C’est ce que l’on peut apprendre du travail de Richard Thaler, qui a reçu le prix Nobel d’économie en novembre dernier pour ses travaux sur l’importance de «l’architecture des choix» dans la prise de décision des acteurs économiques.
Contrairement à la théorie de l’homo economicus qui voudrait que les individus fassent, globalement, les choix qui vont dans le sens de leurs intérêts, Richard Thaler propose une vision selon laquelle les individus procrastinent ou s’attardent à des facteurs insignifiants pour, finalement, faire de mauvais choix.
Pourquoi un vendeur accorde-t-il plus de valeur qu’un acheteur potentiel à quelque chose qu’il possède, comme une maison ou un titre financier ? C’est l’«effet de dotation», vérifié dans plusieurs expériences au cours desquelles les participants accordaient une valeur plus grande à un objet qui leur était attribué au début de l’expérience.
Pourquoi les gens n’épargnent pas assez pour la retraite ? C’est un problème trop compliqué. «Demander aux gens d’épargner adéquatement pour la retraite équivaut à leur demander de fabriquer leur propre automobile», écrit Richard Thaler. C’est une autre preuve que les humains ne sont pas des agents calculateurs, mais plutôt des agents qui prennent des décisions imparfaites et biaisées.
«Pourquoi quelqu’un braverait-il une tempête dangereuse pour aller voir une partie de basketball ?» demandait Richard Thaler dans son discours d’acceptation du Nobel au début de décembre. À cause de ce qu’il a déjà payé pour le billet, répond-il en rappelant que les «sunk costs», soit les coûts irrécupérables déjà engagés, sont un facteur important dans la prise de décision.
Richard Thaler décrit ces facteurs comme «supposément non importants». La vérité est plutôt qu’ils sont importants. C’est pourquoi l’État doit aider les gens à prendre de bonnes décisions, avec des «incitatifs» ou, selon l’expression anglaise consacrée, des «nudges».
Jason Stewart, conseiller exécutif, services financiers, à la firme de consultants BEworks, est de ceux qui croient que ces incitatifs peuvent améliorer le travail des conseillers et des régulateurs.
Par exemple, les régulateurs ont un rôle à jouer dans tout le processus mis en oeuvre pour mieux connaître les besoins des clients, selon lui : «Le contexte des questions posées par les conseillers est très important dans ce genre de processus. La formulation des questions a un effet direct sur les réponses et sur la mesure de l’appétit des clients pour le risque. Par exemple, les gens vont prendre moins de risques s’ils sont placés devant un choix qui présente des chiffres concrets de pertes possibles.»
Jason Stewart parle aussi d’un autre type d’incitatif aisément mis en oeuvre : la signature en haut d’un formulaire. Selon des recherches effectuées par ses collègues, Dan Ariely, Nina Mazar et d’autres auteurs, les déclarations de toutes sortes faites après la signature d’un document sont plus fiables que celles faites avant la signature, en raison d’une conscience accrue des implications morales de la déclaration.
De plus, les formulaires remplis électroniquement risquent souvent d’être plus fiables, parce que les clients n’ont pas à faire face à l’expression faciale que leurs réponses pourraient provoquer chez le conseiller. «L’anonymat du formulaire électronique a un effet désinhibiteur qui complémente bien la relation de personne à personne», explique Jason Stewart.
L’éducation comme solution
Pour Richard Thaler, ce genre d’intervention pour permettre aux gens de prendre de meilleures décisions ou d’obtenir de meilleurs services équivaut à ce qu’il appelle du «paternalisme libertarien».
Pierre-Carl Michaud, professeur titulaire au département d’économie appliquée, à HEC Montréal, considère que, pour que ce paternalisme soit efficace, on doit aussi tenir compte de l’éducation : «Les outils développés par Richard Thaler s’attardent beaucoup aux lacunes sur le plan comportemental – la procrastination par exemple – mais laissent de côté toute la dimension de l’éducation financière.»
Richard Thaler est l’un des promoteurs des options d’épargne «par défaut» qui enrôlent automatiquement les épargnants, souvent des travailleurs. Il est prouvé que ce genre de programme permet à ceux-ci d’épargner nettement plus, puisque peu de gens font des choix conscients d’épargne.
Même si Pierre-Carl Michaud concède que ce genre de programme a des avantages certains, il soutient qu’ils peuvent aussi être désavantageux. «Pour que ça fonctionne, les gens doivent avoir un minimum de connaissances financières pour cerner des situations où on les a incités à faire quelque chose et à reconnaître que, pour eux, ce n’est pas bon.»
Pierre-Carl Michaud cite en exemple un salarié moyen qui pourrait être mieux servi par un compte d’épargne libre d’impôt (CELI) plutôt que par un régime volontaire d’épargne-retraite (RVER). En effet, retirer un montant d’un CELI n’a pas d’impact fiscal pour un contribuable, alors qu’un retrait d’un RVER ou d’un REER accroît le revenu imposable du particulier, ce qui peut venir amputer certaines prestations socio-fiscales, dont le Supplément de revenu garanti.
Si, selon Pierre-Carl Michaud, on ne peut pas utiliser les solutions pour des problèmes comportementaux afin de pallier un manque de connaissances financières, il faut donc passer par l’éducation. Cela veut dire des cours d’éducation financière à la fin du secondaire, mais aussi de l’éducation pour les travailleurs. «C’est difficile de donner cette éducation au travailleur au moment où il en a besoin, vers 40 ans, alors qu’il commence à penser à épargner. Il y a encore du travail à faire. Ça peut se faire par les employeurs, mais aussi, par le conseil financier.»