Plusieurs groupes, invités à la Commission ou non, ont dénoncé le fait que le projet de loi élimine l’exclusivité du conseil en assurance, qui est réservée aux représentants certifiés, et facilite la vente de produits d’assurance en ligne, sans l’intervention de conseillers inscrits. Et ils ont averti le ministre des risques pour la protection du public qui en découlent.
«N’importe qui pourra maintenant vendre ses conseils aux consommateurs. Sans aucune formation ou connaissance, un individu pourra ouvrir un bureau et donner des conseils en assurance, et ce, sans aucune imputabilité», lit-on dans le communiqué publié en marge de la Commission des finances publiques et signé par Alain Paquet, professeur à l’Université du Québec à Montréal et ancien ministre libéral délégué aux Finances, Maxime Gauthier, chef de la conformité chez Mérici Services Financiers, et Bertrand Larocque, administrateur de l’Association professionnelle des conseillers en services financiers (APCSF).
L’ambiguïté du projet de loi quant à qui pourra donner du conseil en assurance de même que les publicités de la Chambre de la sécurité financière qui dénoncent le projet de loi ont agacé Guy Cormier, président et chef de la direction du Mouvement Desjardins. Bien qu’il ait dit ne pas avoir la même interprétation du projet de loi 141, il a pressé le ministre des Finances de clarifier la question.
«S’il y a des besoins de clarification sur des articles de loi pour régler ce supposé enjeu-là, réglez-les, monsieur le ministre, et mettez-les dans le projet de loi le plus rapidement possible pour qu’on arrête de parler de ça le plus rapidement possible», a-t-il déclaré lors de son passage devant la Commission.
Le ministre doit clarifier davantage son projet de loi. La preuve ? L’interprétation de Guy Cormier de l’encadrement de la distribution d’assurance s’éloigne de celle de plusieurs groupes de défense des intérêts des clients, dont Option consommateurs et la Coalition des associations de consommateurs du Québec (CACQ).
«Je fais abstraction des enjeux techniques, comme une personne qui a des problèmes avec sa tablette, a dit Guy Cormier devant la Commission. Si quelqu’un parle au téléphone avec Desjardins, et ça devrait être de même partout dans l’industrie, la personne devrait être certifiée. S’il y a des dispositions dans le projet de loi qui ne sont pas claires, rendez-les plus claires. Pour qu’une personne offre des services financiers au Québec, il faut que cette personne soit certifiée.»
De son côté, Jacques St-Amant, analyste à la CACQ, a une interprétation complètement différente de cette question : «Le projet de loi 141 modifie la Loi sur la distribution de produits et services financiers en retirant le conseil du centre d’activités attribuées au représentant certifié, et c’est ce qui génère notre inquiétude.»
Dans son mémoire, l’Autorité des marchés financiers (AMF) a tenté de calmer les inquiétudes, soulignant que la réglementation relative à la loi irait dans ce sens : «Il est clair pour [l’AMF] que la personne qui interviendra dans le cours d’une transaction en vue d’aider et de répondre aux questions du consommateur relativement au produit d’assurance qu’il souhaite se procurer devra être un représentant certifié, contrairement à la personne qui offre un soutien technique ou administratif.»
L’AMF ajoute que «sauf certaines exceptions bien précises prévues à la loi […] ni un assureur ni un cabinet ne pourront offrir des produits d’assurance par l’entremise de personnes physiques qui ne sont pas des représentants certifiés».
Cette intention du régulateur est éclairante, mais elle devrait être appuyée par un propos non équivoque du législateur. Et celui qu’a transmis le ministre Carlos Leitão lors de la Commission n’était pas limpide, comme l’illustre l’échange qu’il a eu avec des représentants de la CSF.
«Vous [la CSF] dites que le projet de loi permet à n’importe qui de vendre n’importe quoi. Nous n’avons pas la même lecture du projet de loi. Nous ne modifions pas l’article 12 de la loi qui dit que nul ne peut agir comme représentant ni se présenter comme tel à moins d’être titulaire d’un certificat délivré à cette fin par l’Autorité. Les personnes qui parlent au nom d’une compagnie d’assurance doivent continuer d’être certifiées.»
Carlos Leitão poursuit un peu plus loin en différenciant les concepts de conseil et de contrat. Il offre une interprétation un peu surprenante du concept de conseil qu’il souhaite visiblement voir permis à un éventail de personnes et d’organismes beaucoup plus large.
«Vous [la CSF] revenez beaucoup sur la notion de l’exclusivité du conseil. Or, nous pensons que le fait de donner un conseil n’est pas une activité qui devrait être exclusive. De prétendre que seuls les courtiers peuvent donner des conseils, c’est très limitatif. Quand on passe à l’étape suivante, soit celle du contrat avec la compagnie d’assurance, on n’est pas dans le conseil, mais plutôt dans le contractuel et il faut que ça soit un représentant certifié à ce moment-là. Empêcher le conseil, ou vouloir restreindre le conseil, au contraire ça serait priver le consommateur d’une source d’information qui pourrait lui être utile.»
Quoi qu’il en soit, devant cette incompréhension que suscite le projet de loi 141, il appartient au gouvernement de répondre à toutes les questions et aux préoccupations que soulève ce document.
Quiconque a écouté la vidéo du passage de la CSF devant la Commission des finances publiques admettra qu’on n’a pas assisté à un exemple de dialogue constructif entre le ministre des Finances et l’organisme d’autoréglementation. Ce n’est rien de bien étonnant, mais au-delà du fait que la CSF lutte pour sa survie, elle mettait également en avant des arguments qui défendent la profession de représentant et, par le fait même, la protection du public.
Il serait dommage qu’on les balaie du revers de la main. Les audiences devant la Commission des finances publiques auront-elles porté leurs fruits ? On est en droit d’en douter et d’espérer que, malgré le dialogue de sourds auquel on a assisté, le bon sens prévaudra et que le gouvernement présentera une version du projet de loi 141 comportant moins de zones grises et assurant une protection adéquate du public.
L’équipe de Finance et Investissement