhaime, un vétéran qui est président du Groupe Financier Multi Courtage : « Il est vrai que les produits sont plus égaux qu’ils ne l’ont été, mais il y a encore d’importantes disparités, que ce soit pour une police temporaire, vie entière, universelle ou d’invalidité. »
Dans le domaine des produits d’assurance, les niveaux de rémunération sont si nombreux qu’ils introduisent une complexité toute spécifique.
Comptables déroutés
En fait, le secteur de la rémunération est si complexe, indique Guy Duhaime, que « j’ai des comptables qui travaillent chez nous depuis 10 ans et qui ne comprennent toujours pas la rémunération ». Il arrive souvent que ces derniers fassent des erreurs de calcul non négligeables en jonglant avec les cinq variables importantes que sont la commission de base, le bonus de vente, la commission de suivi, la bonification de performance et le bonus de fidélité.
À la rigueur, on peut considérer qu’entre produits de même type la rémunération est relativement uniforme, tout particulièrement sur le plan de la commission de base. « Dans des produits similaires, il n’y a pas de grandes différences, reconnaît François Blanchet. Par exemple, une police permanente va offrir une commission de base de 50 %, une autre de 55 %. »
Un tel écart de cinq points de pourcentage ne fera pas beaucoup de différence dans la recommandation d’une police, qu’elle provienne d’un assureur ou d’un autre. Toutefois, entre produits différents, l’éventail de cette commission de première année peut varier sensiblement, allant de 35 % à 65 %. Les écarts sont aussi importants quand on considère le bonus de vente, qui peut s’étaler de 130 % à 170 % de la commission de base. Autre différence majeure que souligne François Blanchet : « Certaines compagnies fonctionnent sans bonus de vente. »
Ces modèles de rémunération rendent perplexe, juge Guy Duhaime : « Tout a été opaque dans notre domaine. Allez expliquer à un client qu’une prime de 1 000 $ donne au représentant une commission de 1 200 $. C’est pour ça que les assureurs se battent pour que les lois sur la divulgation de frais ne passent pas. »
À ces deux types de rémunération s’ajoutent les commissions de suivi et les bonifications de performance. Pour les premières, les taux varient de 3 % à 15 %, indique Caroline Thibeault, directrice générale du Groupe SFGT. Ces commissions peuvent s’échelonner sur la durée de vie de la police, sur 10 années ou seulement sur 5, parfois fixes, parfois décroissantes.
Les bonifications de performance ne relèvent pas des assureurs, mais se négocient entre l’agent général et les cabinets qu’il sert. Au départ, « la plupart des assureurs vont verser 200 % à l’agent général, dit Caroline Thibeault, qui fait varier la bonification aux cabinets selon le volume annuel qu’ils produisent. Cela oscille en général entre 150 % et 185 %, mais d’autres versent seulement 100 %. » Ces disparités importantes dépendent du niveau de services que donne l’agent à ses cabinets (référencement, conseil fiscal, comptabilité, etc.). Plus le niveau de service est faible, plus la bonification est élevée.
Dernier facteur, la bonification de fidélité, qui peut croître année après année. « Certains assureurs offrent des bonus de fidélité, fait ressortir Caroline Thibeault. Pour se qualifier, les représentants doivent atteindre un certain seuil de ventes. S’il est atteint, le bonus de la première année va être de 10 %, celui de la deuxième, de 15 %, celui de la troisième, de 20 %. »
Conflits d’intérêts potentiels
Ce modèle de rémunération à paliers multiples expose à des conflits d’intérêts potentiels. Par exemple, Guy Duhaime relève la tentation d’inciter les clients à changer de police d’assurance pour permettre au conseiller d’étoffer sa rémunération. « Des commissions à long terme de 1 % ou 2 %, ça ne tient pas la route, dit-il. Sur une prime de 700 $, ça donne un revenu de 7 $ par année. C’est dérisoire. »
Or, un conseiller doit quand même continuer de donner du service au client et la tentation peut être grande de faire annuler la police pour aller chercher tous les bonus alléchants rattachés à une nouvelle vente. Cependant, inciter des clients à changer leur police est contraire à la déontologie et est dénoncé dans l’industrie, mais « on s’est fait dire par des assureurs de laisser tomber les polices », dénonce Guy Duhaime.
Autre conflit potentiel : entre une police temporaire qui offre un bonus de base de 40 % et une police permanente qui en offre un de 60 %, avec la cascade de rémunérations liées qui s’enchaîne, « le conseiller qui travaille davantage pour sa poche que pour le bien de son client pourrait facilement recommander le deuxième produit », soutient François Blanchet.
Même son de cloche concernant les bonus de fidélité. Un conseiller peut être très tenté de concentrer ses produits auprès d’assureurs avec lesquels il peut travailler à maintenir les seuils de qualification nécessaires, même si les produits associés ne correspondent pas très bien aux besoins de ses clients. « S’il y a un conflit d’intérêts potentiel, il serait là », note Caroline Thibeault.
Devant toutes ces différences de rémunération, c’est un mythe de croire, comme l’a affirmé un répondant au sondage, que « c’est partout pareil ».