Comme vous le savez, le Régime de rentes du Québec sera bonifié à compter de l’an prochain. Les cotisations et les prestations seront plus élevées. Les impacts seront-ils importants ? Certainement pas à court terme, mais regardons quelques implications sur le plan de la planification financière de vos clients.
Pour ceux qui n’ont pas suivi le dossier, rappelons brièvement ces nouvelles règles, dont certaines entrent en vigueur dès 2019.
La bonification du régime comportera deux volets :
Premier volet : le pourcentage de remplacement des gains admissibles passera graduellement de 25 % à 33,33 %. Les cotisations totales de ce premier volet augmenteront progressivement de 2 points de pourcentage, portant le taux prévu à 12,8 %.
Deuxième volet : l’instauration d’un deuxième niveau maximal de gains admissibles (MGA), appelé maximum supplémentaire des gains admissibles (MSGA) plus élevé de 14 % que le MGA régulier. Les cotisations totales pour ce deuxième volet coûteront 8 %.
La mise en vigueur de ces deux volets sera terminée en 2025.
Rente bonifiée
Tout d’abord, sur le plan du bilan. Lorsque vous illustrez le bilan d’une personne, la valeur actualisée du RRQ devrait y apparaître. La valeur du bilan augmentera donc au rythme de la bonification des prestations. Il faut toutefois comprendre que l’augmentation de richesse illustrée dans le bilan sera amoindrie par l’épargne en moins qu’un client pourrait faire.
Dans une analyse de besoins financiers au décès, la rente de conjoint survivant sera plus élevée. Cela viendra donc réduire un peu le besoin d’assurance vie. Il en va de même pour le besoin de remplacement de revenus en cas d’invalidité.
À court terme, il faut être conscient que les chiffres ne changeront pas beaucoup. À titre d’exemple, en 2019, la rente de retraite maximale devrait être bonifiée d’environ… 1,45 $ par mois !
Cependant, avec le temps, la rente maximale devrait être bonifiée de l’ordre de 50 %, ce qui n’est pas négligeable pour la plupart des gens.
La question salaire/dividende sera évidemment touchée par ces nouvelles règles, ce qu’il est pertinent de considérer pour les clients entrepreneurs. Avec les nouvelles règles concernant la fiscalité des PME de même que les taux d’imposition projetés, le salaire gagne déjà du galon. La bonification du RRQ favorisera aussi davantage le versement du salaire.
Taux de rendement interne (TRI) du RRQ
Il deviendra nécessaire d’analyser encore plus attentivement le taux de rendement interne (TRI) d’une cotisation au RRQ dans l’avenir. Bien que ce type de calcul nécessite des hypothèses pour le futur, on devra considérer cet «investissement» avant de conseiller un client ayant le contrôle de sa rémunération.
Alors que les résultats peuvent déjà être très intéressants dans certains cas avec les règles actuelles, (personnes plus âgées, profils d’investisseur plus conservateurs), le nouveau RRQ sera encore plus avantageux.
La raison est simple :
Le taux actuel de cotisation est de 10,8 %. Or, le premier volet des nouvelles règles fait passer le remplacement de revenu de 25 % à 33,33 %, soit le tiers de plus. Et ce tiers additionnel ne coûte que 2 points de pourcentage de plus (12,8 %), soit beaucoup moins que le tiers de 10,8 %.
Le deuxième volet ne coûte que 8 % au lieu de 12,8 % pour le premier volet.
Pour que les différents TRI du RRQ aient été maintenus avec les nouvelles règles, il aurait fallu que le taux de cotisation, sur le plan du MGA, soit d’environ 13,5 % (1/3 de plus que 10,8 % de l’excédent de 3 500 $) sur tout le revenu admissible. Or, avec un taux de cotisation de 8 % pour le deuxième volet, on voit qu’on est loin d’exiger 13,5 %.
Afin de vous donner une idée des impacts sur le TRI du RRQ, j’ai fait un graphique qui indique le TRI d’une situation particulière selon différents âges de cotisation. Chaque point sur les courbes représente le TRI d’une seule cotisation annuelle supplémentaire faite dans le régime à un âge donné. La situation particulière comporte les hypothèses suivantes :
Le salaire est égal au maximum des gains admissibles (MGA) ;
La cotisation faite rapporte une pleine année de prestation additionnelle. Autrement dit, cette année de cotisation remplace une année qui compterait autrement comme nulle dans le calcul ;
La prise de retraite est à 65 ans ;
La rente cesse à 85 ans ;
Le taux d’augmentation du MGA est de 3 % par année.
À noter que la fiscalité a été ignorée. Pour faire une analyse plus rigoureuse de la question salaire/dividende pour les personnes en affaires, il faudrait considérer les autres éléments touchant le salaire, particulièrement la cotisation au Fonds des services de santé (FSS) qui est carrément «perdue», car elle ne donne aucune prestation en contrepartie. On pourrait ainsi la considérer quasiment comme une cotisation au RRQ, ce qui viendrait influer négativement sur le TRI.
La ligne bleue représente les TRI de la situation décrite avec les règles d’avant 2019. On voit donc que les différents TRI sont de l’ordre de 3 % et se terminent à un peu plus de 4 % pour une personne de 64 ans.
Comme on pouvait s’y attendre, la ligne rouge, représentant les nouvelles règles, est plus élevée que la ligne bleue. Ces résultats sont ceux qui s’appliqueront à compter de 2025 à cause de la progressivité de l’entrée en vigueur de ces mesures. On voit que les TRI sont plus de l’ordre de 4 % à 5 % et croissent jusqu’à un sommet de 8,80 % pour une personne de 64 ans.
Vous aurez deviné que si on déplace le moment du décès à 90 ans, les TRI augmentent. Par exemple, on atteint un taux de 9,82 % pour une personne de 64 ans. Évidemment, vous devriez faire des calculs personnalisés (âge de retraite et de décès) pour vos clients avant de les conseiller…
L’âge de la prise de la rente
«À quel âge devrais-je prendre ma rente ?» Cette fameuse question revient toutes les semaines dans mon bureau. La réponse plate est : «Dites-moi à quel âge votre client va mourir et je vous dirai à quel âge prendre sa rente».
Ici encore, il faut faire des hypothèses pour le futur, car il est évidemment impossible de savoir l’âge du décès d’un client. Il est certain que si vous faites une planification de retraite à votre client et que vous illustrez un décès à 95 ans, il aura avantage à reporter au maximum (70 ans) le début de sa rente. Il faut comprendre que le RRQ est «équilibré» : si un individu investissait le même montant que dans le RRQ à un taux de rendement moyen et qu’il décédait à un âge proche de son espérance de vie, les deux scénarios se ressembleraient. Cet individu réaliserait alors un rendement ressemblant à celui d’un profil d’investisseur modéré.
Par conséquent, vous n’êtes pas d’une grande utilité si votre seul conseil est que si votre client rend l’âme à 95 ans, il devrait attendre pour prendre sa rente de retraite.
En fait, la meilleure façon de répondre au client sur l’âge «idéal» pour sa prise de rente RRQ est d’actualiser actuariellement la valeur de son patrimoine (après impôt) selon tous les âges de décès possibles en testant tous les scénarios de début de rente entre 60 et 70 ans (121 scénarios). Vive les macros Excel ici ! Si vous n’avez pas les outils de calculs, ça peut être assez fastidieux, mais peut-être que l’investissement dans le développement d’un tel outil en vaut la peine.
Ainsi, en utilisant une table de mortalité courante, il s’agit, pour chaque âge de début des prestations du RRQ, de multiplier la valeur du patrimoine net par la probabilité de décéder à chaque année et d’additionner le tout. Il y aura forcément l’un des scénarios qui sortira gagnant du lot et ce sera l’âge optimal auquel votre client doit faire sa demande.
À mon avis, c’est la meilleure façon de répondre à la fameuse question pour deux raisons :
La rente du RRQ est intégrée à sa planification. L’impôt est donc calculé précisément à chaque année du vivant et au décès.
Aucune présomption n’est faite sur l’âge du décès.
Évidemment, si votre client est un athlète ou qu’il a une espérance de vie réduite, vous pourrez ajuster la table de mortalité afin de refléter sa situation propre.
Avec les nouvelles règles, il devient plus compliqué de parler de la question du RRQ avec les clients. Une chose demeure cependant : il faut utiliser des projections pour en connaître les impacts. Bonne réflexion !
* Directeur, planification financière et fiscale, Centre financier SFL, Cité de Montcalm