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D’ici au 15 juin, soit le dernier jour de la présente session parlementaire, on saura si ce projet de loi qui vise à «améliorer l’encadrement du secteur financier» sera adopté ou mourra au feuilleton.

Un triste constat s’impose depuis sa présentation, le 5 octobre 2017 : les parlementaires n’auront pas vraiment entendu les représentants, malgré tous les efforts que ceux-ci ont déployés pour avoir voix au chapitre. C’est probablement un des plus gros rendez-vous manqués de la réforme proposée, elle qui était pourtant attendue depuis si longtemps.

Certes, des groupes de représentants ont présenté des mémoires, ont organisé des conférences de presse et ont fait du lobbying auprès des parlementaires. On n’a toutefois pas vu de coalition de représentants défendre les intérêts communs de leur profession, entre autres sur les enjeux de la distribution d’assurance par Internet ou sur l’intégration de la Chambre de la sécurité financière (CSF) à l’Autorité des marchés financiers. Cela a laissé tout le terrain à d’autres groupes, plus unis et mieux organisés, pour tenter de gagner cette bataille d’influence.

Des groupes de défense des intérêts des consommateurs ont touché des cordes sensibles et marqué des points, si bien que des membres de l’industrie se sont ralliés à eux. La dernière proposition de la Coalition des associations de consommateurs du Québec, d’Option consommateurs et de l’Union des consommateurs en est un bon exemple.

Ceux-ci veulent qu’on remplace le projet de loi 141 par un autre qui favorise la stabilité systémique du Mouvement Desjardins. Ces groupes ont reçu l’appui de l’Association professionnelle des conseillers en services financiers, de James McMahon, président, Région du Québec – Groupe Financier Horizons, de Guy Duhaime, président Groupe Financier Multi Courtage, de Maxime Gauthier, chef de la conformité de Mérici Services Financiers, de Gino-Sébastian Savard, président de MICA Cabinets de services financiers, de la CSF ainsi que de la Chambre de l’assurance de dommages.

Ils ont aussi reçu l’appui des ex-députés Alain Paquet et Rosaire Bertrand, respectivement ministre délégué aux Finances de 2011 à 2012, et président de la Commission des finances publiques de 2001 à 2006. Rappelons que les deux anciens députés sont intervenus dans les médias cet hiver afin de dénoncer les failles du projet de loi en plus d’envoyer une lettre aux 125 députés de l’Assemblée nationale à ce sujet.

L’ancien premier ministre Bernard Landry a également pris la plume en admettant la nécessité d’actualiser le cadre législatif, tout en dénonçant l’empressement du gouvernement à adopter le projet de loi 141. «À l’évidence, l’adoption à la vapeur du PL 141 au cours des dernières semaines de ce parlement manquerait non seulement de sérieux, il constituerait un déni de démocratie aux conséquences fâcheuses et irréfléchies», écrit-il dans une lettre ouverte reprise, notamment, sur LesAffaires.com.

De leur côté, l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes, le Bureau d’assurance du Canada et la Corporation des assureurs directs de dommages du Québec ont demandé à l’Assemblée nationale d’adopter le projet de loi dans les meilleurs délais. Yvan-Pierre Grimard, directeur, Relations gouvernementales – Québec au Mouvement Desjardins, a pour sa part donné son appui au gouvernement par l’intermédiaire de LinkedIn en dénonçant une «campagne de peur menée par les associations».

D’autres acteurs du secteur, comme Daniel Guillemette, président de Diversico, adoptent un point de vue plus détaché. «Nous n’avons pas besoin de prendre position en faveur ou en défaveur du PL 141, a-t-il indiqué. En fait, nous y sommes totalement indifférents. Il y a suffisamment de gens qui tentent d’influencer le ministre pour favoriser leurs intérêts personnels, et certains réussissent mieux que d’autres. Chez Diversico comme chez Asteris, nous sommes ailleurs.»

Un autre dirigeant de cabinet de l’industrie qui a préféré garder l’anonymat estime que l’abolition de la CSF ne changerait rien à sa vie. Selon lui, le projet de loi 141 se limite à rétablir le droit, pour un courtier en épargne collective, de partager la commission qu’il reçoit avec un autre courtier, un cabinet ou un représentant autonome. Et il ne va certainement pas s’opposer à cet avantage.

Pas de consensus

Cette absence de consensus au sein des représentants affaiblit leur influence et explique cet important rendez-vous manqué. Pourtant, nombre de conseillers membres de la CSF jugent que la vente directe d’assurance sans intervention obligatoire d’un représentant est une importante menace réglementaire, d’après notre sondage mené à l’occasion du Top 12 des cabinets multidisciplinaires (lire en page 17). Selon les répondants, elle risque notamment de réduire la valeur de leur bloc d’affaires en assurance et d’affaiblir la protection des clients.

Quoi qu’il en soit, le cabinet du ministre des Finances maintient le cap, comme l’indique cette réponse qu’il nous a fait parvenir par courriel : «Bien qu’il s’agisse d’un projet de loi complexe et technique, les commentaires entendus, alléguant un affaiblissement de la protection du consommateur, relèvent malheureusement d’une mauvaise compréhension du projet de loi, voire, et c’est regrettable, de la défense d’intérêts particuliers au détriment de l’intérêt général et de la protection des consommateurs.»

Face au refus du ministre des Finances, Nicolas Marceau, porte-parole de l’opposition officielle en matière de finances, est venu au secours des associations de protection des consommateurs en s’engageant à porter leur message. Sans être entièrement d’accord avec elles, Nicolas Marceau concède qu’elles ont soulevé des préoccupations légitimes quant à la protection des consommateurs et leur «désarroi par rapport à la vitesse à laquelle va l’étude du projet de loi».

Au moment de mettre sous presse, la joute politique n’était pas encore terminée. D’ici à ce que l’on connaisse le sort du projet de loi 141, il faut espérer que les représentants ne deviennent pas les grands perdants de la réforme de l’encadrement de l’industrie financière.

L’équipe de Finance et Investissement