Un sondage récent dans le cadre du Top des cabinets multidisciplinaires 2019 laissait entendre que les conseillers considèrent que leur profession est peu menacée par la vente d’assurance de personnes en ligne. En effet, beaucoup d’entre eux n’entendent pas modifier pour l’instant leur modèle d’affaires vu que le gouvernement du Québec a permis la distribution d’assurance de personnes par Internet sans intervention obligatoire d’un représentant.
C’est peut-être parce qu’une majorité d’entre eux prévoient que les clients seront mal servis par Internet et se replieront vers les conseillers, selon un autre sondage réalisé dans le cadre du Baromètre de l’assurance de 2019.
On a alors demandé aux conseillers : «Sur quel élément la distribution de produits d’assurance vie sans intervention d’un représentant aura-t-elle le plus d’impact ?»
En tout, 29,2 % des répondants ont indiqué «la connaissance des clients», 21,7 % «la relation avec les clients», et 20,8 % «le prix des produits». À ces trois chapitres, les perceptions de la vente en ligne sont majoritairement négatives et pessimistes.
Par exemple, au sujet de la connaissance du client, les répondants s’attendent à ce qu’elle soit carencée. Un conseiller sondé affirme : «Il y aura une perte de la qualité de la connaissance du client», ce qu’un autre accentue en disant : «Les gens ont déjà des réticences à nous donner des informations en personne ; imaginez sur Internet.» Un autre considère que «les clients ne sont pas habilités à se conseiller eux-mêmes (analyse des besoins, vision globale, etc.)».
Sur le plan de la relation avec le client, un répondant juge «qu’on enlève l’expertise et le relationnel, qui sont très importants», ou encore : «Il n’y aura plus de contacts avec le client. On n’aura pas le détail de ce qui lui convient». Les conséquences seront malheureuses pour la profession : «Le client qui ira sur Internet n’aura pas tendance à nous appeler».
Plusieurs partagent ce commentaire : «Il y aura une guerre des prix. Les gens vont chercher le meilleur prix plutôt que le rapport qualité-prix». Et cette recherche des bas prix sera néfaste : «Le client ne regarde pas nécessairement le bon produit, mais le prix. Et il n’aura pas nécessairement d’explications. En fin de compte, il sera mal assuré.»
Certains commentaires sont plus positifs, mais constituent l’exception. Ainsi, grâce à Internet, «le client sera mieux informé», juge un répondant, alors qu’un autre prévoit que «les prix vont être moins élevés. Ça va être plus efficace, plus rapide et les clients vont y gagner».
Natalie Bertrand, conseillère en sécurité financière et présidente d’A N Bertrand, à Boucherville, en Montérégie, partage bon nombre de ces perceptions, mais réserve ses plus grandes appréhensions à l’endroit de produits inappropriés. «Ce qui me trouble le plus, c’est qu’on va mal apparier produit et client. Celui-ci ne verra pas les conséquences à plus long terme de ses choix, et les gens ne liront pas les documents jusqu’au bout pour les comprendre.»
Par ailleurs, elle ne s’inquiète pas pour le rôle du conseiller : «Les gens magasinent en ligne, cherchent à se donner un aperçu des prix et des produits, puis viennent nous rencontrer. Ou encore, ils viennent nous tester pour voir si on va être « à la mesure » de leur recherche.»
Plusieurs réponses du sondage sont inspirées par la crainte que les consommateurs seront laissés à eux-mêmes en ligne, juge Stéphane Rochon, président d’Humania Assurance, à Saint-Hyacinthe. «L’idée d’acheter en vase clos, c’est un épouvantail ! lance-t-il. La nouvelle relation avec le client sera numérique, mais le sera-t-elle totalement ? Non.»
Selon ce dirigeant, on confond la vente de produits d’assurance, un produit complexe et coûteux, avec la vente de produits de consommation courante, comme un livre auprès d’Amazon. «Pour un produit complexe à 800 $ par année et pour lequel l’impact est important, je vais m’assurer de faire le tour des options et de parler à un spécialiste. Pour un livre sur Amazon, je risque seulement 30 $ ; avec un produit d’assurance, je risque la vie de ma femme et de mes enfants.»
Le contact entre conseiller et client ne se fera pas nécessairement en personne, comme on l’a toujours vu, mais aura lieu via Internet, notamment avec les membres de la génération Y, observe Flavio Vani, président de l’Association professionnelle des conseillers en services financiers (APCSF), conseiller en sécurité financière et président d’Assurance et produits financiers Vani, à Kirkland.
Ces jeunes «ont de moins en moins de temps et se retrouvent sur des plateformes variées comme Facebook, Twitter et Instagram. Ils veulent de l’information et être conseillés, mais il faudra les rejoindre où ils se trouvent, que ce soit par clavardage, par Skype ou par un appel téléphonique. Ils ne veulent pas se déplacer au bureau d’un conseiller, mais veulent l’information quand ils la demandent et là où ils sont», soutient-il.
Les conseillers n’ont pas raison de s’inquiéter pour la profession dans son ensemble, jugent les intervenants. Celle-ci va continuer d’avoir une place privilégiée. Cependant, Stéphane Rochon croit que ceux qui n’adoptent pas les nouveaux médias et Internet ont raison de s’inquiéter pour leur propre carrière. «Le plus préoccupant, dit-il, c’est que les indépendants n’ont pas de présence Web. C’est là qu’est le danger pour eux. Le conseiller devrait se numériser au lieu de se battre contre le vent, et s’assurer qu’un client qui s’aventure sur Internet l’appelle, lui, au lieu d’appeler une grande compagnie d’assurance.»
Moyenne des résultats à la question : «Sur quel élément la distribution de produits d’assurance vie sans intervention d’un représentant aura-t-elle le plus d’impact ?»
La connaissance du client (KYC) 29,2 %
La relation avec les clients 21,7 %
Le prix des produits 20,8 %
Le nombre de produits 5,0 %
Autre 23,3 %
SOURCE : Baromètre de l’assurance 2019 Tableau : finance et Investissement