Les spécialistes repèrent les signes d’une remontée soutenue du prix tant de l’once d’or que des titres des producteurs d’or, après la descente aux enfers qui a duré plus de cinq ans. Pour les investisseurs que le métal jaune intéresse, c’est peut-être le signal d’un retour tactique dans le marché.
Récemment, le prix de l’or a franchi à de multiples reprises un seuil de résistance de 1 400 $ US, ce qui a placé sur le qui-vive analystes techniques et gestionnaires de portefeuille.
«Après avoir atteint un sommet de 1 800 $ US en 2011, le prix de l’or a lentement sombré et brisé un plancher de 1 400 $ US en 2014», rappelle Chris Beer, gestionnaire du Fonds mondial de métaux précieux chez RBC Gestion mondiale d’actifs, à Toronto. «Depuis et jusqu’à cet été, il a oscillé entre 1 200 $ US et 1 380 $ US, et montre des signes de vouloir percer de façon soutenue le seuil de 1 400 $ US.»
Cette remontée semble avoir des assises solides. Au début de juillet, le marché offrait une occasion de prise de profit avec un prix «qui a monté d’environ 19,3 % depuis son dernier creux de 1 175 $ US en 2018, marquant une hausse de 9,1 % pour l’année en cours [au 5 juillet 2019]», souligne Paul Wong, un ancien gestionnaire de portefeuille chez Sprott Asset Management, à Toronto.
«On note qu’un grand nombre de percées dans différentes catégories d’actifs arrivent de façon typique à des points d’inflexion importants», poursuit le spécialiste. C’est ce que montrent l’indice GLD du SPDR Gold Shares, les prises de position dans les marchés de contrats à terme, de même que les achats intensifs dans les titres miniers.
Facteurs économiques
Cette activité haussière est évidemment liée à des mouvements de fond, dont l’influence des taux d’intérêt en tout premier lieu, indique Chris Beer. «De façon historique, quand les taux sont en baisse ou qu’on a affaire à des taux réels négatifs, l’or en profite, dit-il. C’est la première chance que nous avons depuis longtemps de voir le prix de l’or échapper au couloir de prix dans lequel il est enfermé.»
Le marché anticipait une baisse des taux depuis longtemps. Or, la Réserve fédérale américaine les a abaissés à la fin de juillet, puis à la mi-septembre. «Les prix dans les marchés mondiaux continuent d’intégrer un nouveau cycle de détente. Nous croyons qu’ils continueront de le faire au cours des semaines à venir», déclare Paul Wong.
D’autres facteurs favorisent l’or, notamment la crainte d’un ralentissement économique, voire d’une récession. «Je vois essentiellement l’or comme un thermomètre de la confiance dans les marchés traditionnels [économie, actions, taux d’intérêt, devises]», juge Peter Grosskopf, chef de la direction de Sprott Inc.
Or, les perspectives mondiales liées aux échanges commerciaux s’assombrissent «avec un président américain qui réclame un dollar américain plus faible pour renforcer les exportations», dit Francis Sabourin, directeur, gestion de patrimoine, et gestionnaire de portefeuille chez Richardson GMP, à Montréal.
Le contexte géopolitique joue donc aussi en faveur de l’or, pense Chris Beer. «Nous sommes passés de la mondialisation à des gouvernements populistes un peu partout, fait-il remarquer, ce qui mène au protectionnisme, que ce soit aux États-Unis, en Russie, en Italie ou en Allemagne. Cela entraîne de l’inflation localement, un contexte historiquement positif pour l’or.»
Rebond des titres miniers
Une dynamique différente, mais tout aussi positive, prévaut dans le secteur des titres miniers, juge Chris Beer. Tout comme le prix du métal jaune, les titres miniers ont connu cinq mauvaises années «à cause de péchés commis dans les années 2009 à 2012, indique le spécialiste de RBC Gestion mondiale d’actifs. Plusieurs acteurs ont cherché à créer de la valeur en faisant croître la production plutôt que les profits. Cependant, au cours des cinq dernières années, ils se sont concentrés sur la rentabilité de leur production.»
Chris Beer assiste à un tel développement chez un producteur, l’ontarienne Kirkland Lake Gold, qui est en voie de réduire ses coûts totaux de production au niveau de 600 $ à 700 $ l’once, tout en accroissant sa production. «Cela lui permet d’être profitable dans n’importe quel environnement de prix pour l’or. Pour la première fois depuis longtemps, je vois les titres afficher des valeurs réelles et les sociétés investissent mieux leur capital.»
C’est une lecture que partage Ryan McIntyre, gestionnaire du fonds Sprott Hathaway Special Situations Strategy chez Tocqueville Asset Management, à New York. «Le secteur minier semble avoir tourné une nouvelle page, pense le spécialiste. Il se restructure de façon à produire des rendements accrus, même dans un environnement neutre pour les prix de l’or.»
Un bon investissement ?
Cela dit, les perspectives demeurent incertaines, de sorte qu’aucun de nos intervenants ne se risque à annoncer des prix cibles pour l’or ou pour l’industrie minière.
«Nous voyons l’or non pas comme une destination, mais comme une tendance, un parcours», avance Chris Beer.
«Il se pourrait que nous soyons dans l’erreur, et il est arrivé cinq ou six fois [au cours des dernières années] que l’or brise la barrière des 1 350 $ US, que tout le monde s’excite, et que tout s’écroule parce que les taux d’intérêt montent et que le dollar américain demeure fort. Mais il est certain maintenant que les taux d’intérêt ont atteint leur sommet et que le protectionnisme est dans l’air», ajoute-t-il.
Faut-il investir dans l’or et les compagnies minières ? Francis Sabourin ne le croit pas, même s’il considère l’or comme un outil de diversification légitime. «Il y a bien d’autres outils qui peuvent jouer le même rôle, par exemple les bons du Trésor, les denrées de base, les obligations et les devises de pays émergents.»
Et même si le dollar américain se déprécie, «bien d’autres matières premières pourraient en bénéficier davantage que l’or. Dans ce cas, le jeu en vaut-il la chandelle ? Pas certain», dit le portefeuilliste de Richardson GMP.
Peter Grosskopf adopte un point de vue plus pessimiste, typique de la firme qu’il dirige. Selon lui, nos économies sont au bout d’un pari basé sur une monnaie dont la valeur fantaisiste est soutenue artificiellement par des banques centrales complaisantes et des gouvernements surendettés. C’est pourquoi il recommande de confier une partie de son portefeuille au métal jaune, une valeur refuge par excellence.
«Il est peut-être temps que les investisseurs se dotent d’une bouée de sauvetage, tandis que d’autres se payent une partie de cartes sur le pont d’un Titanic piloté par les banques centrales», illustre-t-il.