Geste difficile que de rééquilibrer un portefeuille. Mais nécessaire et profitable, selon la très grande majorité des analystes. Toute la question est de savoir quand rééquilibrer, comment et combien.
Rééquilibrer a un goût amer pour n’importe quel investisseur. «On vend ses titres gagnants et on achète ses perdants, ou tout au moins ceux qui ont moins bien performé. C’est une discipline qui fait souvent mal au coeur», reconnaît Daniel Laverdière, directeur principal au Centre d’expertise, chez Banque Nationale Gestion privée 1859.
Tout le défi tient à la «mécanique» de la chose. Malheureusement, à cause du grand nombre de variables à contrôler, les études systématiques sur le sujet n’abondent pas, comme le fait ressortir Richard Guay, professeur à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM. «On trouve bien plus d’études relatives à la performance des portefeuilles, dit-il ; c’est plus facile à analyser pour un chercheur.»
En effet, nombre de variables interviennent dans l’optimisation d’un rééquilibrage, les plus importantes étant la périodicité et la fréquence, les écarts de performance par rapport au profil de référence, les coûts de transaction, la taille du portefeuille, la fiscalité, et l’âge de l’investisseur. Le rééquilibrage optimal du portefeuille de 500 000 $ d’un retraité en phase de décaissement risque d’être différent de celui d’un membre de la génération Y dont le portefeuille de 20 000 $ peut être facilement rééquilibré grâce aux nouvelles entrées d’argent.
Stratégies variables
Les analyses semblent unanimes : mieux vaut rééquilibrer un portefeuille que le laisser dériver au gré des hausses et baisses des marchés. Une récente étude de Raymond Kerzhéro, directeur de la recherche chez PWL Capital, étudie les effets du rééquilibrage d’un portefeuille canadien composé à 40 % d’obligations nationales, 20 % d’actions nationales et 40 % d’actions étrangères. L’auteur a testé dix stratégies naïves de rééquilibrage, par exemple, rééquilibrer tous les 36 mois ou tous les 60 mois, sur diverses périodes, notamment de 1980 à 2014, ainsi que sur trois sous-périodes de 10 ans : 1980-1991, 1992-2003, 2004-2014 («Le rééquilibrage en question – Quelle valeur le rééquilibrage ajoute-t-il à votre portefeuille»).
Pour les 40 scénarios, les portefeuilles rééquilibrés «ont mieux fait que leurs équivalents non rééquilibrés», écrit le chercheur. Pour le portefeuille canadien, «rééquilibrer ajoute 57 points de base aux rendements ajustés selon le risque avant les coûts, et 0,41 % net de frais de transaction et de fiscalité.» Il a également testé ses stratégies de rééquilibrage sur trois portefeuilles étrangers composés aussi à 60 % en actions et 40 % en obligations : un américain, un britannique et un japonais. «Nous constatons que 29 des 30 portefeuilles rééquilibrés naïvement produisent de meilleurs rendements que le portefeuille non rééquilibré», lit-on dans l’étude.
Malheureusement, aucune stratégie spécifique de rééquilibrage ne remporte la palme pour toutes les plages de temps étudiées. Pour le portefeuille canadien étudié sur 35 ans, la stratégie de rééquilibrage optimale est celle du rééquilibrage tous les 60 mois. Cette stratégie a obtenu un rendement annualisé de 10,36 % et un écart-type de 9,57 %, par rapport à un rendement de 9,94 % et un écart-type de 10,19 % pour un portefeuille non rééquilibré. Notons que ces rendements sont bruts et basés sur celui de l’indice de référence.
Pour la période de 2004 à 2014, le portefeuille canadien affichant le meilleur rendement est le portefeuille rééquilibré mensuellement s’il y a déviation de 5 points de pourcentage du profil de référence (par exemple, si la portion d’actions a atteint plus de 65 % ou moins de 55 % d’un portefeuille dont le point d’équilibre est de 60 %). D’autres stratégies de rééquilibrage naïves ont de meilleurs résultats dans des périodes différentes.
Jusqu’où rééquilibrer ?
L’étude de Raymond Kerzhéro laisse en suspens deux questions cruciales. La première : de combien faut-il rééquilibrer ? Faut-il revenir au point neutre qui correspond au profil de risque de l’investisseur ? C’est ce que font beaucoup d’institutions financières. Mais cela entraîne des coûts de transaction et fiscaux plus importants, juge une étude parue en 2006 dans le Journal of Portfolio Management («Optimal Rebalancing for Institutional Portfolios»). Il faut évidemment tenir compte du fait qu’une certaine partie du rééquilibrage peut être effectuée en injectant de l’argent frais dans le portefeuille, ce qui réduit ainsi les coûts de transaction.
Pour minimiser les coûts, selon une étude classique de Hayne E. Leland («Optimal Portfolio Management with Transaction Costs and Capital Gains Taxes, 1999»), la stratégie de rééquilibrage la plus appropriée est celle qui fixe d’abord des écarts de déviation à la hausse et à la baisse (par exemple, 5 points de pourcentage d’écart du profil de risque). Ensuite, elle corrige seulement en ramenant les proportions à l’intérieur de ces frontières et non jusqu’au point d’équilibre initial.
Toutefois, une question cruciale reste entière : quelle stratégie de rééquilibrage donne les meilleurs rendements tout en minimisant le risque ? Aucune étude ne semble y répondre. Celle de Raymond Kerzhéro présente quelques stratégies gagnantes, mais elle nous montre en même temps qu’aucune ne vaut en tout temps. Et il s’agit de stratégies rigides et mécaniques à récurrence fixe qui ne s’adaptent pas de façon flexible aux circonstances.
La meilleure approche privilégie la souplesse, en veillant à optimiser constamment les nombreux paramètres en jeu, toujours en rapport avec les tendances de marché. Plus facile à dire qu’à faire. C’est ce que propose l’étude du Journal of Portfolio Management, qui affirme avoir mis au point un algorithme informatique qui y parvient.
Tout en souscrivant au principe de rééquilibrage, Guy Mineault, économiste, formateur, docteur en économie et professeur retraité de l’Université Laval, n’adhère à aucune des stratégies qui ont cours (dont fait état l’étude de Raymond Kerzhéro). Selon lui, une stratégie optimale tiendrait compte des profils de risque tels qu’établis par l’Institut des fonds d’investissement du Canada. Par exemple, un risque modéré correspond à un écart-type de rendement du S&P/TSX, lequel s’établit actuellement à 7,4 % sur trois ans. Une stratégie de rééquilibrage pour un investisseur correspondant à ce profil de risque ne serait effectuée que lorsque les proportions du portefeuille dévieraient d’autant. Ainsi, un portefeuille d’actions de profil «modéré» dont le point d’équilibre est de 60 % ne serait rééquilibré que lorsque sa proportion atteint au moins 67,4 % à la hausse ou 52,6 % à la baisse. Guy Mineault juge qu’une telle stratégie permettrait à un portefeuille de moins souffrir des «coups de massue» que les stratégies courantes de rééquilibrage font subir aux portefeuilles.
Idéalement, un investisseur ne rééquilibrerait jamais, juge Guy Mineault. «Warren Buffett ne rééquilibrait pas», lance-t-il. Une gestion optimale sélectionnerait les titres selon leur valeur intrinsèque et les vendrait seulement quand ils s’éloignent de cette valeur, sans référence à un quelconque «profil de risque».
Cependant, faute d’une approche souple et variable, pour ne pas dire idéale, mieux vaut une approche systématique et rigide, par exemple à chaque 12 ou 24 mois, qu’aucun rééquilibrage, juge John West, directeur exécutif, chef des stratégies client, chez Research Affiliates, en Californie. «Que ce soit quand on a gagné beaucoup ou perdu beaucoup, rééquilibrer est très difficile à faire, dit-il. Ça reste une manoeuvre « contrarienne ». C’est pourquoi il vaut mieux ne pas laisser son exécution à la discrétion de l’investisseur et la systématiser.»