Bien que le transfert de polices d’assurance vie soit relativement fréquent, bon nombre n’en saisissent pas encore toutes les implications fiscales. Les règles peuvent être très différentes selon le contexte.
En voici un résumé.
Pour le cédant : Gain = Produit de disposition (PD) moins Coût de base rajusté (CBR)
Pour le cessionnaire : variables selon le cas
Pour un cédant, ce qui peut être difficile, ce n’est pas de connaître le gain imposable lorsqu’on connaît le PD et le CBR, mais bien de savoir à combien s’élèvent ces composantes. Pour un cessionnaire, il y aura souvent des conséquences si les parties agissent avec un lien de dépendance.
Afin de bien retenir les impacts fiscaux reliés aux différents types de transferts, on peut faire certains regroupements. Je propose de regrouper les transferts :
À un enfant à titre gratuit ou à un conjoint ;
Entre deux particuliers sans lien de dépendance ou «de particulier à société» ;
Dans les autres cas.
Sans entrer dans le détail de règles techniques d’exceptions, voyons les principales implications fiscales de ces transferts.
Transfert à un enfant à titre gratuit ou à un conjoint
Dans ces deux cas, la police échoit au nouveau titulaire sous forme de roulement, c’est-à-dire que le PD est égal au CBR de la police au moment du transfert. Par conséquent, les polices ayant une valeur de rachat plus élevée que leur CBR bénéficient d’un allègement fiscal dans ces situations. À noter qu’un ex-conjoint peut également être admissible à ce roulement si la police est transférée «en règlement des droits découlant de leur mariage ou union de fait».
Entre deux particuliers sans lien de dépendance ou «de particulier à société»
Rappelons qu’un «lien de dépendance» est une question de fait qui englobe les personnes liées (parenté) ainsi que les personnes agissant de concert pour bénéficier d’un avantage fiscal autrement inaccessible.
Si deux personnes n’ont pas de lien de dépendance, aucun «cadeau» ne sera fait d’une partie à l’autre. Un contrat de vente (ou un acte de donation dans le cas d’un don) sera établi entre les parties. Que ce soit entre particuliers ou d’un particulier à une société, la situation sera traitée essentiellement de la même façon.
Dans ce cas, pour le particulier cédant, le PD sera égal au prix convenu entre les parties. Les autorités considèrent que le prix convenu correspond à la juste valeur marchande (JVM).
Cette situation est donc simple : le prix convenu, soit la JVM de la police, moins le CBR, est le montant à inclure dans le revenu du particulier cédant. Quant au cessionnaire, il est considéré acquérir la police également à ce prix. Autrement dit, le CBR initial de sa police est la JVM au moment du transfert.
Prenons l’exemple où un actionnaire, Roger, transfère son contrat à la société par actions qu’il détient. Disons que les montants en jeu sont les suivants :
Capital-décès : 2 M$
Valeur de rachat : 42 000 $
CBR : 50 000 $
JVM (évaluée par un actuaire) : 380 000 $
Si Roger fait un «don» à sa société, ce n’est pas très rentable, fiscalement parlant. Comme il ne reçoit aucune contrepartie (un don est comme une vente à 0 $), le PD de sa transaction sera de 50 000 $, soit le maximum entre la valeur de rachat et le CBR (la JVM n’a aucune importance). Si on soustrayait le CBR de ce montant, aucun gain ne serait déclenché.
Le CBR de la société serait ainsi de 50 000 $. Avec un décès à très court terme, ces 50 000 $ ne pourraient sortir de la société libres d’impôt, car le compte de dividendes en capital (CDC) de celle-ci n’est pas crédité du CBR.
Pire… si Roger décidait de convenir d’une somme égale à la JVM de sa police comme contrepartie. Il pourrait ainsi sortir 380 000 $ de sa société au moment du transfert. Son PD serait cependant aussi de 380 000 $, générant ainsi un gain imposable de 330 000 $, l’excédent sur le CBR. S’il paie 50 % d’impôt, une facture fiscale de 165 000 $ l’attend. De plus, en cas de décès à très court terme, le CDC ne serait crédité que de 1 620 000 $ (2 M$ moins 380 000 $), d’où une double imposition sur 330 000 $ !
Le meilleur choix pour Roger est de choisir un montant de 50 000 $ comme contrepartie à son transfert, soit le maximum entre la valeur de rachat et le CBR. Aucun besoin de faire évaluer sa police. Tout montant inférieur générerait les mêmes impacts fiscaux immédiats, tout en ne lui faisant pas sortir autant d’argent de sa société. Autrement dit, comme les impacts fiscaux sont inévitables, on veut les réduire au minimum tout en sortant un maximum de fonds de la société. Comme dans le cas d’un don à sa société, le CBR, pour cette dernière, serait de 50 000 $.
Avant le 22 mars 2016, on pouvait faire évaluer la police et se faire payer la JVM par la société, car on «enrichissait» cette dernière de la valeur de la police. Le PD n’était cependant que la valeur de rachat et non le maximum entre trois éléments. Ça permettait souvent de sortir de bons montants libres d’impôt. Mais tout avantage ayant profité aux actionnaires avant 2016 viendra réduire d’autant le compte de dividendes en capital (CDC) au moment du décès.
Autres cas
Cette règle générale, depuis le printemps 2016, est que le PD du cédant est égal au maximum de trois montants :
La valeur de rachat du contrat ;
La valeur de la contrepartie reçue ;
Le CBR du contrat.
La règle générale s’applique souvent dans les autres cas. Par conséquent, le PD ne sera pas égal au montant convenu entre les parties à moins qu’il soit supérieur au CBR et à la valeur de rachat de la police.
À noter que s’il s’agit d’un don de charité à un organisme de bienfaisance, la police devrait être évaluée par un actuaire afin que le donateur puisse avoir droit à un crédit d’impôt pour don de bienfaisance (ou à une déduction pour une société). Dans ce cas, le montant admissible serait la JVM calculée (moins toute contrepartie payée par l’organisme), sous réserve de certaines règles. En effet, pour un contrat émis depuis moins de trois ans, le montant admissible du don est réduit au minimum entre la JVM et le CBR du contrat. Il en va de même pour un contrat émis depuis moins de 10 ans s’il est raisonnable de penser qu’il a été acquis avec l’intention de faire un don.
À noter aussi que si une filiale, avec ou sans lien de dépendance avec une société actionnaire, cède un contrat à cette dernière sous la forme d’un dividende en nature, l’Agence du revenu du Canada (ARC) considère la contrepartie nulle pour le calcul du PD de la filiale cédante. Par contre, si une police est versée à une société mère pour payer un rachat d’actions par sa filiale (dans ce cas-ci, avec lien de dépendance seulement), l’ARC considère que la société mère a versé une contrepartie égale à la JVM de la police ! Ça change un PD…
Tout cela est valable pour le calcul des impacts de la personne qui cède la police. L’épée de Damoclès n’est pas là.
Risque de catastrophe
Même si ces calculs ne sont pas très sorciers, un transfert peut également faire l’objet d’un impact fiscal du côté du cessionnaire (celui qui reçoit la police) et c’est souvent là que des situations catastrophiques sont possibles.
Il est primordial de considérer le sens dans lequel le transfert est effectué. Lorsqu’il s’agit d’un transfert d’une société actionnaire vers sa filiale, il n’y a jamais d’impact fiscal pour la filiale. On peut «enrichir» sa filiale tant qu’on veut…
Mais attention ! Lorsque le transfert a lieu dans l’autre sens, lorsqu’une police est transférée d’une société à son actionnaire – particulier ou société mère, avec ou sans lien de dépendance -, c’est une autre histoire. On ne peut «appauvrir» une société indûment.
Comme nous venons de le voir, sauf dans le cas d’un rachat d’actions, les impacts pour une filiale qui cède une police à sa société mère, sous forme de dividende en nature, sont limités. Le pire scénario est un revenu imposable égal à l’excédent de la valeur de rachat sur le CBR de la police. Or, l’«appauvrissement» de la filiale peut être beaucoup plus grand que ce PD.
Quel est ce montant d’appauvrissement ? La JVM de la police… calculée par un actuaire. Toujours.
Tout appauvrissement non compensé par l’actionnaire cessionnaire devra prendre la forme d’un dividende en nature, sinon, d’un avantage imposable.
Dans notre exemple, si on inverse la situation : Roger veut récupérer sa police personnellement. Les raisons qui poussent Roger à agir ainsi peuvent être multiples, mais il s’agit souvent de situations où Roger vend ses actions et l’acheteur ne veut pas conserver la police dans la société. Cependant, Roger tient à sa police ! Surtout qu’il n’est plus assurable…
Roger devra donc demander à un actuaire d’évaluer la JVM de la police et rembourser la société pour ce montant. Dans notre exemple, 380 000 $. Sinon, ce sera un dividende en nature. Ça peut faire mal…
Malheureusement pour Roger, il ne peut créer une nouvelle société et y transférer sa police sous forme de dividende non imposable.
S’il s’agit d’un transfert en faveur d’un particulier qui n’a pas de lien de dépendance, par exemple un employé clé, ce dernier sera frappé d’un avantage imposable.
Lorsque deux sociétés sont en cause, le dividende en nature versé est réputé être égal à la JVM de la police aussi. Cela signifie que les actions sur lesquelles ce dividende est versé doivent pouvoir légalement et fiscalement verser ce dividende. Légalement, les bénéfices non répartis (BNR) doivent être suffisants et, fiscalement, le revenu protégé de ces actions doit être à la hauteur.
Avec les nouvelles règles du paragraphe 55(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu (LIR), des actions à dividendes discrétionnaires non participantes ne pourront vraisemblablement recevoir un tel dividende. Avec de telles actions, au mieux, on générerait un gain en capital (pour la société mère) égal à la JVM de la police.
Et même si le revenu protégé sur les actions en question est suffisant pour générer un dividende en nature non imposable à la société mère, il faut être conscient du fait qu’on «brûle» du revenu protégé. Chaque dollar de dividende ainsi versé sur la JVM d’une police est un dollar de moins pouvant être versé dans le futur sur ces mêmes actions. Ça peut être très problématique.
Règle d’or
Ces problèmes surviennent surtout à cause de la valeur inattendue générée par la JVM d’une police d’assurance vie. Sur le plan fiscal, ce n’est que la valeur de rachat qui est prise en compte dans plusieurs calculs. Lorsque vient le moment de sortir une police d’une société, on appauvrit celle-ci d’un montant n’ayant jamais été considéré dans le passé. C’est comme si ce montant sortait d’une boîte à surprise.
Alors, y a-t-il un moyen d’éviter le pire ? Bien sûr. Ne jamais mettre une police d’assurance vie permanente dans une société qui risque d’être vendue ou liquidée par manque de fonds.
En conclusion, bien que certains transferts n’occasionnent pas de problèmes, il faut être aux aguets lorsqu’une police d’assurance vie doit sortir d’une société. Dans certains cas, la situation peut friser la catastrophe.
* Directeur planification financière et optimisation fiscale, SFL Expertise