La réalité découlant de la pandémie nous montre qu’un aspect social, à savoir la santé, peut avoir un impact sur l’économie, d’où l’importance de l’investissement responsable (IR), déclare Deborah Debas, spécialiste en IR chez Desjardins.
Pour cette femme qui a rejoint Desjardins en 2008 et a participé au lancement des fonds SociéTerre, en 2009, l’IR et les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) sont cruciaux. «Les enjeux ESG sont aussi des enjeux économiques. C’est sûr que certains d’entre eux ont des impacts économiques, financiers et matériels importants sur les entreprises dans lesquelles on investit.»
Traditionnellement, dans le milieu de la finance, on évalue les entreprises en se fiant à leur bilan financier. Mais en dépassant le cadre financier et en ajoutant des critères ESG, on est capable de mieux gérer les risques auxquels s’exposent les entreprises et de trouver des entreprises qui ont une meilleure chance d’offrir des rendements à l’avenir, affirme Deborah Debas.
«Les entreprises qui règlent des problèmes et travaillent sur la solution se positionnent très bien vers l’avenir. Dans la mesure où on règle un problème, qu’on est capable de le faire de manière responsable, pérenne, durable et aussi de manière profitable, on est bien placé pour faire croître son produit dans l’avenir», ajoute celle dont l’une des tâches est d’animer des formations sur l’IR.
En tant que conférencière dans les formations d’IR de Desjardins, son travail est de montrer pourquoi l’IR est intéressant, les risques qu’il prévient et les opportunités qu’il offre. Les formations expliquent également aux conseillers comment intégrer les critères ESG à leur pratique et comment aborder le sujet de l’IR avec leurs clients, car, selon Deborah Debas, c’est le rôle des conseillers de mettre ce sujet sur la table.
Aux conseillers de se lancer
«Le gros de notre travail, c’est de démontrer au conseiller que, généralement, la conversation part de lui. Dans 75 % des cas, les investisseurs se fient presque totalement au conseiller pour leur donner des recommandations d’investissement», explique-t-elle.
Il est rare que les clients sachent ce qu’ils veulent dès le départ, alors que les conseillers sont habitués à faire des recommandations, fait-elle valoir. Surtout que nombre d’entre eux ne savent même pas que ce type d’investissement existe.
De plus, selon elle, il est facile pour les conseillers de tâter l’intérêt des clients. Comme ils ont l’habitude de leur poser beaucoup de questions, ils peuvent en ajouter sur les enjeux sociaux ou environnementaux pour voir si leurs clients s’y intéressent. Les conseillers appréhendent de le faire, car ce type d’investissement n’est pas fait pour tout le monde. Cependant, la recherche montre qu’une très grande majorité d’investisseurs veulent en entendre parler, appuie Deborah Debas.
«Prenez les devants, lancez la conversation avec vos clients, parce que ça permet à leur épargne d’avoir une valeur, non seulement pour eux et leur portefeuille, mais aussi pour la planète. Donc, ça répond à plusieurs de leurs besoins, c’est un vrai levier de changement !» affirme-t-elle.
Une anecdote que plusieurs conseillers lui ont relatée prouve que cela vaut la peine d’envisager l’IR. Ainsi, trois conseillères différentes ont décidé de transférer tous les actifs de leurs clients en IR et, fait surprenant, elles n’ont eu que très rarement des objections de leur part.
«Le client sait que le conseiller connaît sa situation et qu’il a son intérêt à coeur. S’il lui offre une solution d’IR, qui en plus a l’air de correspondre à ses préoccupations, alors pourquoi ne pas essayer ?» souligne la spécialiste.
Quels produits choisir ?
Il existe nombre de produits ESG, parmi lesquels il n’est pas toujours évident de choisir. «Les conseillers aiment proposer des produits qu’ils connaissent bien», note Deborah Debas. Ils devraient donc choisir selon ce principe, estime-t-elle.
Toutefois, certains fonds peuvent être plus faciles à proposer, car «ils ont une histoire à raconter qui est peut-être plus simple à véhiculer pour le conseiller», admet l’experte en pensant aux fonds concentrés sur les fonds d’actions qui visent à investir dans les entreprises qui travaillent historiquement selon les enjeux ESG.
«Ça frappe l’imaginaire de savoir que les fonds d’obligations vertes vont quand même financer des produits à empreinte positive. Ce sont des projets et des entreprises auxquels les gens ont envie de participer et ils sont fiers d’y investir, car ils ont l’impression que leur investissement est un réel levier de changement pour les communautés et la planète», précise-t-elle.
«L’IR, c’est 50 nuances de gris»
Il est toutefois important de bien comprendre les produits que l’on offre aux clients et de bien les leur expliquer, car c’est un irritant pour nombre d’entre eux de réaliser qu’il y a des actions dans leurs fonds IR qui semblent aller à l’encontre de leurs critères.
«L’IR est un défi de définition. Il est souvent défini par ce qu’il n’est pas. Par exemple, on dit que ça n’investit pas dans le tabac, dans l’armement, etc. Les exclusions, ça permet de voir les choses en noir et blanc, mais l’IR, c’est 50 nuances de gris», affirme l’experte.
Beaucoup pensent que l’IR est de l’investissement vert, mais, à la base, il s’agit d’un investissement susceptible de se faire dans la plupart des secteurs de l’économie, mais qui par définition intègre les enjeux ESG dans sa prise de décision. Donc, on investit dans presque tous les secteurs, à l’exception de ceux qui sont exclus parce qu’ils n’étaient pas jugés cohérents avec une vision à long terme de la société. C’est le cas de l’armement, considéré difficile à améliorer pour que ça devienne moins dommageable. Ainsi, s’il est intéressant de savoir dans quels secteurs on n’investit pas, il l’est davantage de savoir dans lesquels on investit.
«Le risque 0 n’existe pas, les entreprises parfaites n’existent pas, rappelle Deborah Debas. Le but est d’investir dans les entreprises qui veulent s’améliorer. On ne peut pas seulement investir dans celles qui travaillent, par exemple, sur la solution. Ça poserait un problème sur le plan de la diversification du portefeuille et donc, sur le plan de la gestion de risque du portefeuille.»
Certains fonds travaillent sur l’empreinte carbone. Ainsi, le fonds d’actions canadiennes SociéTerre a une empreinte, une intensité carbone bien moindre que les entreprises comparables du marché en général. Ça ne veut pas dire qu’on retire du carbone, mais que les entreprises émettent moins de carbone que des entreprises comparables du secteur.
Pour sa part, le fonds de technologies propres a une empreinte carbone très importante. «C’est drôle, mais si on prend en compte les émissions de carbone qui sont évitées par les entreprises du fonds, c’est là que ça prend tout son sens», explique Deborah Debas.
Par exemple, une entreprise qui fabrique des panneaux de verre écoénergétique a besoin de beaucoup d’énergie, donc émet beaucoup de carbone, mais ses panneaux permettront des économies de chauffage et de climatisation. Ils ont un sens si on regarde leur cycle de vie et non seulement leur empreinte carbone.
Certaines entreprises peuvent aussi avoir mauvaise réputation, mais se reprendre, comme Nike. Dans les années 1990, son action avait plongé lorsque l’on avait découvert que des enfants travaillaient dans sa chaîne de production. Depuis, elle s’est reprise et est maintenant l’une des seules sociétés dont la chaîne d’approvisionnement est transparente.
Les conseillers doivent s’appliquer à bien expliquer les fonds qu’ils proposent à leurs clients. «Il y a des nuances à faire», souligne la spécialiste en IR.
Voir l’impact de leur argent
En leur proposant de se lancer en IR, les conseillers doivent s’attendre à ce que leurs clients leur demandent de rendre des comptes.
Dans certains cas, il est maintenant possible de quantifier l’impact que les entreprises présentes dans les fonds d’IR ont sur le plan environnemental.
«Le fonds de technologies propres de Desjardins est un bon exemple, car on peut chiffrer la quantité d’eau et de déchets qu’on a traitée, la quantité d’énergie propre produite. Ça permet concrètement de démontrer l’impact des investissements. C’est vraiment montrer aux clients que leur argent a de l’impact», explique Deborah Debas.
La spécialiste en IR rêve d’ailleurs de créer un produit bâti sur des entreprises locales, pour que les clients constatent l’impact local de leurs investissements. Évidemment, cela relève de l’idéalisme, car pour le moment l’offre est limitée par le type de produit. Le problème des fonds négociés en Bourse, des fonds communs de placement ou des fonds de placement garanti est qu’ils sont bâtis sur des titres d’entreprises qui s’échangent à la Bourse, donc de grandes entreprises, mais pas locales. Peut-être que l’avenir pourvoira à ce manque.