L’assemblée annuelle de Berkshire Hathaway de 2017 a rassemblé près de 40 000 personnes, heureux actionnaires ou qui aimeraient le devenir. À 3 h du matin, certains faisaient la queue afin d’avoir les meilleures places à ce genre de Woodstock du capitalisme !
La majorité n’a eu d’yeux que pour Warren Buffett, le plus important actionnaire de Berkshire Hathaway. Selon un connaisseur qui a écrit huit livres sur «le sage d’Omaha», c’est une erreur, car les propos du vice-président du conglomérat, Charlie Munger, valent eux aussi le déplacement.
«Charlie Munger a toujours été dans l’ombre de Warren Buffett, alors que son influence est majeure. Il est brillant et très rationnel. Il s’exprime de façon directe et, parfois, de façon très divertissante. Cela convenait à la formule d’un livre que j’avais en tête», affirme l’auteur David Clark.
Intitulé The Tao of Charlie Munger, d’après un mot japonais qui se traduit par chemin, voie ou doctrine, son plus récent livre comporte 138 citations du vice-président de Berkshire Hathaway, enrichies de ses commentaires.
«Mon livre se veut un hommage à la grande intelligence de Munger. Il peut se lire comme un cours intensif sur la pensée d’un génie de l’investissement», précise David Clark.
Doué pour la recherche, ferré en histoire financière, David Clark a un réel talent de vulgarisateur. Il synthétise très bien de grands enjeux du monde de l’investissement. Grâce à sa formule, son ouvrage peut se lire entre deux rendez-vous.
Par exemple, en deux pages bien tournées, il explique pourquoi Berkshire Hathaway cherche à investir dans des entreprises comme Coca-Cola : parce qu’elles ont une forte résonance émotive auprès des consommateurs, elles maintiennent des prix relativement élevés. Tant que leurs marques sont intactes, elles génèrent des bénéfices supérieurs à la moyenne.
De même, en moins de quatre pages, David Clark situe l’originalité de Charlie Munger par rapport à ses prédécesseurs de style valeur. Par peur d’une crise financière, Benjamin Graham s’obligeait à vendre ses actions dès qu’elles atteignaient leur valeur fondamentale. C’est aussi ce que faisait Warren Buffett à ses débuts. Au début des années 1970, Charlie Munger a compris que la valeur fondamentale des Coca-Cola de ce monde augmente avec le temps. C’est ainsi qu’il a convaincu Warren Buffett de conserver ces entreprises en portefeuille pendant 30 ou 40 ans.
«Lorsqu’il faisait ses premiers pas en investissement, Buffett potassait les manuels de Moody’s afin de trouver des titres sous-évalués. Il appelait cela donner cinquante cents pour avoir un dollar. Pour sa part, Munger voulait acheter de solides entreprises et les garder en portefeuille plusieurs années. Munger était prêt à débourser davantage pour de telles entreprises. Il a converti Buffett à cette approche d’investissement», dit David Clark.
En savoir toujours davantage
Charlie Munger attribue son agilité intellectuelle à sa discipline de lecture. Il lit jusqu’à 600 pages par jour. Il affirme qu’on devrait être suffisamment humble pour reconnaître qu’il y a des choses importantes qu’on ignore, mais qu’on devrait savoir.
«Charlie estime que la lecture de dix années consécutives de rapports annuels donne une bonne idée des entreprises publiques. Lui et Warren sont également d’ardents lecteurs de biographies. Charlie a recommandé Titan : The Life of John D. Rockefeller, Sr. afin de mieux comprendre le monde des affaires et de l’investissement», dit David Clark.
Sur papier, la philosophie d’investissement de Charlie Munger est limpide : trouver de «bonnes entreprises à juste prix ayant des avantages compétitifs durables de façon à les garder plusieurs années en portefeuille». Il faut être très patient et n’acheter que lorsque les marchés traversent une phase de turbulence ou de crise. «Les grands fonds d’investissement n’ont pas le luxe d’attendre et de ne pas investir. Voilà un aspect fondamental qui différencie Berkshire Hathaway du reste de la meute», soutient David Clark.
Par ailleurs, le bras droit de Warren Buffett affiche son scepticisme à l’égard du principe de la diversification et de l’utilité des fonds négociés en Bourse (FNB). Charlie Munger affirme qu’un bon investisseur devrait s’en tenir à un nombre d’entreprises se comptant sur les doigts des deux mains. Diversifier équivaudrait ultimement à imiter les indices, ce qui aboutirait à des rendements moyens. D’après lui, l’investisseur devrait avoir au moins 10 M$ d’argent liquide de façon à agir énergiquement lorsque la meute retire ses billes.
À qui s’adresse The Tao of Charlie Munger ? Qui peut lire 600 pages par jour ? La diversification n’est-elle pas une nécessaire protection ? Qui peut attendre de longues années avant d’investir ? Et qui peut se targuer d’avoir 10 M$ sous son oreiller ?
Longue vie aux fonds communs
«Lire 600 pages par jour exige beaucoup de passion. Les investisseurs possèdent-ils tous cette passion ? Poser la question, c’est y répondre», rétorque Pierre-Luc Poulin, auteur de Buffett & Cie : Investir selon des principes qui ont traversé l’épreuve du temps (Le Dauphin Blanc, 2015).
Concernant la diversification, Munger touche un point essentiel.
«Plus un investisseur diversifie, plus il réduit le risque ainsi que ses chances de battre l’indice de référence. Si l’investisseur cherche un rendement sûr et le moins volatil possible, il devra diversifier. Mais s’il veut battre l’indice, il prendra le risque de se tromper et d’investir fortement dans certaines entreprises. Actuellement, le portefeuille boursier de Berkshire Hathaway est investi à 88 % dans 15 entreprises», dit Pierre-Luc Poulin.
Cela dit, la perspective à très long terme de Charlie Munger ne conviendra pas au client qui envisage sa retraite dans 10 ou 20 ans.
«Attendre cinq ou sept ans avant d’investir peut être très difficile à vivre. Et laisser dormir son capital en générant de très faibles intérêts exigera des efforts surhumains. C’est la raison pour laquelle les investisseurs sont mieux servis par des fonds communs et des conseillers qui les accompagnent tout au long du processus. Il n’y a pas beaucoup de Buffett et de Munger dans le monde, car il est difficile de voir à très long terme, d’être patient au point de ne rien faire pendant des années et de garder la tête froide face à toutes les situations», affirme Pierre-Luc Poulin.
Selon David Clark, les conseillers en placement pourraient cependant tirer une leçon principale de l’ouvrage The Tao of Charlie Munger.
«Être patient et concentrer ses choix d’investissement sur de solides entreprises à juste prix. Les catastrophes financières arrivent généralement tous les quatre à huit ans. Elles créent des occasions d’enrichir ses clients en utilisant les erreurs des autres», conclut-il.
David Clark, The Tao of Charlie Munger : a compilation of quotes from Berkshire Hathaway’s vice chairman on life, business, and the pursuit of wealth, New York, Scribner, 2017, 240 p.