En 2013, la direction de Tim Hortons s’endette massivement afin de racheter des actions en circulation dans la perspective d’en faire monter le prix. En 2012, le Canadien Pacifique (CP) se donne subitement un nouveau chef de la direction, tout en renouvelant son conseil d’administration et surtout, sa stratégie d’affaires.
L’activisme actionnarial de fonds de couverture (hedge funds) américains était à la source de ces initiatives. Estimant que les cours boursiers du CP et de Tim Hortons ne reflétaient pas leur valeur intrinsèque, ces hedge funds avaient mené campagne auprès des actionnaires en vue de forcer la réorientation radicale de la destinée de ces deux entreprises emblématiques.
À l’instar de Tim Hortons, un certain nombre d’entreprises nord-américaines se sont endettées sous la pression de fonds de couverture au point d’ébranler leurs perspectives d’expansion et parfois même de survie. Le cas de Tim Hortons avait d’ailleurs mené Yvan Allaire, chercheur et président exécutif du conseil de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques, à soutenir que «dans beaucoup de cas, les fonds activistes ne créent pas de richesse, mais réussissent plutôt à transférer aux actionnaires la plus-value des travailleurs et des créanciers» (source : Les Affaires, 30 août 2014).
En revanche, bon nombre d’entreprises ont bénéficié de l’activisme actionnarial de fonds de couverture. Ainsi, l’action du CP avait pris son envol en 2014, atteignant plus de 220 $, alors qu’elle stagnait à 49 $ deux ans plus tôt en 2012.
«Le débat sur l’activisme actionnarial met en évidence les enjeux de la survie des entreprises et du poids des parties prenantes, comme le sont, par exemple, les salariés», affirme Ivan Tchotourian, professeur de droit de l’Université Laval et spécialiste du droit des sociétés par actions.
Ivan Tchotourian a consacré une année à la recherche et à la rédaction d’un ouvrage intitulé Gouvernance d’entreprise et fonds d’investissement (hedge funds) : Réflexions juridiques sur un activisme d’un nouveau genre (Montréal, Éditions Yvon Blais, 2018). La chercheure Naomi Koffi en est la co-auteure.
Ce livre fait le point sur l’activisme actionnarial des fonds de couverture, sur les attitudes et décisions des tribunaux à l’égard de leurs demandes ainsi que sur les pistes de solutions avancées par les autorités de réglementation du Canada, des États-Unis et de la France.
On en ressort sensibilisé à cet enjeu et informé des grandes tendances internationales en gouvernance d’entreprise à l’heure où certains acteurs de l’industrie financière tentent par tous les moyens de réaliser de meilleurs rendements en Bourse.
Survie menacée
Les auteurs du livre précisent que les hedge funds ne sont pas tous des activistes. Parmi les quelque 10 000 fonds de couverture existants, on n’en compterait qu’environ 600.
Toutefois, ces hedge funds sont les chefs de file incontestés de l’activisme actionnarial. Par exemple, sur les 115 interventions activistes recensées aux États-Unis en 2010, 98 provenaient de fonds de couverture.
Dans leur livre, les auteurs signalent que «ce qui suscite le débat n’est pas l’activisme en lui-même, mais l’usage abusif qui en est fait». L’abus se trouve dans la volonté d’enrichissement à très court terme, sans lendemain et sans considération pour la pérennité de l’entreprise et les intérêts des diverses parties prenantes.
Il faut dire que les quelque 600 fonds de couverture pratiquant l’activisme actionnarial ne conservent leurs actions, en moyenne, que pendant neuf mois. Cette période de détention d’actions est suffisamment longue pour bénéficier de la montée des titres qui suit leur intervention et qui tend à se maintenir pendant près d’un an.
Par contre, certains fonds de couverture activistes ne tiennent pas compte des impacts à long terme de leurs interventions.
Ainsi, les stratégies qu’ils mettent de l’avant – telles que les délocalisations, les ventes de filiales, l’endettement, les mises à pied et la dégradation des conditions de travail des employés, ainsi que les compressions en recherche et développement (R-D) – équivalent à des remèdes de cheval ayant le pouvoir de tuer le patient. Parmi les entreprises visées par des attaques d’actionnaires activistes, deux sur cinq disparaîtraient au bout de quatre ans.
Pistes de solution
Les entreprises publiques ont-elles la capacité de faire face à ces interventions d’actionnaires impatients de réaliser de la valeur «cachée» ?
«Les médias ont tendance à mettre l’accent sur l’idée que l’entreprise doit prioritairement répondre aux intérêts des actionnaires. Néanmoins, la jurisprudence et les actions des autorités de réglementation nous informent que l’entreprise peut réagir au contexte et qu’elle peut se détacher de l’intérêt immédiat de l’actionnaire», explique Ivan Tchotourian.
Les auteurs déterminent plusieurs manoeuvres légales de nature à mettre en échec les interventions court-termistes de fonds de couverture activistes. Elles divergent d’un pays à l’autre en raison des différents systèmes réglementaires.
activisme plus difficile
Ainsi, la France a été le premier pays au monde à légiférer afin de restreindre la portée du vote d’actionnaires court-termistes. Une loi adoptée en 2014 prévoit que les actionnaires présents depuis au moins deux ans puissent avoir un droit de vote double.
De plus, le législateur français a intégré une «large gamme» d’instruments dérivés pouvant donner lieu au droit de vote dans sa méthodologie de calcul de déclarations de détention d’actions et de franchissements de seuils. Cela permet aux conseils d’administration de mieux détecter l’approche d’éventuels actionnaires activistes.
Pour sa part, l’autorité de réglementation américaine Securities and Exchange Commission (SEC) réfléchirait à la possibilité de joindre les instruments dérivés à ses méthodes de calcul de la propriété effective d’entreprise publique.
Au Canada, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) auraient plutôt adopté des changements qualifiés de «mineurs» par les auteurs.
Cela dit, précise Ivan Tchotourian, la jurisprudence canadienne «est plutôt favorable» à l’approche du droit de vote multiple favorisée par les entreprises qui cherchent à perpétuer le contrôle des familles et des actionnaires fondateurs.
De plus, ajoute le professeur de droit, la jurisprudence canadienne a également affirmé que les conseils d’administration ont la capacité de prendre des décisions qui ne font pas nécessairement l’affaire des actionnaires. «Cette affirmation du devoir fiduciaire des conseils d’administration est assez innovatrice», dit Ivan Tchotourian.
Il en ressort que les fonds de couverture activistes n’ont plus la partie aussi facile qu’à leurs débuts, il y a une quinzaine d’années. Législateurs et tribunaux tendent à favoriser l’autonomie des conseils d’administration ainsi que la transparence et l’abaissement des seuils de déclaration obligatoires des quantités d’actions détenues afin de mieux cerner la préparation d’attaques d’éventuels actionnaires activistes.