La popularité grandissante des comptes à honoraires a eu un effet significatif sur l’industrie, particulièrement sur les manufacturiers de produits financiers. La récente étude de Strategic Insight, intitulée «Canadian Investment Funds Industry : Recent Developments and Outlook», chiffre notamment le résultat de cette tendance.
Entre autres, les changements réglementaires et le désir des courtiers d’avoir des revenus plus stables ont poussé les conseillers à offrir des comptes à honoraires (fee-based). Les comptes à honoraires représentaient environ 20 % des 4 500 G$ d’actifs financiers, excluant les actifs immobiliers, que détenaient les Canadiens à la fin de 2017.
Ces comptes constituent une part croissante de l’actif financier des clients, ce qui a eu une influence importante sur les émetteurs de fonds.
En 2012, les séries F ne constituaient que 4 % de l’actif total en fonds d’investissement. Cinq ans plus tard, en 2017, leur poids passait à 14,3 %. Cette progression fulgurante s’illustre également par le nombre de fonds communs de placement (FCP) qui en offrent la possibilité. En 2014, on trouvait 1 439 fonds de série F. En 2017, ce nombre quadruplait à 6 704.
D’après Strategic Insight, l’actif détenu dans des comptes à honoraires à gestion discrétionnaire et à gestion non discrétionnaire s’élèverait à 2 900 G$ d’ici la fin de 2026, ce qui équivaudrait à environ 42 % de l’ensemble de l’actif financier. Il s’agit d’une hausse de 2 000 G$ ou l’équivalent d’un taux de croissance annuel composé de 13 % durant la prochaine décennie.
Selon Strategic Insight, la rémunération par honoraires dépassera alors les autres formes de rémunération pour les comptes non discrétionnaires.
La nouvelle «normalité» de la rémunération par honoraires est frappante lorsqu’elle est illustrée par des chiffres bruts. Ainsi, les actifs détenus dans des comptes à honoraires non discrétionnaires atteignaient 73 G$ en 2007 et 323 G$ en 2017. Ils devraient représenter 1 200 G$ en 2026, projette Strategic Insight.
Produits à faible coût favorisés
L’adoption des honoraires ne semble toutefois pas neutre sur le plan du choix de produit par les conseillers. Chez les conseillers de plein exercice qui ont adopté précocement la tarification à honoraires non discrétionnaires, «la pondération relativement faible des fonds communs de placement a permis une réduction contrôlée des coûts» pour les clients lorsque ceux-ci négociaient leurs honoraires, apprend-on dans l’étude de Strategic Insight. Le passage aux honoraires semble ainsi favoriser l’adoption d’outils de placement à faible coût, comme les fonds négociés en Bourse (FNB).
Chez les firmes de courtage de plein exercice, qui ont été parmi les premières à adopter les honoraires, près de 65 % de l’actif en FNB se retrouve dans des comptes à honoraires. En revanche, seulement 38 % de l’actif en FCP se situe dans des comptes à honoraires pour ce type de firmes.
Comme le remarque Strategic Insight, le passage aux honoraires ne s’est pas fait au même rythme en FCP qu’en FNB. Une part plus importante de FCP devrait transiter vers des comptes à honoraires à l’avenir. Notons par ailleurs qu’une part plus importante de l’actif en FNB a toujours été détenue dans un compte à honoraires, par rapport aux FCP, étant donné les entrées nettes de FNB dans ces comptes.
Strategic Insight présente une autre statistique significative : la part des FCP et des FNB faisant partie des comptes non discrétionnaires à honoraires dans le secteur du courtage de plein exercice. À la fin de 2012, la proportion était de 27 % (22 % pour les FCP et 5 % pour les FNB). Cinq ans plus tard, à la fin de 2017, le pourcentage atteignait 38 % (31 % en FCP et 7 % en FNB). Pour l’ensemble des firmes de courtage de plein exercice, la part des fonds atteignait 32 % à la fin de 2017 (26 % en FCP et 6 % en FNB).
Ainsi, pour les conseillers, les honoraires semblent rimer avec davantage de gestion d’actif déléguée à des manufacturiers dans leur bloc d’affaires. Les représentants se concentreraient davantage sur la planification financière que sur la négociation de titres financiers.
«Le passage aux pratiques à honoraires a conduit les gestionnaires d’actifs à étendre leur gamme de fonds communs de série F et à incorporer des FNB. Les gestionnaires d’actifs ont également taillé leurs crayons pour s’assurer que les prix de leurs produits étaient attirants pour les modèles d’affaires de ces conseillers», écrit Strategic Insight.
Différent en épargne collective
L’adoption des honoraires ne semble toutefois pas se faire de la même manière chez les firmes de courtage en épargne collective. En effet, leur transition vers les honoraires se fait principalement sur le plan des FCP de série F, d’après Strategic Insight.
De plus, leur adoption est plus lente par rapport à leurs pairs en courtage de plein exercice. En effet, 90 % des conseillers en placement avaient au moins une portion de leur bloc d’affaires dans des comptes à honoraires non discrétionnaires à la fin de 2017, par rapport à 76 % à la fin de 2012, d’après Strategic Insight. Par comparaison, à la fin de 2017, seulement 17 % des conseillers en épargne collective, dont la firme permet les comptes à honoraires, administraient de tels comptes.
Parmi les facteurs qui stimulent l’adoption des honoraires chez les courtiers en épargne collective, Strategic Insight note leur désir d’être transparents face à leurs clients concernant les coûts de distribution et de gestion, et la possibilité pour un client de négocier sa rémunération.
«Cela ne s’est pas encore traduit par une réduction des coûts pour la majorité des investisseurs en fonds communs de placement utilisant ce canal de distribution, en grande partie à cause de l’adoption limitée du modèle basé sur les honoraires et de la similitude avec le modèle existant à commissions intégrées – à l’exception des clients fortunés qui bénéficient de frais inférieurs à la commission de suivi standard lorsque les soldes de leur compte sont très élevés», écrit Strategic Insight.
La proportion de l’actif en fonds d’investissement dans des séries pour clients fortunés est passée de 14 % en 2012 à 24 % en 2017, selon cette firme de recherche.
Les courtiers en épargne collective peuvent avoir de la difficulté à montrer au client l’avantage des honoraires, surtout si ceux-ci ressemblent à une commission de suivi et qu’ils peuvent potentiellement être plus élevés que les commissions de suivi, particulièrement pour les petits comptes. Il sera essentiel de démontrer au client la valeur ajoutée de l’adoption d’une tarification à honoraires, sinon celui-ci risque de la rejeter, souligne Strategic Insight.
Avec Jean-François Barbe