Les nouveaux états de compte conformes à la deuxième phase du Modèle de relation client-conseiller (MRCC 2), lancé en 2017, ont généré leur lot de frustration chez des conseillers qui ont dû gérer l’incompréhension de certains clients. Loin d’être généralisée, cette turbulence a mobilisé plusieurs acteurs dans les réseaux de distribution, révèlent nos récents sondages de l’industrie.
En 2018 tout comme en 2017, les conseillers en placement et les représentants liés à un cabinet multidisciplinaire ont accordé des notes faibles et moyennes, respectivement, à leur courtier sur la clarté et la qualité des relevés de compte offerts au client, d’après les sondages menés par Finance et Investissement pour le Top des courtiers québécois et le Top des cabinets multidisciplinaires.
Plusieurs conseillers sondés se sont plaints du manque de clarté du relevé. Ils déplorent notamment la trop grande quantité d’informations qui tue l’information, que des clients ne retrouvent plus l’information qu’ils cherchent, et leur absence de contrôle sur ces relevés.
«Les relevés ne sont pas bons : il y a trop d’information comptable. C’est du chinois», dit un conseiller sondé.
Dans la majorité des firmes, des conseillers soulignent toutefois l’amélioration de la clarté ou de la beauté des nouveaux graphiques et le fait que des clients aiment leurs relevés.
«C’est mieux qu’avant. Tout a été repensé, mais ce n’est pas optimal pour le client», ajoute un autre conseiller.
Retards et embûches technos
Derrière ces commentaires se cache beaucoup de travail de la part des firmes de courtage et de leurs fournisseurs de logiciels. Malgré tout, des exceptions difficiles à prévoir et des difficultés techniques se sont présentées en fin de parcours, si bien que plusieurs firmes ont retardé leurs premiers envois de relevés.
SFL, partenaire de Desjardins Sécurité financière (DSF), a obtenu une note de 7,5 sur 10 sur le plan de la clarté des relevés. Un répondant qualifiait les relevés de «mal faits». Michael Rogers, vice-président, ventes et distribution, réseaux indépendants, chez DSF, admet qu’à l’instar d’autres réseaux dans l’industrie, le sien a connu des embûches technologiques. Par exemple, des erreurs de données l’ont forcé à repousser l’émission des relevés de quelques semaines : «Ça a été difficile avec notre fournisseur. Ça a créé un peu de frustration chez les conseillers : tout le monde veut son relevé de fin d’année pour sa rencontre de janvier avec ses clients.»
Le Groupe Investors a obtenu 8,5 sur 10 pour le critère de la clarté des relevés de compte, ce qui est au-dessus de la moyenne de 8,1 points des cabinets multidisciplinaires, mais un conseiller déplore la confusion chez certains clients qui ont reçu deux relevés différents.
«Aujourd’hui, on a des clients qui sont sur une plateforme, celle client name, et une autre, notre plateforme MFDA. Éventuellement, il va y avoir une fusion de ces plateformes. Ils ont eu deux relevés de compte. Ça peut peut-être porter à confusion, mais éventuellement, ils ne vont en avoir qu’un seul», dit Claude Paquin, président, Québec, pour le Groupe Investors.
Au Groupe Cloutier, les relevés sont aussi arrivés un peu plus tard que prévu au début de 2017, et ils étaient parfois volumineux. «La première année, des clients ont reçu un relevé de 45 pages. Toutes les transactions de l’année s’y retrouvaient : les prélèvements automatiques hebdomadaires alloués à chaque fonds et toutes les autres transactions de distribution, comme les changements de fonds ou les dépôts ponctuels», détaille François Bruneau, vice-président administration, investissement chez Groupe Cloutier Investissements.
«Trop d’informations tue l’information. On arrive à un point de saturation où le client n’est pas capable d’en prendre davantage», poursuit-il. Son cabinet a obtenu une note de 8,5 au critère d’évaluation.
Le relevé de fin d’année 2017 était moins volumineux, étant donné qu’il couvrait la période du dernier trimestre de 2017, mais certains clients ont tout de même reçu des relevés de 20 à 25 pages.
Un conseiller du Groupe Cloutier déplorait que certains clients, souscripteurs à la fois de fonds communs et de fonds distincts, n’avaient aucun relevé détaillant les rendements et les frais des seconds. «Le Conseil canadien des responsables de la réglementation d’assurance veut augmenter la divulgation en fonds distincts et [ce genre de divulgation] va devenir la responsabilité de l’assureur. Et c’est une bonne chose», dit François Bruneau.
Adaptation nécessaire
Les nouveaux relevés de compte ont donné du fil à retordre à Valeurs mobilières Desjardins (VMD).
«On a vécu un cauchemar au début de 2017. Les premières copies d’état de compte de janvier étaient affreuses : les états de compte courbaient et l’encre coulait», raconte Luc Papineau, vice-président, courtage et gestion privée chez VMD.
C’est la crise : les conseillers reçoivent des appels de clients mécontents. La direction crée alors un comité de travail sur le sujet comprenant des représentants. On se retrousse les manches et retravaille l’état de compte, surtout la première page afin d’y concentrer l’information pertinente.
«Plusieurs accros ont irrité les clients. Il y a eu une transformation importante, qui a été un peu comme un lourd accouchement. Le processus a été long», note un conseiller du courtier.
«Avant de lancer le nouveau modèle d’état de compte, on a parlé à nos clients qui avaient été les plus vocaux [contre la première version de l’état de compte] pour leur soumettre notre nouveau travail. Et ça a passé le test», explique Luc Papineau.
Ces efforts ont porté leurs fruits, ajoute-t-il : «On a un bel état de compte, qui est facile à lire et qu’on continue d’améliorer. C’est parti d’une crise et on a fini avec un bel état de compte.»
La note de 8 points sur 10 accordée aux relevés de compte par les conseillers de VMD est au-dessus de la moyenne (7,5) des firmes sondées. Cependant, le cas du courtier semble malheureusement être une exception, puisque plusieurs firmes ont obtenu une note plutôt faible sur le plan de la clarté et la qualité des relevés de compte des clients. Gestion de patrimoine TD a obtenu une note relativement faible (6,3) à ce critère par rapport à son Indice FI (8,1 points sur 10). «Le relevé de compte n’est pas assez clair. Certains éléments le sont, d’autres non. Les graphiques sont beaux, mais les clients ne comprennent pas et certains appellent, en peur», dit un conseiller de cette firme.
«Chez nous, les états de compte sont supérieurs de manière très importante à ce qu’ils étaient en termes de qualité visuelle et d’information. Tout de même, il y a une période d’adaptation des clients pour bien comprendre ce qui se retrouve à chaque page», explique Stéphan Bourbonnais, premier vice-président et directeur régional Est du Canada, services privés, Gestion de patrimoine TD.
Selon lui, avec le MRCC 2, l’industrie a raté une occasion d’adopter un relevé de compte standard, qui présente de la même façon l’information, peu importe l’institution financière : «On aurait pu par la suite éduquer la population sur la manière de lire la première page de leur état de compte», ajoute-t-il.
Avec une note de 7,9 sur 10 au critère de la clarté des relevés de compte, BMO Nesbitt Burns affiche une note moyenne pour ce critère. Plusieurs conseillers sondés soulignent les récentes améliorations, mais quelques-uns pensent qu’il y a encore du travail à faire. «Il y a de la confusion chez les clients, car il y a trop de détails. Trop est comme pas assez», dit l’un d’eux.
Les clients ont souvent besoin d’une période d’adaptation avant de bien comprendre leur nouvel état de compte, note Sylvain Brisebois, premier vice-président et directeur général et directeur régional de la firme. Selon lui, les états de compte sont complets, respectent les nouvelles normes et beaucoup d’effort a été déployé pour qu’ils s’améliorent.
«C’est aux firmes, aux clients et aux conseillers de s’assurer que les états de compte sont bien compris, ajoute Sylvain Brisebois. C’est un domaine qui est complexe, qui n’est pas naturellement facile pour la plupart de la clientèle. Il faut mettre de l’effort et du temps pour comprendre.»