Cet exercice risque, à terme, non seulement de mettre de l’ordre ou même d’épurer l’offre disponible, mais aussi de réinitialiser les attentes des clients à l’égard des stratégies qui s’abritent sous le grand parapluie ESG.
Ainsi, ces derniers mois ont été le théâtre de certaines remises en question portant sur l’ESG. Des États américains ont voté des lois anti-ESG, comme en fait foi un rapport de Banque Nationale Marchés financiers (BNMF) sur les tendances touchant l’ESG. Certains produits ou certaines organisations ont été accusés de faire de l’écoblanchiment, soit une opération de relations publiques destinée à masquer ses activités polluantes et à tenter de présenter un caractère écoresponsable.
Par exemple, en mai, le dirigeant de Tesla, Elon Musk, a lancé un pavé dans la mare en affirmant que « l’ESG est une escroquerie ». Il s’insurgeait sur le réseau social Twitter du fait que Exxon est classée parmi les dix meilleures entreprises au monde en matière ESG par le S&P, alors que Tesla ne figure pas sur la liste.
À tort ou à raison, dans les derniers mois, l’étoile de l’ESG a pâli. Et il fallait s’y attendre.
Entre autres parce que l’ESG est une sorte de grand parapluie qui abrite un processus de gestion active assez hétéroclite. Il n’est pas rare que les notes des agences de notation portant sur les entreprises d’un même secteur diffèrent entre elles, parfois en raison de leur filtre d’exclusion par rapport aux controverses.
Puis parce que le cadre réglementaire entourant la classification des produits ESG est jeune et doit gagner en maturité. L’industrie travaille à s’y conformer. Il reste que le terme ESG n’est pas contrôlé et cet acronyme est à risque d’être galvaudé par une entreprise ou un émetteur se livrant à de l’écoblanchiment. Ou encore d’être mis à mal par un éventuel scandale qui mettrait à jour des pratiques non éthiques d’une entreprise qui avait pourtant été bien cotée sur le plan de l’ESG par le passé.
De plus, les perceptions entourant ce que devrait être un fonds ESG varient grandement d’un individu à l’autre. Certains individus ou clients peuvent être très sensibles aux aspects environnementaux et trouvent inconcevable qu’on inclue un producteur pétrolier, un pipeline ou un distributeur de charbon thermique dans un indice ESG. Pour d’autres, la justice sociale est importante et tout faux pas sur le plan des droits des travailleurs ou de la discrimination des groupes minoritaires doit être sévèrement puni.
Avec les agences de notation et les concepteurs d’indices, les émetteurs de fonds tracent une ligne dans le sable à un endroit et trouvent inévitablement des gens qui jugent qu’ils en font trop et d’autres qu’ils n’en font pas assez.
C’est sans compter le débat concernant la meilleure approche à adopter par rapport à l’ESG. Pour certains, il est primordial d’éviter les entreprises qui ne sont pas en phase avec nos valeurs. Ce faisant, on vient augmenter le coût de leur capital et on nuit à leurs activités polluantes. Alors que pour d’autres, on devrait privilégier le militantisme actionnarial et rester investi dans toutes les sociétés et les secteurs afin de les amener à réorienter leur modèle d’affaires de manière plus responsable.
Et que dire des discussions portant sur la performance des fonds ESG, eux-mêmes parfois si différents les uns des autres. Diverses études (Ciciretti, Rocco et Dalò, Ambrogio et Dam, Lammertjan) montrent que les firmes ayant les notes les plus faibles sur le plan de l’ESG ont eu tendance à afficher des rendements plus élevés. Si bien qu’un investisseur ayant une préférence plus marquée que la moyenne pour les firmes vertes devrait s’attendre à un rendement inférieur, en plus d’accepter des frais de gestion généralement plus importants.
D’autres observations empiriques tendent à contredire ces études, alors que des analystes jugent que la question n’est pas encore tranchée, l’ESG pouvant générer des rendements supérieurs durant certaines périodes et inférieurs durant d’autres.
Il fallait s’attendre à ce que l’ESG traverse cette « période de difficultés de croissance attendues depuis longtemps », selon Baltej Sidhu, analyste à BNMF et auteur de l’étude. Selon lui, c’est signe que les clients sont de plus en plus avisés et sceptiques en ce qui concerne les questions ESG. Il ajoute que cet examen plus approfondi permet même de réorienter leurs attentes.
Nous sommes d’accord avec cette interprétation quant aux attentes des clients. C’est une bonne chose qu’un client ait des attentes réalistes face à l’ESG. L’un des risques avec l’ESG est qu’un client comprenne mal ce dans quoi il investit et reproche à son conseiller et au manufacturier de fonds d’offrir un produit qui ne remplit pas ses promesses.
Évidemment, différents organismes ainsi que les régulateurs veulent éviter qu’un fonds ne fasse du marketing mensonger. Cependant, dans la grande zone grise qu’est l’ESG en général, un conseiller veut éviter de nuire à sa relation avec son client en raison d’un désalignement entre les valeurs de ce dernier et la méthodologie d’un fonds recommandé.
Pour ce faire, un conseiller doit revenir aux bases : bien connaître son client, bien connaître son produit et faire l’adéquation entre les deux. Ce genre de remise en question peut même stimuler une vague de transparence chez les manufacturiers, voire des conversations fructueuses avec un client.
Car malgré cette remise en question publique de l’ESG, il existe une composante du genre dans le portefeuille des clients et celle-ci a été en croissance de 2020 à 2022, comme le montrent les éditions du Pointage des courtiers québécois et du Pointage des courtiers multidisciplinaires des dernières années (Lire « Intérêt accru des conseillers pour l’ESG »).
L’intérêt pour ces fonds demeure. En 2022, les ventes nettes de fonds négociés en Bourse et de fonds communs canadiens misant sur l’investissement responsable étaient de 6,9 G$, par rapport à 17,6 G$ en 2021 et 5,1 G$ en 2020, selon en 2021 et 5,1 G$ en 2020, selon l’Institut des fonds d’investissement du Canada (IFIC).
En 2022, les ventes nettes de fonds communs de placement axés sur l’investissement responsable ont totalisé 3,9 G$, comparativement aux rachats nets totaux de 44,1 G$du secteur. Les ventes nettes de FNB ont totalisé 2,9 milliards de dollars, soit 8 % des ventes nettes totales du secteur, d’après l’IFIC.
Nous vous invitons d’ailleurs à lire nos textes sur l’ESG du présent numéro.
La turbulence qu’a connue le secteur ESG pourrait être le prélude à un autre élan de croissance, dont les fondations seront plus ancrées dans des attentes réalistes et un dialogue transparent avec le client. Et ce serait à terme une bonne nouvelle pour l’industrie financière.