L’ordonnance Norwich permet à un demandeur d’obtenir des renseignements d’une tierce partie grâce auxquels il peut identifier l’auteur d’un acte fautif et être informé du dépôt de poursuites à l’encontre de ce dernier.
Le principe fondamental qui sous-tend l’ordonnance Norwich est que la partie contre laquelle l’ordonnance est demandée a une obligation d’aider le demandeur à faire valoir ses droits.
Les critères nécessaires pour obtenir une telle ordonnance sont les suivants :
- le demandeur doit avoir une réclamation bona fide ou une réclamation potentielle contre un auteur de l’acte reproché ;
- le défendeur à la procédure Norwich est dans une certaine mesure impliqué dans l’acte reproché ;
- le défendeur à la procédure Norwich est la seule source pratique de l’information nécessaire ;
- les intérêts de la partie qui demande la divulgation doivent être proportionnels aux intérêts du défendeur à l’instance, y compris son intérêt à la protection de la vie privée et à la confidentialité, et tout intérêt public qui justifierait la non-divulgation ; et
- l’intérêt de la justice.
L’affaire Harrington Global Opportunities Fund c. IIROC
À la suite de la chute substantielle de la valeur des actions de Concordia International Corp. («Concordia») que les fonds d’investissement Harrington Global Opportunities Fund et Harrington Global Limited («Harrington») croyaient être le résultat d’une manipulation intentionnelle et illégale découlant d’une cabale de courtiers qui auraient conspiré pour faire chuter la valeur de ces actions, Harrington a obtenu de l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM), par l’intermédiaire d’une ordonnance Norwich, un rapport sur les transactions, les ordres et les cotisations («rapport TOQ») contenant des données sur l’ensemble des opérations effectuées, à l’exception des noms des courtiers et des clients, chez Concordia entre le 1er avril 2015 et la fin de juin 2016.
L’OCRCVM doit surveiller l’activité commerciale et s’assurer que les opérations sont conformes aux lois provinciales sur les valeurs mobilières et aux Règles universelles d’intégrité du marché (RUIM). L’organisme a donc poursuivi sa propre enquête et a conclu qu’il n’y avait pas eu de manipulation du marché et que toute vente à découvert des actions de Concordia était conforme aux règles du marché.
L’enquête parallèle de Harrington, entreprise par Bates Group LLC, a mené à la conclusion que les données communiquées par l’OCRCVM étaient inadéquates pour permettre de déterminer s’il y avait effectivement eu une manipulation illégale du marché. À la suite d’une demande faite par Harrington, l’OCRCVM a refusé de divulguer plus d’information. Harrington a donc modifié sa demande pour une ordonnance Norwich, afin d’obtenir une ordonnance obligeant l’OCRCVM à fournir toutes les données en sa possession relatives aux opérations mentionnées dans le rapport TOQ, y compris les noms des courtiers inscrits et des clients qui participent aux opérations.
Le critère de proximité
Le critère le plus important pour obtenir une ordonnance Norwich, selon le juge Perell de la Cour supérieure de l’Ontario, est l’existence d’un lien ou une relation entre la cible de l’ordonnance et l’acte reproché de sorte qu’elle facilite la perpétration de l’acte reproché.
Dans cette affaire, il y a eu un débat approfondi sur la question de savoir si le rôle de l’OCRCVM en matière de réglementation du marché a facilité les actes reprochés.
Le tribunal estime que la question à se poser dans le cas d’un organisme de réglementation consiste à déterminer si l’organisme, exerçant ses activités dans le secteur du droit public, devrait ou non avoir l’obligation de divulguer des renseignements commerciaux à un investisseur qui envisage d’intenter une action en responsabilité délictuelle de droit privé.
Le juge Perell répond à cette question par la négative, notant qu’en tant qu’organisme de réglementation, l’OCRCVM était effectivement obligé d’enquêter sur la plainte de Harrington, mais que c’est à l’OCRCVM qu’il appartenait de décider comment s’acquitter de cette obligation et des modalités de l’enquête.
Selon le tribunal, l’utilisation d’une demande d’ordonnance Norwich en l’espèce est en quelque sorte assimilable à une forme de contrôle judiciaire de la probité de l’enquête de l’OCRCVM et de son rôle réglementaire. Harrington demande à la Cour de peser le pour et le contre de sa critique de l’enquête et des conclusions de l’OCRCVM. Le tribunal a rejeté le recours et a déterminé qu’il ne s’agissait pas d’une utilisation appropriée d’une ordonnance Norwich.
En terminant, il importe de noter qu’il s’agit d’une décision ontarienne et que les règles pourraient être interprétées différemment par les tribunaux de droit civil québécois.
*associée chez McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l. avec la participation de Dominique Paiement, stagiaire
Le présent article ne constitue pas un avis juridique.