Les concours de vente et les formations récompenses sous forme de voyages n’ont plus leur place dans l’industrie de l’assurance de personnes. Et il est temps que l’Autorité des marchés financiers (AMF) les interdise définitivement.
Or, malgré toutes les réserves que les régulateurs émettent à l’égard des concours de vente depuis des années, ils ne les ont pas encore prohibés. Pourquoi en est-il ainsi ? Pourquoi est-ce si difficile pour un régulateur intégré comme l’AMF d’asseoir son leadership parmi ses pairs en disant que c’en est fini des concours de vente ?
Bon, il faut être juste, l’industrie de l’assurance de personnes s’est disciplinée par rapport à ce type d’incitatifs basés sur le volume de ventes ces dernières années.
Reportons-nous à la fin de 2015. Les assureurs se faisaient tirer l’oreille par l’AMF depuis plusieurs années afin qu’ils cessent d’organiser des concours de vente. Le régulateur n’aime pas ces voyages récompenses, qui prennent la forme de formations données dans des destinations voyages prisées et qui sont destinées aux conseillers distribuant les volumes les plus importants auprès d’un assureur.
«Les concours de vente ciblant un produit donné peuvent stimuler les ventes d’un produit au détriment du besoin réel des consommateurs», écrivait d’ailleurs l’AMF en juillet 2015 dans son évaluation des pratiques d’affaires des assureurs.
Puis, en février 2016, l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP) propose aux assureurs d’abandonner ces incitatifs qui entraînent une «perception de conflits d’intérêts». S’ensuit une vague d’abandons des concours de vente par les principaux assureurs dans les mois subséquents. Cependant, bien que tout le monde n’ait pas emboîté le pas, le leadership de l’ACCAP est une bonne chose et montre que l’industrie peut s’autodiscipliner.
Toutefois, la période de transition pour l’abandon de cette pratique est longue. Encore en 2018, certains assureurs ont récompensé des conseillers en leur offrant des voyages.
Ils l’ont fait même si l’AMF leur a dit, en juillet 2017, que les concours de vente représentaient un «risque élevé de conflits d’intérêts», étant donné qu’ils incitent le représentant à «concentrer sa production à un seul endroit» au détriment des besoins du client.
Le plus étonnant, c’est que l’ancêtre de l’AMF a aboli les concours de vente en distribution de fonds communs en 1998, avec l’application du Règlement 81-105, et pour cause : «J’avais vu des horreurs à l’époque. Une représentante avait ouvert un REER de trop pour gagner un téléviseur couleur, et le client s’est retrouvé avec le fisc sur le dos», raconte un conseiller sondé sur la pertinence de garder ou non les concours de vente, à l’occasion du Top 12 des cabinets multidisciplinaires de 2016. Cet exemple parle de lui-même.
Cette année-là, près d’un conseiller sur deux sondés (49 %) s’est dit favorable à la disparition des concours de vente, et 47,5 % étaient d’avis qu’il faut mieux les encadrer. Un très faible pourcentage (3,5 %) s’était prononcé en faveur du statu quo.
Transparence nécessaire
On comprend que les concours de vente peuvent ne pas avoir une incidence majeure sur le revenu de certains conseillers, surtout les plus gros producteurs. Donc, ils peuvent n’avoir qu’une faible influence sur leur pratique.
Le problème est le doute qu’ils sèment dans la tête des clients. D’abord, se voir offrir un tel voyage reste un avantage imposable significatif. Un cadeau, même imposable, de quelques milliers de dollars n’est pas rien. On ne parle pas ici d’un simple repas au restaurant ou d’un objet promotionnel de faible valeur.
À l’ère où la transparence est reine, les conseillers doivent faire attention. Des clients pourraient mal réagir s’ils se sentent lésés par ces concours de vente en déversant leur fiel dans les médias sociaux, au détriment de la réputation de l’ensemble des conseillers de l’industrie.
Les conseillers en sécurité financière doivent se considérer comme des professionnels. Évidemment, ils doivent être payés pour leurs services, mais les incitatifs de cette nature n’ont pas leur place. On doit éliminer le risque de semer ce genre de doute pernicieux dans l’esprit du client : «A-t-il travaillé dans mon intérêt ou plutôt dans le sien ?»
Aux régulateurs de mettre leurs culottes
Sachant tous les risques que font courir les concours de vente, il est surprenant que, pas plus tard que mai dernier, l’AMF ait soutenu qu’«aucune décision n’a été prise quant à l’interdiction des concours de vente ou de certaines formes de rémunération».
Comment un régulateur peut-il encore maintenir cet écart réglementaire entre les industries de l’assurance et du placement ? Il est temps que l’AMF soit cohérente avec elle-même et abolisse les concours de vente. En même temps, le régulateur québécois devra aussi surveiller par quoi exactement ces voyages seront remplacés.
Il serait souhaitable que l’AMF en arrive à cette conclusion au terme de sa réflexion sur la gestion des risques de conflits d’intérêts liés aux incitatifs, laquelle consultation a débuté en juillet 2017.
Tout le monde gagne à ce que l’industrie améliore son image.
******
La transparence est le concept par excellence que font valoir les régulateurs depuis quelques années. Dès lors, la prochaine fois que l’AMF mènera une réflexion sur les conflits d’intérêts liés aux incitatifs, le régulateur devrait passer par la voie d’une consultation publique, où les mémoires des groupes d’influence sont entièrement publics, contrairement à ce qu’il a fait en juillet 2017. Les activités de lobbyisme doivent être transparentes et il est d’intérêt public que tous sachent qui cherche à exercer une influence auprès de ce régulateur. C’est l’un des principes de la Loi sur la transparence et l’éthique en matière de lobbyisme et il appartient à l’AMF de faire en sorte que cette loi soit appliquée.
L’équipe de Finance et Investissement