La fiscalité applicable aux fonds communs de placement (FCP) d’un investisseur a beau ne pas être très complexe, il y a des situations qui méritent une attention particulière, car elles ne sont pas évidentes, par exemple lorsqu’un client emprunte pour investir dans un fonds qui effectue des remboursements de capital.
Avant de regarder comment sont traités les intérêts des emprunts effectués pour investir dans des FCP, revenons rapidement sur les caractéristiques des fonds avec remboursement de capital, communément appelés les fonds de série (ou de catégorie) T.
Le principe de base est simple : l’investisseur choisit un taux de distribution de son fonds. Ce taux se situe généralement entre 4 % et 8 %. Lorsque le fonds génère des revenus de placement, ces revenus sont distribués de la façon habituelle, que le fonds soit constitué en fiducie ou en société par actions.
Si ces revenus, exprimés en pourcentage, sont supérieurs au taux de distribution choisi, l’excédent sur ce dernier peut être versé ou réinvesti, au choix de l’investisseur. À l’opposé, si ces revenus sont inférieurs au taux choisi, la différence est payée sous forme de remboursement de capital. Ce remboursement diminue le prix de base rajusté (PBR) de l’investissement, soit son coût fiscal d’acquisition. Lorsque le PBR tombe à zéro, les distributions excédant le rendement sont du gain en capital, ce qui maintient ainsi le PBR à zéro.
Dans un autre ordre d’idée, on sait que les intérêts sur un emprunt peuvent être déductibles si certaines conditions sont remplies, notamment la condition selon laquelle l’argent emprunté doit être utilisé en vue de tirer un revenu d’entreprise ou de bien.
Dans ce cas, les intérêts sur un emprunt destiné à un investissement dans un FCP sont généralement déductibles. En fait, ils le sont à 100 % tant que l’on considère que le montant emprunté reste investi à 100 %.
La loi permet une déduction des intérêts dans certaines circonstances, mais dans bien des cas, on doit se rabattre sur des interprétations techniques et des positions administratives de l’Agence du revenu du Canada (ARC).
Lorsque des sommes provenant de l’investissement sont utilisées pour rembourser partiellement l’emprunt, il est important de démontrer le lien entre la réception et le remboursement, sinon on considérera que ces sommes sont utilisées à des fins personnelles, ce qui peut causer certains problèmes comme nous le verrons ci-dessous.
Le cas «clair» des revenus
Les revenus distribués par les FCP peuvent être utilisés à des fins personnelles sans entacher la pleine déduction, car le capital de l’investissement n’est pas touché. On peut toujours considérer que le montant emprunté sert en totalité à générer des revenus. Si les distributions de revenus sont encaissées, et non réinvesties, cela ne pose donc aucun problème. Si ces mêmes distributions sont réinvesties, les intérêts sur le prêt demeurent à plus forte raison entièrement déductibles.
Cependant, si des revenus ont été réinvestis et que, plus tard, des unités sont vendues, les règles sont moins claires. En fait, ma compréhension est que l’ARC semble traiter le capital de chaque retrait sans faire de distinction entre du capital qui proviendrait de revenus réinvestis et le capital initial.
Sur ce point, les FCP ayant bénéficié de réinvestissements ne seraient pas traités de façon cohérente selon un principe développé dans l’affaire Ludco, qui date de 2001. Dans cette affaire, on a développé le principe d’approche flexible pour établir un lien entre l’argent emprunté et des biens utilisés en remploi d’un bien initial. L’investisseur, selon ce principe, a le droit d’appliquer le solde de son prêt sur le bien de son choix, dans la mesure où la valeur de ce dernier est au moins égale au solde du prêt.
Sans entrer dans les détails, disons qu’il serait logique d’appliquer ce principe pour des FCP, même s’il s’agit de biens identiques, à la différence de l’affaire Ludco. Un contribuable aurait ainsi la possibilité, lors d’une vente de FCP à profit, de continuer à déduire 100 % des intérêts de son emprunt, tant que le solde de son compte serait au moins égal au solde de l’emprunt. En effet, les unités vendues pourraient n’être le fruit que des revenus de placements réinvestis au fils des ans, laissant le capital initial intact. Si vous connaissez une interprétation technique en ce sens, faites-le moi savoir, svp…
Le cas moins clair du capital
Lorsque des unités de fonds communs sont vendues, il y a une part de capital dans chacune. Les mêmes règles s’appliquent pour les distributions sous forme de remboursement de capital des fonds de série T. Lorsque du capital est remboursé à un investisseur, l’usage qu’il en fait déterminera si les intérêts sur son prêt continueront à être déductibles.
Or, tout le monde s’entend sur une chose : si le capital est utilisé à des fins non admissibles, comme des dépenses personnelles, les intérêts sur l’emprunt perdront une partie de leur déductibilité. Il faut donc faire attention avec ce capital : l’utiliser à des fins personnelles, comme le dépenser ou l’investir dans des outils qui ne génèrent pas de revenu d’entreprise ou de bien, «contamine» le prêt, et une règle proportionnelle doit être appliquée pour calculer le montant déductible.
Par exemple, si un montant de 50 000 $ est emprunté à un taux de 5 %, les intérêts déductibles sont de 2 500 $ la première année. Si, à la fin de l’année, un remboursement de capital de 8 %, soit 4 000 $, d’un fonds de série T, est utilisé à des fins personnelles par l’investisseur, seulement 92 % de ces intérêts (46/50), soit 2 300 $, seraient déductibles l’année suivante – sous réserve de ce qui suit. Après une quinzaine d’années de la sorte, plus aucun intérêt ne serait déductible.
Toutefois, là où les choses se corsent un peu et où les opinions divergent, c’est lorsque le remboursement de capital sert à rembourser le prêt. Yves Chartrand, fiscaliste au Centre québécois de formation en fiscalité (CQFF), a écrit de bons textes sur le sujet et il a finalement réussi à obtenir, après plusieurs interventions, une interprétation de l’ARC qui «limite les dégâts». L’ARC applique le gros bon sens pour la majeure partie – mais pas toute.
Ce gros bon sens nous dit que si on rembourse un prêt avec un remboursement de capital, les intérêts du prêt continuent d’être entièrement déductibles. Tout l’investissement provient initialement de l’emprunt qui est remboursé. Aucune somme empruntée ne sert à autre chose que de l’investissement.
Or, l’ARC ne voit pas les choses de cet oeil. Elle sépare l’emprunt en deux lors de ces remboursements : la partie originale et une partie composée du cumul des remboursements qu’elle considère ne pas être une «fin admissible». Or, pour ajouter à l’incohérence, elle sépare de nouveau les intérêts de cette deuxième partie du capital. Finalement, le montant qui contamine réellement le prêt n’est constitué que des intérêts cumulés de cette deuxième partie, et aucunement du capital. C’est un peu comme les revenus des revenus qui ne sont pas assujettis aux règles d’attribution.
On pourrait alors penser que ce montant, infime à première vue, n’a pas réellement d’impact. L’ARC, selon le texte du CQFF, a d’ailleurs fait des calculs internes qui arrivaient à une déductibilité de 95 % des intérêts après 11 ans. Est-ce bien le cas ?
Pour arriver à un tel résultat, il faut un fonds constitué en société qui ne fait aucune distribution, même pas de gains en capital. Si on utilise des hypothèses plus réalistes de distribution, le remboursement de capital étant plus faible, la proportion déductible des intérêts est plus élevée chaque année.
Selon mes calculs, on a besoin d’au moins une vingtaine d’années dans la grande majorité des cas avant que la portion déductible descende sous le seuil de 95 %. C’est donc réellement négligeable.
La morale de l’histoire est que si votre client emprunte pour investir dans des fonds de série (ou de catégorie) T, le remboursement de capital doit être soit réinvesti, soit appliqué au prêt pour conserver la totalité (ou presque) de la déduction des intérêts. Sinon, la proportion déductible fondra graduellement jusqu’à ce qu’elle disparaisse complètement.
N’oubliez pas, non plus, que le Québec limite la déduction aux revenus de placement d’une année, l’excédent pouvant être reporté trois ans dans le passé ou n’importe quand dans le futur.
* Directeur planification financière et optimisation fiscale, SFL Expertise