Il sera difficile de réaliser de bons rendements sur le marché obligataire au cours des 12 prochains mois. La situation incite à une grande prudence, car de nombreux investisseurs méconnaissent le risque d’investir dans ces produits dans le contexte actuel, selon une analyse d’iA Valeurs mobilières (IAVM).
«À moins d’une détérioration majeure des conditions économiques, l’arithmétique des obligations suggère qu’il sera difficile pour les différentes catégories de fonds obligataires de reproduire les rendements qu’elles ont réalisés depuis un an au cours des 12 prochains mois», écrivent trois analystes de la firme.
Malgré ce contexte défavorable, des investisseurs continuent pourtant d’investir dans les obligations, une situation qui tient à leur méconnaissance de ce marché, affirment James Gauthier, Edmund Fernandez et Corey Hurwitz dans leur analyse intitulée «Here’s Why You Shouldn’t Be Chasing Bond Fund Returns».
Paul-André Pinsonnault, économiste principal, revenu fixe, économie et stratégie à la Banque Nationale, estime qu’il est «pertinent» d’attirer l’attention sur la difficulté pour les fonds obligataires d’obtenir de tels rendements dans l’année à venir.
Il donne l’exemple des obligations du gouvernement du Canada qui viennent à échéance le 1er décembre 2048, avec un rendement de 2,75 %. Du 26 septembre 2018 au 26 septembre 2019, elles ont généré un rendement total de 22,34 %, selon Bloomberg. «Pour reproduire ce genre de performance, il faudrait que ces obligations qui s’échangent actuellement à 1,54 % s’échangent à 0,64 % dans 12 mois. Ce n’est pas impossible, mais sans ralentissement économique, cela semble peu probable», explique Paul-André Pinsonnault.
Les trois experts d’IAVM vont plus loin dans leur analyse. Selon eux, il pourrait y avoir un danger pour les investisseurs néophytes. «Rechercher la performance dans le marché à revenu fixe peut indiquer un manque de compréhension de l’arithmétique obligataire de base», écrivent-ils.
Ainsi, les investisseurs qui ne comprennent pas les mécanismes du marché pourraient avoir «une mauvaise surprise si les choses ne se déroulent pas comme ils le souhaitent», préviennent les trois analystes.
Situation anormale
La prudence est de mise actuellement, car nous avons assisté en août à l’inversion de la courbe de rendement entre les obligations américaines de 10 ans et celles de 2 ans. Cela signifie que les obligations à court terme offrent un rendement plus élevé.
Cette situation est anormale. Historiquement, elle a été le signe annonciateur des sept dernières récessions. Selon une analyse de Credit Suisse, une récession survient en moyenne environ 22 mois après une inversion de la courbe de rendement.
Les trois analystes d’IAVM ne suggèrent pas qu’il faille délaisser pour autant le marché obligataire. Il faut plutôt mieux comprendre sa mécanique afin d’avoir des attentes de rendements réalistes étant donné la conjoncture économique.
«Nous conseillons toujours d’utiliser des titres à revenu fixe dans des portefeuilles équilibrés, mais nous croyons qu’une compréhension de base des mathématiques des prix des obligations peut être utile pour résister à la tentation d’investir des capitaux excédentaires dans ce marché», expliquent-ils.
Alfred Lee, directeur général et directeur de portefeuille, fonds négociés en Bourse chez BMO Gestion mondiale d’actifs, croit lui aussi que les investisseurs ne devraient pas se lancer dans les titres à revenu fixe en pensant que la dynamique de marché actuelle se poursuivra.
«James Gauthier et son équipe ont parfaitement raison de dire que les obligations sont limitées quant aux gains potentiels d’un point de vue mathématique, car elles ont toutes une valeur nominale, et qu’elles finissent par aboutir à échéance», souligne-t-il.
Selon lui, les revenus fixes ne devraient pas être employés pour rechercher des rendements, mais plutôt pour fournir un portefeuille stable et à revenu prévisible. «Ils devraient être utilisés dans la construction du portefeuille pour atténuer la volatilité des marchés boursiers», rappelle Alfred Lee.
La duration
Aux yeux des analystes d’IAVM, il est impératif de mieux comprendre comment est fixé le prix des obligations, en tenant compte de trois notions : la duration (ou durée), la convexité et les spreads (écarts) de crédit.
La duration mesure la sensibilité du prix d’une obligation aux variations de taux d’intérêt, ce qui est essentiel pour comprendre la performance des fonds obligataires. Elle est mesurée en années, mais il s’agit d’un paramètre différent de la durée moyenne jusqu’à l’échéance, même si ces deux éléments sont liés.
Prenons une obligation d’une durée de sept ans. Son prix augmentera d’environ 7 % si son rendement chute d’un point de pourcentage. Par contre, cette obligation diminuera d’environ 7 % si son rendement augmente d’un point de pourcentage.
Pour illustrer le «pouvoir de la durée», les analyses d’IAVM donnent l’exemple de la dette publique autrichienne à 100 ans, venant à échéance en 2117. Son rendement a glissé de 1,76 %, au début de l’année, à 0,69 %, à la fin du mois d’août. Une baisse qui a porté le rendement total de l’obligation à 74 % (calculé en euros) au cours de cette période.
Cette obligation autrichienne a maintenant une durée de près de 60 ans. Par conséquent, même le plus petit changement dans son rendement équivaudrait à une fluctuation importante de son prix.
La convexité
Pour sa part, la convexité mesure la sensibilité de la duration d’une obligation aux rendements. Une obligation qui a une convexité «positive» voit sa durée augmenter à mesure que les rendements augmentent.
«Cela s’additionne aux rendements des investisseurs», soulignent les analystes d’IAVM.
D’ailleurs, ils précisent que la plupart des obligations d’État et de sociétés classiques, et donc la plupart des fonds et des fonds négociés en Bourse d’obligations ordinaires, présentent une convexité positive.
Ils donnent l’exemple de l’indice obligataire FTSE Canada Universe. Sa durée est passée de 6,2 ans en 2005 à près de 8 ans aujourd’hui, ce qui représente un avantage pour les investisseurs dans les obligations à long terme. Et si les rendements continuent de baisser, la convexité positive signifie que la durée continuera à augmenter.
Les spreads de crédit
Quant au spread de crédit (ou écart de crédit), il correspond à la différence entre le rendement d’une obligation de société et le rendement d’une obligation d’État de même échéance. Plus la qualité des obligations de sociétés est faible, plus l’écart est élevé. En fait, un spread est une prime versée à l’investisseur en contrepartie du risque supplémentaire de crédit qu’il prend sur une obligation, c’est-à-dire le remboursement ultime à l’échéance.
Par exemple, lorsque les écarts de crédit se resserrent, les portefeuilles fortement exposés aux obligations de sociétés obtiendront habituellement de meilleurs résultats que ceux contenant principalement des obligations d’État d’échéance similaire. L’inverse s’applique lorsque les écarts se creusent.
«Des changements dans les spreads de crédit peuvent avoir un effet stimulant pour les rendements des fonds d’obligations ou des fonds d’obligations négociés en Bourse», affirment les analystes d’IAVM.
Cela dit, les conditions sur le marché obligataire s’annoncent moins favorables et la mécanique de marché joue en défaveur des investisseurs. C’est pourquoi les obligations devront accomplir «un exploit miraculeux pour répéter leur performance récente», affirment les analystes d’iA Valeurs mobilières.