Quand les marchés boursiers connaissent une année de baisse, les ventes de produits de placement suivent habituellement la même direction. Ceci fait partie des tendances naturelles touchant les ventes et des rachats de l’industrie canadienne des fonds communs de placement (FCP), qui a 86 ans et a subi de multiples récessions et marchés baissiers.
Pourtant, en 2018, la tendance à la baisse des marchés entraînant une chute des ventes n’était vraie qu’en partie. Un virage prononcé s’observait dans la direction des ventes : les ventes de fonds négociés en Bourse (FNB) ont dépassé les ventes de FCP pour la première fois en une décennie. Ce virage survient alors que l’actif sous gestion de FNB canadiens (172,3 G$ à la fin de mars) ne représente qu’un dixième de celui de l’actif géré en FCP canadiens (1 533,5 G$ à la fin de mars).
Au quatrième trimestre de 2018, le plongeon des actions a effrayé les investisseurs en FCP, ce qui a causé une vague de rachats nets alors que l’industrie avait pourtant enregistré des ventes nettes durant la première moitié de 2018. Sur toute l’année, les FCP à long terme ont enregistré des rachats nets de 2,5 G$, selon l’Institut des fonds d’investissement du Canada (IFIC). En même temps, l’Association canadienne des fonds négociés en Bourse (ACFNB) a rapporté des ventes nettes de 20,9 G$ l’an dernier, juste derrière le record de 25,8 G$ enregistré en 2017, les FNB d’actions venant en tête des ventes.
Cependant, il serait faux de décrire les tendances récentes des ventes en termes de gagnants et de perdants parmi les fournisseurs de fonds d’investissement. De plus en plus, les sociétés de fonds communs, sous une forme ou une autre, sont également impliquées dans le secteur des FNB. Il existe une attitude confiante selon laquelle toute structure de fonds voulue par les investisseurs et les conseillers est bonne. Signe de la convergence de l’industrie, l’IFIC a commencé, cette année, à couvrir également les FNB dans ses rapports mensuels sur les actifs et les ventes de l’industrie des fonds.
De leur côté, les sociétés de fonds qui ont décidé de ne pas créer de FNB ont encore d’énormes réseaux de distribution à qui faire appel, tels que les réseaux de succursales d’institutions bancaires, d’autres forces de ventes exclusives et des courtiers indépendants qui ne détiennent pas le permis nécessaire pour négocier directement sur les Bourses. Or, ces manufacturiers de fonds reconnaissent l’existence d’une concurrence intensifiée, d’une pression à la baisse sur les frais de gestion et de coûts élevés en conformité. Ceci a créé un sentiment d’urgence d’agir avec efficacité, d’offrir des rendements concurrentiels et de fournir un excellent service.
Expliquant pourquoi les ventes de FNB ont été plus résilientes, Carlos Cardone, directeur général sénior du bureau de Toronto de Strategic Insight établie à New York, dit que les FNB bénéficient d’un effet de substitution. Dans une grande mesure, les détentions directes de titres dans le réseau du courtage sont remplacées par les FNB. C’est particulièrement vrai pour les obligations. «De nos jours, on trouve des FNB dans le marché des produits à revenu fixe avec des caractéristiques, qui sont très difficiles d’accès pour les courtiers et pour quasiment n’importe qui», dit Carlos Cardone.
Dans de nombreux cas, les FNB remplacent également les FCP dans les réseaux de courtage de plein exercice et de courtage à escompte. Selon Carlos Cardone, parmi les fonds les plus vulnérables aux rachats se trouvent les fonds d’actions diversifiés avec des participations identiques à leur indice de référence qui ont des frais plus élevés que leurs FNB concurrents. «Ces fonds ne trouvent pas que la poursuite de la croissance soit très facile.»
Par ailleurs, le paiement accéléré de la dette des ménages diminue les ventes de tous les types de placement. Strategic Insight calcule qu’en 2018, les Canadiens ont consacré un montant additionnel de 45 G$ aux remboursements de dettes en plus de leurs autres paiements. «Les taux d’intérêt plus élevés constituent un incitatif très important pour que les gens fassent davantage de remboursements», dit Carlos Cardone.
Dans le marché des fonds communs actuel, particulièrement dans les réseaux de conseillers, dit Carlos Cardone, on met davantage l’accent sur le rapport qualité-prix. Ce qui ne signifie pas nécessairement des stratégies passives à faibles frais. «Nous continuons à entendre que certaines sociétés ont des produits qui se vendent très bien et sont gérées de façon active.»
Carol Lynde, présidente et chef de la direction de Bridgehouse Asset Managers, de Toronto, met en garde contre le fait d’accorder trop d’importance aux récentes préférences de produits. Les tendances des ventes suivent des cycles et peuvent changer rapidement, dit-elle. Par exemple, les ventes de FCP ont encore dépassé celles des FNB au premier trimestre de 2019.
«Quand nous examinons ce que nous avons à offrir aux investisseurs canadiens et aux conseillers, il est important que nous nous concentrions sur les aspects fondamentaux de ce que nous faisons, que nous soyons cohérents avec notre style, [et] que nous soyons cohérents avec la façon dont nous servons nos clients, nos conseillers et nos courtiers», dit Carol Lynde, qui est vice-présidente du conseil de l’IFIC et assumera la présidence du conseil du groupe vers la fin de l’année.
Carol Lynde compte collaborer avec les organismes de réglementation des valeurs mobilières pour créer des «règles du jeu équitables» pour les FCP. «Dans certains cas, il y a peut-être un plus grand degré de surveillance et plus de coûts reliés aux fonds communs qu’il n’y en a dans les autres outils de placement, dit-elle. Nous devons [nous demander] : « Sommes-nous allés trop loin sur le plan des détails de la réglementation concernant la détention d’un fonds commun ? » Parce que les Canadiens s’interrogent sur son coût par rapport à son bénéfice, et peuvent se tourner vers des produits moins réglementés qu’un fonds commun.»
Bridgehouse Asset Managers offre plusieurs gammes de fonds communs à gestion active, mais ne saute pas dans le train en marche des FNB. «Ce qui est vraiment important, c’est la valeur qu’on reçoit du gestionnaire, le style, la philosophie de placement de ce gestionnaire particulier, dit Carol Lynde. C’est ce qui est important. Pas tant la structure même du produit.»
Jordy Chilcott, directeur, distribution des placements, chez Placements mondiaux Sun Life, de Toronto, affirme que la plupart des conseillers ne cherchent pas à pouvoir négocier pendant les «23 400 secondes d’une journée» d’ouverture des marchés. Il ajoute que pour les stratégies d’investissement dans des marchés moins liquides, les écarts cours acheteurs-cours vendeurs peuvent faire des FNB un outil d’un prix moins efficient que les fonds communs, qui se négocient toujours à la valeur de l’actif net (VAN) à la fermeture des marchés.
Toutefois, la plupart des plus grands noms de l’industrie des FCP offrent maintenant des FNB. BMO Gestion mondiale d’actifs, établie à Toronto, occupe une solide deuxième place sur le plan des actifs en FNB, et a été en 2018, pour la septième année consécutive, le manufacturier dont les FNB ont enregistré les meilleures ventes. Manufacturier de FCP depuis longtemps, Placements Mackenzie, également de Toronto, s’est classée troisième pour l’année 2018 sur le plan des ventes nettes de FNB, moins de trois ans après le lancement de ses premiers fonds.
Pendant ce temps, le géant des fonds communs, RBC Gestion mondiale d’actifs (RBC GMA), a fait équipe avec le plus important fournisseur de FNB, BlackRock Asset Management Canada, de Toronto. Comprenant principalement des FNB iShares de BlackRock, l’alliance stratégique annoncée en janvier dernier est mise en marché sous le nom d’iShares RBC. À la fin du premier trimestre de 2019, elle détenait un actif de 61,7 G$ et une part de marché de 39,3 %, selon l’ACFNB.
«Nous traitons aussi beaucoup de FNB», affirme Doug Coulter, président de RBC GMA, établie à Toronto, qui affiche plus de 225 G$ en fonds communs sous gestion et une part de marché de ce segment de produit de 15 %. «Ça devient un choix en fonction de la perspective du client.»
Selon les canaux de distribution visés par RBC GMA, des stratégies de placement peuvent être offertes, comme les fonds communs, les FNB ou les deux, dit Doug Coulter. L’entreprise peut lancer de nouvelles offres qui ont des participations identiques, «exactement au même prix, et l’une aura la dénomination de FNB, et l’autre, celle de fonds commun».
Un autre participant dans le monde des FNB est Placements Franklin Templeton, firme de fonds communs de longue date, qui a commencé à offrir des FNB en mai 2017. En février 2019, l’offre inclut maintenant les premiers FNB à gestion passive du Canada qui investissent au Japon et en Europe, sauf au Royaume-Uni.
«En fin de compte, ce n’est pas tant que nous commercialisons un produit, mais nous commercialisons nos compétences en placement, dit Duane Green, président et chef de la direction de Franklin Templeton, à Toronto. Notre objectif est de mettre tout emballage voulu par un client, créant cet emballage d’outil de placement qui répond à ses buts quand il bâtit son portefeuille, et de lui donner les bonnes pièces maîtresses.»
Reconnaissant que ce ne sont pas tous les conseillers qui peuvent accéder à ses FNB, l’entreprise a lancé en février trois Portefeuilles FNB multiactifs Franklin, avec des frais de gestion de 0,40 % pour les parts de Série F destinées aux conseillers à honoraires. Selon Duane Green, les stratégies clés de la firme pour réussir sont, entre autres, d’offrir des placements de qualité institutionnelle à tous les segments de marché ainsi que des prix compétitifs, «et de nous assurer que nous avons des relations fortes avec nos principaux intermédiaires, distributeurs et partenaires».
Pour les entreprises qui vendent par l’intermédiaire de réseaux de conseillers, ces relations évoluent. À la fin de 2018, pour la première fois dans l’histoire du réseau de courtage de plein exercice, plus de 50 % des quelque 1 200 G$ d’actifs étaient à honoraires, selon Strategic Insight. Ceci a eu un impact sur les choix de produit.
«Quand les conseillers passent à une rémunération à honoraires, ce changement n’est pas nécessairement neutre pour le produit, remarque Carlos Cardone. Ce qui arrive dans de nombreux cas, c’est que les conseillers tentent de protéger leur propre rémunération à l’intérieur de comptes à honoraires, et peut-être même, dans certains cas, de l’augmenter.» Par conséquent, ajoute-t-il, ces conseillers peuvent être plus enclins à recommander des types de produits indiciels, ou des produits à prix plus bas en général, mais pas nécessairement exclusivement.
Steve Hawkins, président de Horizons ETFs Management (Canada), s’attend à ce que la part des FNB dans le marché des fonds d’investissement continue d’augmenter, comme elle l’a fait aux États-Unis pendant les cinq dernières années. «Les FNB représentent 35 % du marché aux États-Unis, par rapport à seulement 11 % au Canada, dit-il. Le Canada est toujours en retard par rapport aux États-Unis quand il s’agit de produits de placement.» Même si Steve Hawkins reconnaît qu’il y a eu une tendance à la baisse significative dans les frais des fonds communs, «les FNB sont encore fortement ancrés comme étant un produit à bas coût que les conseillers en placement utilisent pour leurs clients. Et nous constatons une augmentation importante chez les investisseurs autonomes.»
Alors que le nombre de fournisseurs de FNB a augmenté rapidement, il y a eu une tendance à la consolidation parmi les firmes de fonds, les plus petites étant absorbées. «Ce n’est pas tout le monde dans les fonds communs ou dans la gestion d’actif qui est capable de survivre à cette compression des marges que nous connaissons tous, dit Jordy Chilcott, de Sun Life. C’est extrêmement difficile pour les gestionnaires de plus petits actifs qui n’ont pas pris de l’envergure.» Ainsi, Excel Funds Management, de Mississauga, en Ontario, a été acquise par Placements mondiaux Sun Life en janvier 2018.
Les gestionnaires de fonds doivent être flexibles dans leur développement de produits, selon Jordy Chilcott. Comme exemple récent, il cite le lancement en octobre de cinq Portefeuilles FNB tactiques Sun Life, qui détiennent des FNB à faibles frais dans un fonds commun à gestion active.
Pourquoi pas une structure de FNB pour les portefeuilles eux-mêmes ? «Je ne pense pas que les FNB dans toutes les situations soient aussi rentables qu’on les décrit quand il s’agit de certaines catégories d’actifs, dit Jordy Chilcott. Les fonds communs, particulièrement dans la série F sans la rémunération du conseiller, continuent à baisser et deviennent très agressifs en matière de réductions des frais de gestion.» Pour les parts de série F, les frais de gestion des fonds de portefeuilles FNB de Sun Life varient entre 0,45 % et 0,5 %, ce qui est concurrentiel par rapport aux FNB non passifs qui sont encadrés par des règles ou gérés activement.
Chez les firmes de gestion détenues par une banque, qui contrôlent environ la moitié de l’industrie des FCP et qui augmentent leur présence dans les FNB, les fonds communs sont solidement ancrés comme le produit de placement de choix dans leurs immenses réseaux de succursales de détail. Doug Coulter, de RBC GMA, note que les succursales bancaires, par l’intermédiaire desquelles 60 % des actifs en fonds communs de RBC sont détenus, ne sont pas outillées pour traiter les transactions de FNB.
La plupart des acheteurs de fonds qui cherchent à faire des échanges intrajournaliers à leurs succursales bancaires ne sont pas outillés non plus. «S’ils veulent ça, alors nous avons un réseau à escompte et nous avons un réseau de courtage, dit Doug Coulter. Ce qu’il y a sous le capot en matière de placements et comment nous gérons l’argent ne changera pas d’une structure de fonds communs à une structure de FNB.»