Parfois, des investisseurs montrent la porte à leur gestionnaire de portefeuilles à cause de rendements insuffisants au cours des trois ou quatre années précédentes. Erreur.
La perception d’un rendement trop faible tient à peu. «On juge le rendement du gestionnaire au cours des trois dernières années et, s’il est sous son indice de référence, on lui montre la porte», dit Richard Guay, professeur de finance à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM. «Et on se met à la recherche d’un autre qui va mieux performer que l’indice», complète-t-il.
Un tel jugement est carencé et erroné. Et si des acteurs aussi avertis que des investisseurs institutionnels tombent dans ce piège, c’est encore davantage le cas des investisseurs individuels, rapporte une étude de la firme californienne Research Affiliates («Is Manager Selection Worth the Effort for Financial Advisors ?», 2018).
Or, «larguer les « faiblards » des dernières années pour recruter les champions de l’heure a plus de chances d’affaiblir la performance que de la renforcer», fait ressortir Dan Hallett, vice-président et directeur chez HighView Financial Group. Celui-ci se base sur une étude du Employee Benefit Research Institute qui compare la performance de gestionnaires fraîchement recrutés et affichant une feuille de route musclée au cours des deux ou trois années précédentes à celle de gestionnaires remerciés, dont la feuille de route est sous les moyennes. «Il est frappant de constater que les gestionnaires remerciés ont tendance à surperformer par rapport aux nouveaux venus un, deux et trois ans plus tard», commente Dan Hallett.
Ceci s’explique, entre autres, par la tendance à revenir à la moyenne, selon laquelle les variables qui ont fluctué considérablement tendent à converger vers la moyenne avec le temps. Certaines études montrent que cette tendance s’applique aussi aux rendements des portefeuillistes.
Évidemment, le congédiement d’un gestionnaire est tout à fait légitime, à la condition qu’on le fasse pour les bonnes raisons. Quelles sont-elles ? D’abord, un récent sondage du CFA Institute nous apprend que les failles de données et de confidentialité forment maintenant le principal motif de congédiement chez les investisseurs institutionnels.
De plus, la performance des quelques dernières années n’est certainement pas suffisante. Même la performance des 10 à 15 années précédentes ne suffit pas non plus. «Elles ne sont pas significatives statistiquement», note Dan Hallett. «Pour vraiment déterminer si une performance tient au talent et pas simplement à la chance, il faut des rendements s’étalant sur 30 ans», ajoute Richard Guay.
Pas évident. Il faut donc analyser d’autres facteurs. Un premier à retenir tient au style du gestionnaire, et au fait que ce style ait perdu en faveur pour une période de temps. «C’est la principale raison qui explique la sous-performance», soutient John West, directeur exécutif, chef des stratégies client, chez Research Affiliates.
Une question de style
«Si un style particulier a souffert au cours des trois dernières années, il reprend souvent de la vigueur au cours des années suivantes», ajoute Richard Guay.
Une analyse approfondie des achats et des ventes de titres d’un gestionnaire s’impose, selon Richard Guay. La contre-performance s’explique-t-elle par une série de mauvais choix – indiquant un talent moindre – ou ne découle-t-elle que d’une ou deux erreurs plus importantes – indiquant davantage un manque de chance. «Un gestionnaire pourrait mieux performer que l’indice avec 98 titres sur 100, explique l’universitaire, mais un très mauvais rendement sur deux titres seulement pourrait le caler.»
Dan Hallett conseille de porter le regard sur un cycle de marché complet, allant de la correction ou du krach précédent jusqu’à aujourd’hui – et non pas sur un cycle économique, habituellement plus court. Si un gestionnaire a connu deux fins de cycle, c’est d’autant mieux. Il faut alors poser quelques questions clés : comment a-t-il résisté à la baisse ? A-t-il su profiter de la reprise ? A-t-il simplement vogué sur certaines montées faciles ou a-t-il su dénicher les occasions ? Comme dit l’adage : «C’est la tempête qui révèle le bon capitaine.»
L’attention portée aux gestionnaires est malvenue, croit Guy Mineault, économiste, formateur et professeur retraité de l’Université Laval. Il faut plutôt se concentrer sur les fonds eux-mêmes à la lumière de huit critères. Parmi ceux-ci, on note le ratio cours-bénéfice du portefeuille comparé à celui de la moyenne du secteur. «Si le ratio est élevé, le portefeuille risque d’avoir un potentiel de hausse limité», note-t-il.
On veut aussi connaître le pourcentage d’encaisse. Trop élevée en période d’embellie boursière, elle annonce un trop grand conservatisme, mais devant une tempête qui s’annonce, elle laisse prévoir qu’une reprise sera profitable. Et il ne faut surtout pas se braquer sur des frais de gestion apparemment trop élevés, un thème très galvaudé à l’heure actuelle, selon Guy Mineault : «Si un fonds donne un rendement de 13 %, je me fous bien que ses frais de gestion soient de 3 %, mais pas s’il a un rendement de seulement 4 %.»
Ce qui nous amène à la question : si un gestionnaire mérite d’être congédié, vaut-il mieux lui substituer un fonds négocié en Bourse (FNB) de type «plain vanilla», qui reproduit le rendement de son indice de référence moins les frais de gestion ? La question est valable quand on considère que, sur une période de 10 ans, l’indice S&P/TSX a mieux performé que 91,86 % des fonds d’actions canadiennes à gestion active, selon un récent rapport «SPIVA Canada Year-End 2017 Scorecard» de S&P Dow Jones Indices. Sur la même période, 22,4 % des fonds d’actions canadiennes de petites et moyennes capitalisations gérés activement ont surpassé le rendement de l’indice S&P/TSX Completion et 1,67 % des fonds d’actions américaines gérés activement ont déclassé l’indice S&P 500 (CAD).
Les possibilités de trouver un fonds à gestion active qui battra son indice de référence semblent minces. Le recours aux FNB semble donc aller de soi. Mais tout dépend de l’attitude d’un investisseur et de son désir de surperformer, fait remarquer un blogue sur le site du CFA Institute. Le rendement médian des fonds d’actions américaines au cours des 10 dernières années a été de 7,94 %, y lit-on. Toutefois, les fonds dans le quart supérieur ont donné un rendement d’au moins 10 % durant cette période, une différence de 2,06 points de pourcentage qui, dans un portefeuille de 100 000 $, donne au bout de dix ans un supplément de 22 618 $. «Cette surperformance vaut-elle la peine qu’on la cherche ?» demande l’auteur, Russell Campbell. L’investisseur qui répond par l’affirmative a tout avantage à miser sur la gestion active. Celui qui répond par la négative prendra le chemin de la gestion indicielle.