Le projet des Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) de créer un nouvel organisme d’autoréglementation (OAR) qui regroupera les fonctions de l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM) et de l’Association canadienne des courtiers de fonds mutuels (ACFM) est semé dans un terreau riche à la fois de doutes et d’espoirs.
En effet, bon nombre de membres de l’industrie applaudissent l’initiative (lire « Réactions polarisées au Québec »). Et il y a de quoi les comprendre. Tous les courtiers qui sont assujettis à la fois à l’OCRCVM et à l’ACFM y voient une occasion d’éliminer la nécessité d’avoir des entités réglementées distinctes et d’assumer des coûts opérationnels en double.
Selon une évaluation de Deloitte, la valeur actualisée nette des économies de coûts opérationnels (technologiques, dotations de personnel, frais généraux) qui pourraient être réalisées par les courtiers à double plateforme au cours des 10 prochaines années est de 380 à 490M$, indiquait l’OCRCVM dans son mémoire déposé en octobre 2020.
Puisque l’Autorité des marchés financiers (AMF) reconnaîtrait le nouvel OAR, seul celui-ci encadrerait les courtiers du Québec, limitant à cet OAR et à la Chambre de la sécurité financière (CSF) l’encadrement du secteur de l’épargne collective, et à la CSF celui des représentants eux-mêmes. Cela serait susceptible de réduire la confusion chez les investisseurs, selon bon nombre d’acteurs du Québec.
Même un groupe de défense des intérêts des investisseurs jugeait à l’automne dernier que ceux qui veulent formuler une plainte doivent naviguer dans un système de gestion des plaintes confus et inutilement difficile pour l’investisseur. Un autre groupe de défense de leurs intérêts note toutefois que de réduire la confusion n’est pas une priorité des investisseurs. Ceux-ci cherchent plutôt à travailler avec un représentant bien formé, bien encadré et qui agit dans son intérêt supérieur.
La simplification réglementaire permettrait aux entreprises de technologie financière de développer de nouveaux outils pour le plus grand nombre de courtiers possible, selon des membres de l’industrie financière. Pour les courtiers, il serait potentiellement plus facile de distribuer des produits moins coûteux comme les fonds négociés en Bourse (FNB).
Dans leur projet, les ACVM ont également répondu aux critiques des groupes de défense des intérêts des investisseurs, en améliorant la représentativité dans la structure de gouvernance du nouvel OAR de gens susceptibles de défendre ces intérêts.
Malgré ces avantages potentiels et l’espoir qu’ils nourrissent, certains acteurs ne sont pas enchantés du projet. L’énoncé de position des ACVM ne contient pas d’échéancier de mise en place de l’OAR ni de structure de coûts le concernant. On ignore également de quoi aura l’air le corpus réglementaire, ce qui rend difficile pour les courtiers d’estimer les différents coûts d’arrimage de leurs activités avec celui-ci. On ne sait pas si les représentants pourront, à des fins fiscales, partager leurs commissions avec une société par actions qu’ils détiennent.
On ne sait pas non plus si le siège social du nouvel organisme sera bel et bien à Toronto, comme bon nombre l’anticipent. Et on ignore si l’AMF s’assurera que le nouvel OAR a réellement une forte présence au Québec pour offrir une expertise en français, une importante représentation de Québécois au sein de son conseil d’administration et dans son processus décisionnel.
De plus, on ne sait pas comment se fera la cohabitation entre le nouvel OAR et la CSF, qui continuera d’encadrer entre autres les représentants en épargne collective et en assurance de personnes sur le plan de la discipline et de la formation continue. Ces incertitudes ont de quoi nourrir les doutes et les appréhensions dans l’industrie.
Le moment choisi pour mener ce projet réglementaire d’envergure n’a pas non plus de quoi réjouir les acteurs de plus petite taille, dont les ressources sont souvent limitées et qui accueillent tout changement réglementaire comme un alourdissement de leurs coûts opérationnels.
Ces courtiers se conforment actuellement aux exigences des réformes axées sur le client, dont la connaissance du produit et la gestion des conflits d’intérêts. Ils doivent encore une fois en assumer les coûts, comme ils l’ont fait ces dernières années avec bien d’autres propositions réglementaires, dont les divulgations liées à la phase deux du Modèle de relation client-conseiller et l’abolition de la souscription des fonds d’investissement avec frais d’acquisition reportés.
Cette fatigue relative aux réformes réglementaires successives n’aide pas bon nombre d’acteurs de l’industrie à entretenir de l’espoir à l’égard d’un autre plan dont les bénéfices pour le client restent incertains.
On connaîtra davantage l’avis des membres de l’industrie lors de la fin de la consultation des ACVM sur ce projet réglementaire, qui est prévue pour le 4 octobre prochain.
En raison des nombreuses questions sans réponse que soulève l’énoncé de position des ACVM, Finance et Investissement n’émet pas d’avis officiel sur ce projet. Celui-ci est majeur et nous préférons attendre d’en savoir davantage avant de nous prononcer.
Le projet peut être très positif pour certains membres de l’industrie, mais beaucoup moins pour d’autres. L’histoire contient des exemples à la fois de regroupements d’organismes qui ont été porteurs et d’autres pour lesquels les gains d’efficience ont mis du temps à se matérialiser.
Lorsqu’on en saura davantage sur la feuille de route et l’impact du nouveau cadre réglementaire, on pourra alors mieux juger de la pertinence du plan et de la justesse de la démarche.
Chose certaine, on ne doit pas bâcler le projet d’harmonisation ni, surtout, son arrimage à la singularité du cadre réglementaire québécois.
Il appartient maintenant aux ACVM, et plus particulièrement à l’AMF pour la situation unique du Québec, de tout faire afin de rassurer les sceptiques et de démontrer que le regroupement des
OAR est bénéfique pour toutes les parties prenantes du Québec. Dans les prochains mois, l’AMF aura la difficile mission dans ce dossier de faire passer ces parties prenantes du doute à l’espoir.