Le groupe coopératif se taille ainsi la première place au Canada parmi les réseaux de distribution indépendants en assurance et en épargne individuelle.
«Cette acquisition positionnera Desjardins comme un leader canadien en distribution indépendante, avec plus de 2 G$ de primes d’assurance vie en vigueur et 43 G$ en actif sous gestion, réparti dans des fonds communs, des fonds distincts et des valeurs mobilières, au 30 juin 2022», indiquait le communiqué de presse de l’acquéreur au moment de l’annonce.
C’est un positionnement que confirment George Mavroudis, président et chef de la direction de Guardian Capital Group, et Phil Marsillo, président et chef de la direction d’IDC Worldsource Insurance Network (IDC WIN). «On parle souvent du nombre de conseillers pour classer une firme, mais c’est un leurre, affirme le premier. On peut avoir beaucoup de conseillers, et pas de ventes.»
Phil Marsillo poursuit: «Le chiffre le plus éloquent tient aux ventes de primes de première année, qui dit le vrai volume de ventes, et selon cette mesure, IDC a tenu la première place au Canada au cours des dernières années.»
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Trois entités Worldsource, dont les effectifs se chiffrent à 5 000, passent dans le giron de Desjardins, tout en continuant de fonctionner sous leur enseigne originale et avec leurs directions actuelles. IDC WIN, le plus important agent général d’assurance canadien, affiche des ventes annuelles de primes d’assurance s’élevant à 170 M$. Ajoutées aux 40 M$ qu’enregistre Desjardins, on parle de ventes totales de 210 M$.
Worldsource Financial Management (WFM) est un réseau de distribution de fonds communs de placement, tandis que Worldsource Securities (WSI) est un distributeur indépendant de valeurs mobilières de plein exercice. En ajoutant leurs actifs sous gestion (ASG) totaux d’environ 23 G$ aux 20 G$ d’ASG actuel de Desjardins, l’actif du mouvement coopératif à ce chapitre double pour atteindre quelque 44 G$.
Puisque les réseaux SFL et Desjardins Financial Securities Independent Network comptent 2 000 conseillers au Canada, le nouveau personnel acquis fait passer l’effectif total à 7 000, ce qui assure à Desjardins le premier rang au Canada, souligne Jean-Benoît Turcotti, porte-parole du Mouvement Desjardins.
Dans l’ensemble des actifs et du chiffre d’affaires de Desjardins, l’acquisition «ne fait pas bouger l’aiguille sur le bilan de façon importante», convient Denis Dubois, premier vice-président, gestion de patrimoine et assurance de personnes au Mouvement Desjardins. Cependant, s’empresse-t-il d’ajouter, «on voit la distribution comme une activité qui peut générer de la performance en soi».
Denis Dubois est formel : Desjardins acquiert un réseau ni exclusif ni captif, mais indépendant, qui va continuer de fonctionner selon sa propre dynamique d’affaires. «C’est hyper-stratégique pour notre activité de distribution, dit-il. Plus que jamais, cette indépendance va être au coeur de notre activité.»
La taille de l’acquisition est également cruciale pour offrir aux conseillers tous les services et appuis de plus en plus névralgiques, qu’il s’agisse de soutien informatique, d’analyse de données ou de cybersécurité. Ce sont des dimensions de plus en plus centrales à l’activité de conseil, «où les plus petites firmes sont plus vulnérables, fait valoir Denis Dubois. Il faut une certaine taille pour suivre la parade.»
Du côté de Guardian Capital, la transaction est survenue contre toute attente. «Ce n’était pas du tout dans notre plan stratégique de vendre ces lignes d’affaires», a lancé dès le début de notre entrevue George Mavroudis.
«On a été approchés de temps à autre pour vendre, mais on a toujours refusé», poursuit le dirigeant. Or, Desjardins a persévéré. «Au fil de nos échanges, j’ai vu qu’ils accordaient une grande valeur à la qualité des entreprises, à leur indépendance et aux gens qui les ont bâties. C’était beaucoup plus attrayant qu’une simple manoeuvre de consolidation, ce qui est souvent fort déstabilisant pour toutes les parties concernées», explique George Mavroudis.
Vague de consolidation
Les secteurs des agents généraux (AG) et des courtiers multidisciplinaires sont en voie de consolidation accélérée. «Desjardins ne fait que poursuivre une tendance établie par iA Groupe financier il y a quelques années avec l’acquisition de PPI, et par la Canada Vie avec l’achat du Groupe Financier Horizons, indique David Benamron, vice-président exécutif au Groupe Financier Botica. C’est une transaction qui ne surprend pas. On s’attend à ce que ça se poursuive avec d’autres acteurs nationaux.»
De tels acteurs n’abondent plus. HUB est le seul réseau indépendant d’envergure nationale qui n’est pas la propriété d’un assureur ou d’une banque, signale David Benamron, qui estime que cette société sera la prochaine cible des consolidateurs.
«Desjardins veut accroître son empreinte hors du Québec», se contente d’affirmer Denis Dubois. Il confirme implicitement que d’autres cibles sont en vue quand il mentionne qu’«on ne peut dire quels sont les deals dont on discute».
Certes, il reste quelques petits acteurs régionaux, mais leur nombre s’amenuise. Du côté du courtage multidisciplinaire au Québec, rappelle Gino-Sébastian Savard, président de MICA Cabinets de services financiers, on recense seulement trois indépendants de premier plan actifs autant en investissement qu’en assurance:le Groupe Cloutier, PEAK et MICA.
Son énumération est éloquente: «Il y a 30 ans, on en comptait une quarantaine, il y a 10 ans, au moins une vingtaine. Ce ne sera pas une valeur ajoutée le jour où il n’y aura plus d’indépendants. On est des empêcheurs de danser en rond. Le client qui se sent mal conseillé vient chez nous.»
Le poids réglementaire croissant est un des principaux moteurs de la consolidation en cours, juge David Benamron, qui voit la tendance se dessiner vers les réseaux de vente dédiés. «À cause de la conformité, même si les courtiers sont indépendants, les agents vont vers un groupe restreint de fournisseurs. Présentement, un conseiller indépendant peut faire affaire avec autant d’agents généraux qu’il le veut, mais le problème de la conformité soulève la question suivante: où repose la responsabilité ? Pour la résoudre, le conseiller va probablement se déplacer vers le modèle des fonds communs:il devra faire affaire avec un seul AG.»
Selon David Benamron, il est sensé que les assureurs reluquent les réseaux de distribution indépendants. «Présentement, les conseillers peuvent abandonner un AG quand ils le veulent, mais ce sera moins évident à l’avenir.»
Cette logique explique pourquoi autant David Benamron que Gino-Sébastian Savard sont sceptiques quand Desjardins affirme qu’il préservera l’indépendance des réseaux Worldsource. «Desjardins a une politique interventionniste dans les portefeuilles de ses clients, affirme Gino-Sébastian Savard. C’est normal. Être à leur place, j’en ferais autant. La grosse marge n’est pas dans la distribution de produits, mais dans la fabrication.
La course, c’est d’élargir la distribution pour rendre les produits jusqu’aux clients.»
Selon lui, lorsqu’un assureur achète un réseau de distribution, il y a un risque qu’il favorise la vente de produits maison par des mesures incitatives ou des frais sur des produits de tiers.
Ce sont des soupçons dont se défendent Guardian et Desjardins. «C’est une perception que j’aurais partagée – jusqu’à ce que j’interagisse avec Desjardins, tranche George Mavroudis. Or, Desjardins a été très net dans son intention de maintenir l’indépendance des entreprises acquises.» Denis Dubois renchérit: «En ne préservant pas l’indépendance, on détruirait la valeur de la transaction !»
À la fin des années 2010, une réorganisation du réseau SFL avait poussé certains conseillers à se joindre à Aurrea Signature, courtier qu’IDC a acquis en 2020. Ces transfuges étaient mécontents de l’approche de Desjardins, et on peut se demander quelle sera leur réaction.
Aucuns remous à l’horizon, selon Christian Laroche, qui a annoncé son départ au 31 janvier 2023 de la présidence des opérations pour le Québec du Réseau d’assurance IDC Worldsource. Il a été remplacé par Adrien Legault, nommé vice-président et directeur général pour le Québec de ce réseau depuis le 1er janvier.
«Il faut dire que les gens de Desjardins de ce moment-là ne sont plus en place», dit Christian Laroche. Ces conseillers transfuges, poursuit-il, «n’ont pas d’inconfort avec la transaction en cours. Je dînais justement avec certains d’entre eux récemment. C’est sûr qu’il y a une certaine appréhension, comme pour toute transaction, mais ils me disaient qu’ils étaient bien à l’aise avec celle-ci.»