Ce dernier se réfère à une récente allocution publique de la sous-gouverneure Carolyn A. Wilkins, de la Banque du Canada. Celle-ci a alors constaté que l’inflation au Canada se maintient depuis quelque temps déjà dans la moitié inférieure de la fourchette cible qui va de 1 à 3 %. Or, notre banque centrale accorde plus de poids au risque que l’inflation baisse encore plus, et même qu’elle sorte de la fourchette inférieure lorsque celle-ci est faible comme présentement. De plus, les tensions géopolitiques existantes et l’avenir imprévisible d’accords tel que l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA) appellent à la prudence.
Soyons francs, ça fait un bail que les experts annoncent un retour du balancier, une normalisation des taux d’intérêt chez nous et dans les pays industrialisés. «On préfère employer les termes retour vers la neutralité», indique Benoît Durocher. Ce taux cible neutre, estimé par les autorités monétaires, est celui qui ne stimulera pas l’économie ni ne la ralentira. «Au Canada, il se situe entre 2 % et 3 %», note Richard Beaulieu, économiste principal chez Addenda. Le taux cible au pays se situait à 1 % au moment de mettre sous presse.
Selon ces deux analystes, dans le marché obligataire, il faut s’attendre à un passage à vide et à des rendements faibles, voire négatifs, au cours des prochaines années. Rappelons que le prix des obligation baisse lorsque leur rendement augmente. Pourquoi un tel scénario ? Notamment en raison d’une courbe obligataire qui n’escompte pas beaucoup de hausses de taux. Par exemple, le rendement d’une obligation 5 ans du gouvernement canadien se situe près de 1,65 %, alors que les bons du Trésor un an oscillent autour de 1,35 %. Dans le terme de 10 ans, on a des taux qui étaient aux environs de 1,85 % récemment (mi-novembre). «Il n’y a pas beaucoup de prime de risque ou de coussin de protection dans le marché. Si nos anticipations à l’égard des taux futurs changent un peu, les obligations seront vulnérables», souligne Richard Beaulieu.
Chez Fiera Capital, on pense que la bonne conduite de l’économie canadienne et de l’économie mondiale de 2017 se poursuivra en 2018, ce qui incitera les banques centrales à resserrer davantage les conditions monétaires. Ce scénario est peu favorable aux obligations sensibles aux mouvements de taux d’intérêt. «On croit que la Réserve fédérale américaine rehaussera les taux courts jusqu’à 2 % d’ici la fin de l’année 2018. Au Canada, la banque centrale devrait hausser son taux directeur deux ou trois fois également. L’inflation, qui était contenue cette année, pourrait remonter autour de 2 % et même un peu plus haut», prévoit François Bourdon, chef des placements global chez Fiera Capital.
Gérer la duration du portefeuille
Au cours des prochains mois, le client de détail voudra donc jouer de prudence en se tournant du côté des obligations avec de plus courtes échéances. «On pourrait opter pour un FNB d’obligations de sociétés de qualité dont les termes sont de 5 ans et moins», suggère Richard Beaulieu. Celui-ci croit qu’à ce stade avancé du cycle économique, les obligations à rendement élevé sont plus risquées. Si une correction boursière ou même une récession survient, ce type de crédit sera plus vulnérable, spécialement du fait que les écarts se sont passablement resserrés les dernières années. «Il faudra aussi tenir compte de la capacité de l’investisseur de détail à subir une perte en capital», prévient-il.
Il sera donc sensé de garder la duration du portefeuille assez courte au cours des prochains mois, soit autour de trois ou quatre ans, renchérit François Bourdon. «Les obligations à rendement réel du gouvernement du Canada devraient également bien performer si l’inflation reprend», croit-il. Il en existe dans le terme de 5 ans (durée d’environ 4 ans). La différence entre le rendement d’une obligation à rendement nominal et celui d’une obligation à rendement réel sera le taux d’inflation anticipé. «Cet écart se situe présentement à 1,44 %, alors que la Banque du Canada vise un taux d’inflation de 2 %. On pense que sur une période de 5 ans, l’inflation sera plus élevée. Même si le rendement avant l’inflation est de 25 points de base plus l’inflation, c’est une valeur refuge à considérer en cas de crise afin de protéger le portefeuille contre une hausse du coût de la vie. Il s’agit de crédit de première qualité», souligne-t-il.
Primordiale, la qualité du crédit
Quant aux écarts de crédit entre les obligations de première qualité et les autres, le gros du resserrement des écarts est derrière nous. «Le citron a été pas mal pressé depuis 2009. On pourrait même voir un léger élargissement l’an prochain. Ceci ne veut pas dire qu’on doit bouder le crédit pour autant, mais plutôt qu’il faut être sélectif et regarder du côté des obligations de première qualité (investment grade)», remarque François Bourdon. Tout comme l’an dernier, le secteur énergétique et les pipelines ont la faveur des gestionnaires de Fiera Capital.
«Les investisseurs sont présentement complaisants, croit Marc-André Gaudreau, vice- président et gestionnaire de portefeuille chez Fonds Dynamique. Le marché s’attend à ce que tout se passe bien. La volatilité est d’ailleurs à son plus bas niveau depuis plusieurs décennies. La probabilité que 2018 ne soit pas une continuité de 2017 est donc assez élevée.» Ceci notamment en raison des grandes banques centrales qui vont cesser en 2018 leurs programmes de rachats de titres. La qualité du crédit sera, selon lui, un enjeu primordial l’an prochain.
«Les écarts de crédit corporatifs de l’indice Univers (FTSE/TMX Canada) ont diminué de plus de 20 points de base en 2017. Il semble donc y avoir moins de possibilités de baisses de grande ampleur, mais le marché demeure réceptif, surtout si la réforme fiscale aux États-Unis va de l’avant et stimule davantage le marché boursier», affirme Karin Sullivan, Gestionnaire de portefeuille principale, Revenu fixe et co-Chef, Obligations de sociétés chez Addenda Capital. Les écarts sont encore supérieurs de 10 points de base à leur creux d’après-crise atteint en 2014 alors qu’aux États-Unis, ils ont atteint un creux avant de remonter un peu, ajoute la spécialiste.
Qu’en est-il des primes de risque des obligations provinciales, soit l’écart en points de base au-dessus des obligations gouvernementales canadiennes ? «Elles ont fortement diminué en 2017. La compression des écarts s’est effectuée pour l’ensemble du secteur (d’ouest en est du pays), alors que les obligations des provinces productrices de pétrole (Alberta, Saskatchewan et Terre-Neuve et Labrador) dégageaient les meilleurs rendements. Et 2018 sera une année d’élections et bien malin celui qui prédira correctement les résultats au Québec et en Ontario ! Cette période pourrait être volatile offrant ainsi des occasions d’investissement», indique Barbara Lambert, Gestionnaire de portefeuille principale, Revenu fixe chez Addenda Capital.
Diversifier à l’international
Puisque le Canada ne représente que 3 % du marché obligataire mondial, on peut se demander si le terreau est plus fertile ailleurs. Les obligations étrangères ont d’ailleurs connu de très bonnes performances l’an dernier. «Plusieurs pays, notamment la Grèce qui est en défaut continuel, ont réussi à se financer pour 15 ans à 5,64 %. Dans ce cas précis, cela nous apparaît insensé, mais d’autres titres de dette souveraine sont attrayants, comme le Mexique et la Pologne, affirme François Bourdon. Un petit investisseur préfèrera évidemment avoir un portefeuille d’obligations internationales bien diversifié en achetant, par exemple, un FNB qui a une exposition tactique permettant de réagir rapidement lorsqu’il y a une crise.»
«Pour un épargnant canadien, le marché obligataire international ne semble pas offrir beaucoup de valeur présentement», affirme Richard Beaulieu. Il faudra tenir compte du risque politique et de la volatilité des devises qui est souvent supérieure aux rendements obligataires. Par exemple, les primes de risque et les taux sont également faibles un peu partout en Europe. Addenda Capital préfère plutôt faire des incursions tactiques à l’international. On tiendra alors compte du risque de devise en le couvrant en totalité ou en partie, selon les coûts de couverture.
L’attrait des actions privilégiées
Dans un contexte de remontée des taux d’intérêt, 2018 risque d’être encore favorable aux actions privilégiées à taux révisable, et ce, malgré la très bonne performance de ces titres l’an dernier. «Ce pourrait être la catégorie d’actif de revenu fixe qui performera le mieux au cours de la prochaine année, mais la volatilité risque également d’être plus forte. Avec des taux plus élevés, une inflation qui reprend, on pense que ces titres sont attrayants par rapport aux titres obligataires d’entreprises», remarque François Bourdon.
Les actions privilégiées à taux révisables tous les cinq ans et qui se négocient sous la valeur au pair offrent encore une bonne valeur si les taux d’intérêt montent, confirme Marc-André Gaudreau : «Par exemple, si je possède une action privilégiée qui se négocie sous le pair et dont le taux est révisé dans 2 ans et que les taux montent, il pourrait survenir deux choses à la date de révision : le taux de dividende sera plus élevé parce que le taux des obligations gouvernementales de 5 ans escompte des hausses. Je suis donc content d’augmenter mon rendement. Si l’émetteur préfère racheter le titre, ce n’est pas grave puisque je vais faire un gain en capital.»
Par ailleurs, le comportement de ces titres dépendra de plusieurs facteurs, comme la cote de crédit de l’émetteur, le taux de dividende, les conditions de réinitialisation (niveau de l’écart au-dessus des obligations du Canada), les clauses de rachat ainsi que l’offre et la demande. «Vu le stade avancé du cycle économique, on voudra détenir des titres de bonne qualité et on privilégie au Canada le secteur non financier, comme les pipelines», souligne le spécialiste. Les actions privilégiées du secteur bancaire américain sont également attrayantes puisque le consommateur américain est moins endetté que le canadien, dit-il. Il existe des FNB d’actions privilégiées, notamment à taux révisables, qui permettent de diversifier le risque de crédit.