Encore une fois, l’industrie financière semble se trouver à une croisée des chemins sur le plan réglementaire. Les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) envisagent en effet d’abolir l’option de souscription avec frais d’acquisition reportés en distribution de fonds d’investissement et de mettre en place une série de règles pour encadrer la connaissance du client, la convenance et les conflits d’intérêts, une démarche aussi connue sous le nom de réformes ciblées.
Ces réformes, en plus de nombreux autres projets réglementaires non cités précédemment, découlent certes d’une bonne intention. Toutefois, ne risquent-elles pas de paver la voie à de mauvais résultats pour les clients, en privant un certain nombre d’un accès au conseil financier?
En effet, il est louable de vouloir créer le meilleur cadre réglementaire pour les professionnels, compte tenu de l’importance de leur rôle. On comprend que les régulateurs veuillent s’assurer, entre autres, que les produits que les conseillers offrent ont les frais les plus bas, sachant qu’il est plus probable que ces produits obtiennent de meilleurs rendements, selon diverses études, dont celles de Morningstar. Là n’est pas l’enjeu.
L’enjeu est que le conseil financier est une poule aux oeufs d’or. Jumelé avec l’éducation financière de la population, il crée de la richesse. Ce sont le conseil financier et l’éducation financière qui aident les clients et les futurs investisseurs à adopter les bons comportements : gérer son budget, épargner suffisamment, et faire au bon moment les bons choix sur le plan de la protection d’assurance, tout en tenant compte des besoins légaux, fiscaux et successoraux.
Un client a beau avoir un portefeuille de placements à faible coût, lequel comprend une allocation d’actifs pertinente et une stratégie de rééquilibrage adéquate, ce portefeuille ne lui servira à rien si, dans la fleur de l’âge, il devient invalide de manière permanente sans protection d’assurance invalidité appropriée. Même chose si un parent ayant de jeunes enfants à charge rend l’âme sans assurance vie convenable.
On a beau vouloir bien gérer les placements d’un client, ce dernier doit d’abord être en mesure de maîtriser ses dépenses afin d’épargner suffisamment. Car l’épargne est en quelque sorte la fondation sur laquelle repose tout l’édifice.
Combien de salariés, par exemple, ne profitent pas pleinement de la bonification offerte par leur employeur lorsqu’ils cotisent à leur régime de retraite à cotisations déterminées, laissant ainsi de l’argent sur la table ?
Avec éducation et conseils, nombre de personnes prendront conscience de l’effet de leur épargne sur leur qualité de vie à la retraite, tout comme de l’importance de gérer les aspects légaux, fiscaux et successoraux de leur vie financière.
C’est pourquoi le cadre réglementaire doit être convenable et gérable pour l’industrie, tout en protégeant le public. Dans le cas contraire, les régulateurs risquent, qu’ils le veuillent ou non, d’amener les firmes et les conseillers à délaisser leurs clients «les moins payants», souvent les détenteurs de plus petits comptes.
Tant que le conseil financier restera une activité commerciale, chaque forme de rémunération aura ses bons et ses mauvais côtés et entraînera son lot de conflits d’intérêts. Or, si les régulateurs, dans leur souci de gérer ces problèmes, accélèrent la tendance actuelle à se départir des clients ayant peu d’actif, on rate la cible et on prive de conseils ceux pour lesquels ces services seraient particulièrement bénéfiques.
Les régulateurs aimeraient sûrement qu’une nouvelle technologie permette l’offre de plans financiers personnalisés au marché de masse. Cependant, comme on peut le lire dans notre texte sur l’offre de services de planification financière en ligne sans l’intervention obligatoire d’un professionnel, qui commence en page une du présent numéro, l’industrie financière n’y est pas encore.
«L’intelligence artificielle n’a pas atteint la maturité nécessaire pour que ses décisions soient pleinement comprises», lit-on dans l’article, paraphrasant l’avis d’un expert.
D’ici à ce que ce soit le cas, les conseillers en chair et en os demeureront nécessaires afin de s’assurer que les clients ont bien compris leur plan financier, de répondre à leurs questions et de les rassurer.
Même si la valeur du conseil financier est difficile à quantifier et que les méthodes pour le faire sont imparfaites, cette activité crée de la valeur à long terme pour les clients. Bien sûr, le conseil financier doit être de qualité, judicieux, personnalisé et livré par des représentants compétents et présents pour leurs clients.
Il reste que l’éducation financière de la population et le conseil financier de qualité créent de la richesse collective. Leur détérioration risque malheureusement d’avoir l’effet inverse. Les régulateurs doivent garder cette pensée constamment en tête lorsqu’ils imaginent le cadre idéal pour protéger le public.
L’équipe de Finance et Investissement