Les personnes fortunées ayant des liquidités importantes n’ont généralement pas besoin de souscrire à une assurance vie, car elles n’ont pas réellement besoin d’une injection de liquidités au moment de leur décès.
Elles y ont souvent recours soit pour s’assurer de léguer une somme d’argent en particulier à un être cher, soit pour léguer une somme importante à une fondation privée ou à un organisme de charité, ou tout simplement pour mettre de côté la somme qu’elles souhaitent léguer en héritage.
Selon la règle générale, au moment de son décès, une personne est réputée disposer de tous ses biens à leur juste valeur marchande. Cette disposition réputée peut entraîner la réalisation de gains en capital imposables et de revenus. Il existe une exception lorsque les biens sont transférés à un conjoint survivant (y compris un conjoint de fait au sens de la Loi de l’impôt sur le revenu (LIR)) ou à une fiducie au profit du conjoint ; l’impôt peut être reporté jusqu’au décès du conjoint survivant.
Les actions de sociétés privées peuvent de plus être assujetties à une double imposition au décès, soit par la réalisation d’un gain en capital et l’impôt sur les gains lors de la disposition présumée et par le versement d’un dividende réputé imposable à la succession, lorsque les actions sont rachetées par la suite.
Il existe actuellement des stratégies fiscales post-mortem, soit le pipeline ou la stratégie de rachat et report de pertes dite 164(6) LIR, permettant de réduire la facture fiscale lors d’un décès, ce qui laisse davantage en héritage à la succession. Ces stratégies fiscales sont généralement optimales lorsqu’elles sont combinées à de l’assurance vie.
Conséquemment, la planification successorale d’un entrepreneur devrait comprendre une simulation de son décès avec ou sans assurance vie, et ce, malgré le solde de placements important qu’il pourrait y avoir dans la société de gestion.
Lors de cette analyse, pour avoir un portrait juste de la situation au décès, il est important de considérer la structure d’entreprise et les soldes fiscaux (impôt en main remboursable au titre de dividendes (IMRTD), compte de dividendes en capital (CDC) et compte de revenu à taux général (CRTG)) de la société dans laquelle on envisage souscrire l’assurance vie. Il faut aussi considérer que le montant de l’assurance vie ne doit pas être exagéré et doit être calculé avec soin. En effet, dans un contexte d’entreprise, le montant d’assurance vie ne doit pas excéder 50 % de la valeur de la société (règle du 50 %) afin d’éviter l’application des règles de minimisation des pertes.
De plus, pour faire une analyse complète et sur mesure, la situation matrimoniale, les volontés successorales, les avoirs, la répartition de l’actif, y compris celle du portefeuille détenu dans la société de gestion et les besoins en liquidités, sont aussi des éléments clés à considérer.
Cas concret
Voyons un exemple. Prenons le cas d’un homme de 72 ans détenant des actions privilégiées de gel ayant une valeur marchande de 25 M$ et un coût de base d’une valeur nominale (100 $), comme c’est souvent le cas lors de gel sans cristallisation. Il a une conjointe âgée de 71 ans à qui il souhaite léguer ses biens à son décès.
Le couple a une espérance de vie de 21 ans selon les tables de mortalité, et le besoin d’assurance est requis au second décès, soit au moment où les impôts seront exigibles.
La valeur des actions privilégiées de gel détenues par monsieur reflète un placement de 15 M$ détenu dans sa société de gestion et les actions de gel ayant une valeur de 10 M$, que la société de gestion détient dans la société opérante. Ces dernières actions de 10 M$ ne seront pas liquidées ni rachetées au décès de monsieur, pour diverses raisons.
Même si ces actions ne sont pas liquidées au décès de monsieur, leur valeur sera imposable à son décès ou au décès de sa conjointe. Cette facture d’impôt latente au dernier décès crée donc un besoin de liquidités, qui peut être financé par de l’assurance vie.
Lire notre dossier complet – Planification familiale 2018
Lors de l’étude du dossier, le solde du compte de dividende en capital (CDC) est à 164 005 $, et le solde de l’IMRTD est de 526 574 $. Dans ce cas précis et pour refléter les besoins de liquidités de l’actionnaire, une rotation du portefeuille de 15 % est considérée et un dividende du CDC lui est versé annuellement. Cette analyse considère aussi la mise en place de la stratégie fiscale post-mortem de rachat et report de pertes, selon le paragraphe 164(6) de la LIR, ainsi que la récupération de l’IMRTD.
Outre le montant approprié d’assurance vie déterminant le besoin de liquidités dans un tel contexte, il est important de trouver le produit d’assurance le plus adéquat par rapport à cette situation. Conséquemment, il est important d’analyser plusieurs produits.
Avec un besoin permanent, un solde important de placements dans une structure organisationnelle avec des actions de gel et une fiducie familiale, il vaut mieux analyser les produits d’assurance procurant une protection la vie durant, payable dans ce cas-ci au dernier décès entre monsieur et madame. Deux options semblent donc être intéressantes, soit l’assurance vie universelle et l’assurance vie entière.
L’assurance vie universelle permet une grande flexibilité, car le client peut choisir lui-même ses placements parmi la gamme offerte par l’assureur. Cependant, le client prend le risque sur le plan des rendements, qui peuvent être négatifs dans certains cas.
L’assurance vie entière est généralement plus stable, puisque l’assureur fait le choix des placements et que le rendement ne peut être négatif. Ce produit requiert un investissement plus élevé.
Bien que l’aspect fiscal soit important, c’est le résultat financier qui doit dicter la décision, tant sur le montant optimal à souscrire que sur le type de produit à choisir.
La vie entière se démarque
Nous avons analysé, à différents moments, le montant des liquidités qui appartiendront à la succession selon différents scénarios. Nous avons analysé l’absence d’assurance, si le couple souscrit à une vie entière avec capital assuré de 5 M$ et de 8 M$, ou si le couple souscrit à une vie universelle avec capital de 8 M$. Dans tous les cas, la prime est payable pendant 10 ans. La prime annuelle de la vie entière de 5 M$ s’élève à 463 725 $, celle de la vie entière de 8 M$, à 741 945 $, et la prime de la vie universelle de 8 M$, à 442 436 $.
Les résultats de cette analyse, dont nous vous épargnons les détails, montrent que, malgré le solde important de placements dans la société de gestion et la stratégie de gel successorale mise en place, sans la souscription d’assurance vie, la succession aurait un manque de liquidités si le décès survenait d’ici dix ans et que la société était liquidée.
Dans ce cas précis, la souscription à de l’assurance vie universelle donne de meilleurs résultats financiers en cas de décès au cours des dix premières années et l’assurance vie entière donne les meilleurs résultats financiers à long terme dans ce contexte. Une autre structure d’entreprise et des besoins successoraux différents pourraient donner des résultats financiers différents.
Par conséquent, puisque chaque situation est unique, elle doit faire l’objet d’une analyse détaillée particulière afin de conseiller judicieusement un client entrepreneur. Les nouvelles mesures concernant les revenus passifs qui devraient être annoncées lors du prochain budget fédéral donneront sans doute des résultats financiers différents. C’est la preuve que, pour conseiller judicieusement, il faut toujours retourner à la planche à dessin ! NDLR : Le texte a été mis sous presse avant la diffusion du budget fédéral de 2018. FI
*Annie Boivin, vice-présidente, planification fiscale et successorale, Gestion de patrimoine TD, a écrit ce texte en collaboration avec Annie Bélanger, de Gestion de patrimoine TD.