Ces réformes ont forcé les banques à apparier une certaine partie de leurs capitaux propres pour chaque dollar prêté, à ne pas dépasser un ratio de levier précis et à attribuer le capital proportionnellement au niveau de risque des prêts.

Les banques doivent donc restreindre leurs activités commerciales ou lever du capital pour augmenter leurs actifs (dont les prêts font partie). Lever des capitaux propres a un coût, et ce coût est encore plus élevé pour des prêts plus risqués, puisque davantage de capital doit être attribué à ces emprunts.

Ces facteurs ont amené les institutions financières à resserrer leurs critères pour consentir des prêts. En conséquence, des prêteurs «alternatifs» ont émergé.

Plus qu’une mode

Cela dit, les prêts privés ne sont pas forcément de mauvais prêts, sous prétexte que les banques les auraient boudés parce qu’elles les jugent trop risqués. Souvent, les besoins en financement des entreprises nécessitent une flexibilité que les banques ne peuvent offrir.

Par exemple, les critères des banques exigent de leurs emprunteurs des ratios de capitaux propres que de nombreuses entreprises en croissance n’atteignent pas toujours. Également, les entreprises peuvent avoir besoin des prêteurs non bancaires parce que les actionnaires ne veulent pas lever des capitaux propres et que leur participation se trouve diluée.

De plus, une banque peut parfois prendre des semaines, voire des mois, avant d’accorder un prêt. De leur côté, les entreprises souhaitent profiter d’occasions ou doivent réaliser certaines transactions dans des délais plus courts.

Également, il y a plusieurs secteurs dans lesquels les banques n’ont pas d’expertise leur permettant de bien évaluer le risque. Elles ont aussi parfois eu de mauvaises expériences dans certains secteurs et ont décidé de s’en retirer. Ces éléments créent de l’espace pour des prêteurs privés capables de bien évaluer le risque et de faire le suivi de créances dans des secteurs spécifiques.

De l’autre côté de l’équation, les épargnants cherchent des façons d’obtenir des rendements attrayants compte tenu des bas taux d’intérêt. Depuis plusieurs années, une prise de risque accrue s’est effectuée dans le marché des obligations à haut rendement, ce qui a le potentiel de hausser significativement la volatilité en cas d’incertitude sur les marchés publics. Les titres à haut rendement sont liquides puisqu’ils se négocient sur un marché organisé, mais ils le sont beaucoup moins qu’auparavant et la liquidité peut s’effriter rapidement dans une crise de crédit.

Dans ce contexte, des solutions de rechange permettant de bonifier le rendement tout en limitant la volatilité peuvent être alléchantes.

Les institutionnels, premiers dans la danse

Ce sont surtout les investisseurs institutionnels qui ont été les premiers à s’intéresser aux prêts privés. Bien que les financements les plus importants se fassent directement de gré à gré, surtout chez les gros investisseurs disposant d’équipes complètes pour ficeler des transactions d’envergure, de nombreux gestionnaires de fonds de dette privée obtiennent leurs premiers engagements significatifs de caisses de retraite ou de fonds de fonds. Ce phénomène crée un climat de confiance important pour attirer de nouveaux investisseurs.

Le volume de prêts privés a presque quadruplé entre 2006 et 2016, selon la société Preqin, un des plus importants fournisseurs de données en placement alternatif. Cette firme note à la fois cette forte augmentation du volume, mais aussi l’intention, de la part des investisseurs institutionnels, de maintenir ou d’augmenter l’exposition à cette catégorie d’actifs dans l’avenir.

Actuellement, une démocratisation de ce marché s’effectue grâce aux fonds offerts par notice d’offre aux investisseurs accrédités.

Large éventail d’actifs potentiels

Les fonds maintenant disponibles sont assez variés, mais divisés en quelques grandes catégories. Celle qui en compte le plus est certes celle du prêt immobilier. On peut penser, entre autres, à la société Romspen et à son fonds de prêts commerciaux à court terme, son seul fonds distribué, dont l’actif est d’environ 2 G$. D’un certain intérêt est également le fonds d’hypothèques résidentielles Westboro, distribué par Kensington Capital, qui est plus petit et concentré sur des prêts hypothécaires aux particuliers dans les régions d’Ottawa-Gatineau et de Kingston. Ou encore les produits de Trez Capital, société offrant divers fonds à degrés de risque variables en prêt immobilier commercial. Un rare acteur de cette catégorie qui soit suivi par Morningstar est le fonds d’hypothèques commerciales ACM, un des principaux prêteurs alternatifs au Canada avec environ 2,5 G$ d’actifs.

Chacun de ces fonds a un processus d’investissement précis et un degré de risque qui lui est propre. Certains d’entre eux ont une concentration géographique ou sectorielle, tandis que d’autres sont très diversifiés. Certains fonds financeront davantage des terrains, d’autres financeront plutôt des bâtiments ou de la construction, par exemple.

Sans surprise, on peut généralement établir une corrélation entre le degré de risque et le rendement obtenu. Cependant, l’expérience du gestionnaire, le bassin de possibilités lié à ses contacts et à sa notoriété, ses critères d’investissement et l’expertise qu’il est en mesure de «monnayer» par des taux d’intérêt plus élevés aux emprunteurs qui font affaire avec lui sont autant de facteurs qui peuvent permettre à un gestionnaire d’avoir de meilleurs rendements qu’un concurrent sans toutefois prendre de risques supplémentaires.

Une autre catégorie de prêt privé est le prêt adossé à des actifs. SPR & Co, auparavant connue sous le nom de Sprott Asset Management, offre deux fonds de ce genre, soit le fonds de revenu Bridging et la fiducie de crédit privé TEC. Le fonds Bridging utilise une stratégie de prêts à court terme, dont la moitié est du financement de comptes à recevoir par l’intermédiaire de l’affacturage, et l’autre moitié des prêts garantis par des actifs.

Le fonds de crédit privé est quant à lui plus créatif : il fait des prêts de durées flexibles (de 1 à 24 mois) en attribuant une valeur à des actifs qui ont été boudés par les banques pour des raisons de perception de risque que le gestionnaire juge erronées. Ces deux fonds ne font le plus souvent aucun prêt immobilier et sont diversifiés sur le plan sectoriel. SPR & Co a également bâti un fonds de revenu fixe alternatif dans lequel ces deux fonds comptent pour les deux tiers, avec comme dernier tiers deux fonds d’obligations négociées sur le marché public, mais qui sont gérés à la façon d’un hedge fund.

Il existe une panoplie de fonds spécialisés. Mentionnons notamment le Crystal Wealth Media Fund ou le Qwest Productivity Media Fund, deux fonds spécialisés dans le financement intérimaire de productions cinématographiques et télévisuelles à l’échelle internationale. Le niveau de risque de ces investissements est à considérer, compte tenu de leur concentration précise ; ils devraient plutôt faire office de fonds satellites dans une stratégie globale de prêts privés.

Fait intéressant, des acteurs de l’industrie de la gestion d’actifs tels que Gestion de placements TD (par son fonds en gestion commune de dette privée Émeraude) et Investissements Russell cherchent à accroître leur présence dans cet environnement. Russell prévoit lancer un fonds de crédit alternatif en janvier 2018.

Processus de recherche et d’achat plus fastidieux

La plupart des produits permettant d’investir en crédit privé ne sont pas aussi facilement accessibles que les fonds communs traditionnels. D’abord, la majorité d’entre eux ne sont pas enregistrés sur des plateformes de suivi et de cotation telles que Morningstar. Il faut donc faire ses propres recherches, ou encore se faire parler des produits par des pairs ou par des sociétés de fonds afin de découvrir leur existence. Comme ces produits sont encore nichés, plusieurs des gestionnaires sont établis à Toronto et disposent d’une petite force de vente, le plus souvent unilingue anglaise. Il est donc important de garder l’oeil ouvert pour repérer de nouveaux produits.

Le processus d’achat lui-même peut également être complexe. Ces produits sont offerts par notice d’offre uniquement et nécessitent donc un processus d’approbation des comités internes pertinents des firmes de courtage. De nombreuses firmes ne souhaitent pas avoir ce genre de produit dans leur offre et n’acceptent que les demandes d’achat non sollicitées des clients.

Lorsqu’ils sont approuvés, ces produits font souvent l’objet d’un maximum d’investissement par fonds par client. Et quand on souhaite en acheter, on doit souvent demander des approbations préalables et faire signer une série de documents à chaque investisseur pour souscrire un placement, à moins d’être gestionnaire discrétionnaire et d’avoir un mandat en ce sens.

Il est possible que certains assouplissements aux fonds offerts par prospectus permettent un accès simplifié dans l’avenir. En effet, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) prévoient modifier la réglementation des instruments régis par la norme 81-102 afin que les fonds alternatifs puissent généralement être offerts de la même façon que les fonds communs, soit avec un prospectus simplifié.

Facteurs à analyser

Les attraits principaux des fonds de prêts privés sont le rendement et la faible volatilité. La majorité des produits nommés ci-dessus offrent un rendement se situant entre celui des obligations et celui des actions, et ce, de façon beaucoup plus stable que les actifs négociés sur les marchés publics. Les produits ont le plus souvent une juste valeur marchande qui ne fluctue pas, puisqu’elle est liée à la valeur de l’actif net du fonds, et qui varie uniquement en fonction des prêts en cours et des revenus générés (moins les frais). Conséquemment, «l’expérience client» est très douce avec les produits de prêts privés, puisque les rendements sont visibles sur une base mensuelle ou trimestrielle et vont constamment dans la même direction : vers le haut.

Les rendements attrayants et la volatilité moindre peuvent, entre autres, être obtenus grâce au faible degré de liquidité de ces fonds. Ceux-ci ont généralement une liquidité mensuelle et leur valeur est calculée tous les mois uniquement, plutôt que tous les jours pour les obligations ou les actions. La plupart des fonds demandent un préavis de 15 à 30 jours pour un rachat le mois suivant et il y a souvent un délai avant d’être remboursé. Les prêts sous-jacents sont eux aussi peu liquides – s’ils devaient être vendus sur les marchés privés, leur valeur pourrait être aléatoire, alors que sur les marchés publics, il y a constamment un prix acheteur et un prix vendeur.

La faible liquidité est probablement le plus grand avantage et le plus grand inconvénient de ces produits. D’un côté, il y a une prime de rendement et une plus faible variation dans les rendements du fait que les titres sont moins liquides et plus complexes à gérer. De l’autre, si on souhaite retirer les sommes investies, c’est plus long et moins garanti que des titres des marchés publics. Également, bien que les fonds aient une relative liquidité puisqu’ils conservent une partie de leur avoir en encaisse et que des échéances ont régulièrement lieu, si l’ensemble du livre de prêts devait être liquidé pour cause de rachats massifs, toute cette dette ne saurait raisonnablement trouver preneur au juste prix dans un délai très court. Ainsi, les investisseurs pourraient devoir «attendre» leur tour sur une base de premier arrivé, premier servi, afin de pouvoir retirer leurs fonds. La plupart des gestionnaires inscrivent explicitement cette limitation de liquidité dans leur notice d’offre afin de pouvoir gérer de façon ordonnée les retraits, et ce, au mieux des intérêts de tous les investisseurs du fonds.

La disponibilité de ces produits est variable. Il arrive que des fonds se ferment aux nouveaux investissements à cause de l’incapacité du gestionnaire à déployer les fonds, ou simplement de la capacité logique d’une stratégie considérant son marché potentiel. Dans ces circonstances, il vaut mieux se doter de plusieurs fonds et renouveler constamment son offre afin de ne pas être pris au piège.

Les produits financiers sont souvent présentés sous leur meilleur jour. Or, il faut demeurer prudent et s’assurer de bien comprendre ce qui se produira si jamais les pires scénarios se réalisent. Par exemple, des produits de prêts privés trop concentrés dans un secteur précis, pas assez diversifiés géographiquement, ou dont les conditions de rachat ne coïncident pas avec les engagements pris par le fonds peuvent être moins intéressants compte tenu du risque pris par les investisseurs. Si un secteur connaît de grandes difficultés, ou encore si une région géographique subit une catastrophe naturelle, le risque de réaliser des pertes en capital est bien réel. Il ne faut pas l’oublier.

Par ailleurs, contrairement aux actions et aux obligations, qui disposent d’une communauté de professionnels très vaste, le prêt privé est davantage niché et le risque de perte d’une personne clé est plus grand que dans les stratégies traditionnelles. Il en va de même pour les sociétés gérant les produits, car en cas de difficultés financières, réglementaires ou autres, les activités d’une telle société sont beaucoup plus difficilement transférables vers un tiers acquéreur que des portefeuilles traditionnels. Il se pourrait qu’une stratégie privée soit suspendue temporairement ou, pire, liquidée au rabais advenant l’impossibilité que la gestion se poursuive.