Toutes les parties prenantes doivent y voir, car les situations de vulnérabilité financière risquent de se multiplier.
En effet, les Canadiens vivent plus longtemps que jamais, et ceux âgés de 65 ans et plus représentent une proportion de plus en plus grande de la population. Or, les clients de ce groupe d’âge sont les plus susceptibles de se déclarer victimes de fraude financière, d’après une étude commandée par les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) en 2017.
« Selon une étude sur la maltraitance des Canadiens âgés réalisée à l’échelle nationale en 2015, 2,6 % des 65 ans ou plus, soit 244 176 personnes, s’étaient déclarés victimes d’exploitation financière dans les 12 mois précédant la date de leur entrevue », lit-on dans le document « Projets de modification visant à rehausser la protection des clients âgés et vulnérables », publié en mars par les ACVM.
Ce n’est pas étonnant, car plus un client avance en âge, plus il risque d’être atteint d’une maladie le rendant vulnérable ou de souffrir d’un déclin de ses capacités cognitives. « Alors que seuls 7 % des Canadiens de 65 ans ou plus souffrent de démence, ce pourcentage passe à 35 ou 40 % chez les 85 ans et plus », d’après ce document.
L’un des problèmes actuels dans l’industrie est que les dossiers de maltraitance financière sont une véritable patate chaude pour les conseillers et les firmes. En plus de gruger beaucoup de leur temps, ces dossiers semblent enlisés dans les contraintes du cadre réglementaire, ce qui limite les actions des conseillers ou de leurs firmes, même lorsqu’ils soupçonnent qu’un client est exploité.
Le cadre déontologique interdit au représentant de refuser un ordre de rachat si celui-ci provient d’un client apte, même s’il sait que son client est sous l’influence d’un abuseur. Au mieux, il peut retarder la transaction en lui expliquant qu’il a besoin de temps pour revoir son plan et s’assurer de la convenance.
Également, l’encadrement légal et réglementaire interdit à un représentant de communiquer à un tiers les informations confidentielles d’un client.
« C’est une question juridique complexe qui touche des notions de déontologie, de discipline, de responsabilité professionnelle, de droit civil et de protection des renseignements professionnels », reconnaissait l’automne dernier Frédéric Pérodeau, surintendant de l’assistance aux clientèles et de l’encadrement de la distribution à l’Autorité des marchés financiers (AMF).
Lors du sondage mené dans le cadre du Pointage des régulateurs 2020, en janvier et février derniers, Finance et Investissement a demandé à des responsables de la conformité si le cadre réglementaire en place permet de protéger réellement les clients les plus vulnérables contre la maltraitance financière.
En tout, 61,1 % des répondants se disent en accord avec cette affirmation, mais une proportion significative (32 %) ne l’est pas. Et 6,9 % ont répondu « ni en désaccord, ni d’accord ».
« Le représentant ne se sent pas protégé en cas de maltraitance. Il ne sait pas s’il doit en parler. Il lui faudrait une immunité. On continue donc de marcher sur des oeufs », indiquait un sondé.
« En raison de la confidentialité, c’est très difficile de protéger le client contre lui-même ou contre des personnes mal intentionnées, surtout pour les personnes âgées ou celles qui ont des problèmes de santé », ajoutait un autre.
« La réglementation actuelle nous empêche de mettre en place des outils pour protéger la clientèle. Pour le moment, on ne peut rien faire », estimait un troisième.
Depuis, les choses ont un peu évolué. Dans leur projet visant à rehausser la protection des clients âgés et vulnérables, les ACVM souhaitent que les conseillers « prennent des mesures raisonnables » pour obtenir le nom et les coordonnées d’une personne de confiance et le consentement écrit du client à communiquer avec cette personne au cas où la firme « estime raisonnablement » qu’un client vulnérable est exploité financièrement ou que ses facultés mentales diminuent de façon préoccupante.
De plus, les ACVM veulent permettre aux firmes et aux conseillers d’imposer un blocage temporaire sur une série de transactions (achat ou vente de titres, retraits, transferts, etc.) dans le cas où ils estiment raisonnablement qu’un client vulnérable est exploité financièrement ou qu’un client leur ayant donné une instruction ne possède pas les facultés mentales nécessaires pour prendre des décisions financières.
L’AMF espère aussi que conseillers et firmes consultent le guide pratique pour l’industrie des services financiers intitulé Protéger un client en situation de vulnérabilité et communiquent avec l’AMF à ce sujet au besoin.
Ces développements amènent d’ailleurs des firmes à réviser leurs pratiques d’affaires en ce sens. C’est une bonne nouvelle, tout comme les initiatives que proposent les ACVM et l’AMF.
Toutefois, les régulateurs ont abandonné l’idée d’accorder une immunité qui permettrait à un conseiller d’avoir les coudées franches pour dénoncer des risques d’abus. Que faire si on n’a pas réussi à obtenir le nom d’une personne de confiance ou si celle-ci est décédée ou inapte ? Ou encore si cette personne n’a pas les réflexes ou le jugement pour réagir de manière adéquate et au moment opportun lors d’une situation de mauvais traitement ?
Il reste bien entendu la possibilité d’un blocage, mais cette action musclée demeure temporaire et risque d’entraîner, pour une firme, un lot de complications. Un client sous l’influence d’un manipulateur risque au bout du compte de transférer ailleurs ses actifs à la levée du blocage, ce qui permet au mieux de retarder la fraude.
Le cadre que proposent les ACVM est un pas dans la bonne direction, mais il semble perfectible. Seul le temps nous dira s’il est allé assez loin et s’il est réellement utile dans les pratiques courantes. D’ici là, espérons que les cadres réglementaires des secteurs bancaire et de l’assurance de personnes s’amélioreront aussi afin de réellement protéger les clients âgés et vulnérables.