Les clients fortunés peuvent mettre en place plusieurs stratégies afin de faire un don à un organisme de bienfaisance et d’en minimiser le coût, grâce aux avantages fiscaux. Lumière sur deux d’entre elles.
1. Don d’actions d’une société privée
Certains clients sont propriétaires d’entreprises à capital privé et souhaitent effectuer un don après avoir réalisé un gain important à la vente de leur entreprise.
«Lorsqu’une entreprise est vendue et que les produits réinvestis n’ont pas eu le temps de générer un gain en capital, une stratégie pouvant être considérée consiste à structurer un don d’actions de société privée, suivi de leur rachat immédiat par la société afin d’acheminer les fonds à un organisme de charité», souligne Paule Gauthier, fiscaliste, services de planification, clientèle fortunée, Gestion de patrimoine RBC.
Pour ce faire, l’opération doit être bien conçue et bien orchestrée. D’abord, l’entrepreneur philanthrope aura transformé les actions participantes de sa société privée en actions privilégiées rachetables à leur juste valeur marchande (JVM) pour faciliter l’évaluation du don.
Un gel préalable permet de fixer la valeur de la société et ainsi de la refléter dans les actions privilégiées. Cette cristallisation de la JVM des actions offre en même temps l’occasion, selon le cas, de transférer la plus-value future de l’entreprise en faveur d’une relève de l’entreprise familiale ou d’atteindre des objectifs de protection des actifs ou de purification du bilan de l’entreprise. On peut également vouloir réduire la facture fiscale au décès de l’entrepreneur.
De plus, la transformation des actions participantes en actions privilégiées à leur JVM pourrait permettre au client de réaliser un gain en capital (qu’on appelle aussi la cristallisation), tout en profitant possiblement de la déduction pour gains en capital à la cession d’actions admissibles de petites entreprises. Cette déduction s’élève à 848 250 $ en 2018. «Cela dit, une cristallisation n’est pas toujours effectuée lors d’un gel. De plus, ce ne sont pas toutes les actions qui sont admissibles à la déduction pour gains en capital», précise Richard Lalongé, conseiller principal, Planification et Fiscalité à la Financière Banque Nationale.
Selon les experts consultés, la facture d’une telle réorganisation comptable peut être salée, soit de l’ordre de dizaines de milliers de dollars. Il est donc question dans cette stratégie de dons supérieurs à 100 000 $. «Si le gel des actions a déjà eu lieu et que l’actionnaire souhaite ultérieurement faire un don, les coûts administratifs seront cependant bien moins élevés», confirme Richard Lalongé.
Afin de remettre les fonds à l’organisme de bienfaisance le plus rapidement possible et de bénéficier du crédit d’impôt pour don, la société privée devra racheter (et payer) ses actions privilégiées à l’intérieur de cinq ans suivant le don. Un rachat après ce délai ne permettrait pas la reconnaissance du don, d’où l’importance que la société privée possède les liquidités nécessaires pour le don.
«Même si le don d’actions de société privée ne bénéficie pas de l’exonération du gain en capital pour don de titres cotés en Bourse, le gain peut être limité si le prix de base rajusté (PBR) est élevé. De plus, le rachat entraînera un dividende réputé pour l’organisme de charité, mais ce dernier est exempté d’impôt, ce qui permet de rendre ce type de don avantageux, aussi bien pour le donneur que pour l’organisme», indique Paule Gauthier.
Examiner toutes les options
Bien que l’organisme de bienfaisance ne paie aucun impôt, le don des actions privilégiées est considéré comme une disposition présumée d’un point de vue fiscal. Par contre, la cristallisation du gain en capital sur les actions a possiblement limité le gain en capital si les actions privilégiées ont un PBR élevé.
«Chaque situation est différente. On devra s’asseoir avec l’entrepreneur et examiner la structure de sa société, et voir si les actions se qualifient pour la déduction pour gains en capital, par exemple. Le client doit comprendre qu’en faisant un don, il va s’appauvrir et qu’il faut bien examiner toutes les options possibles», observe Richard Lalongé.
Cette stratégie peut se révéler intéressante lorsque le rachat des actions privilégiées par l’organisme de bienfaisance procure un remboursement au titre de dividende pour la société privée (jusqu’à concurrence de 38,33 % du dividende imposable), ce qui profite ultimement à l’actionnaire ordinaire.
Le reçu pour don permettra au donataire de réduire son impôt. La période de report de montant de crédit sera de cinq ans. «Le montant de don que l’on peut réclamer annuellement se limite généralement à 75 % du revenu net aux fins de l’impôt avec des ajustements à la hausse pouvant être prévus à la limite lorsqu’un bien est donné et qu’un impôt est déclenché. Dans le cas de l’impôt provincial pour les particuliers résidents du Québec, cette limite est de 100 % du revenu imposable», note Paule Gauthier.
Pour que le don soit reconnu, les actions doivent avoir été dévolues en faveur d’un organisme de bienfaisance avec lequel le donateur n’a pas de lien de dépendance et faire l’objet d’un rachat dans les 5 ans suivant le don, et les liquidités doivent avoir été acheminées à l’organisme. Lorsque le don est effectué au décès, ce délai est de 36 mois. De plus, en vertu de règles spéciales sur les auto-prêts, il est possible qu’une réduction de la valeur marchande du don soit appliquée dans certains cas de lien de dépendance. Ces règles sont très complexes et nécessitent des conseils professionnels tout au long du processus pour s’assurer de choisir une méthode de don viable et une réalisation en bonne et due forme.
Quel sera le coût net d’un tel don, après avoir profité des avantages fiscaux ? Dépendamment de la structure de la société, ce coût pourra varier. Lorsque la stratégie permet de profiter de la déduction pour gains en capital, ce coût peut être de 47 %, ou d’environ 35 %, dans le cas où l’on peut également avoir droit à un remboursement au titre de dividende pour la société via le compte d’impôt en main remboursable au titre de dividendes (IMRTD).
2. Don lors de l’exercice d’options d’achat d’actions
Les dirigeants ou les cadres de sociétés publiques reçoivent parfois des options d’achat d’actions. Généralement, un employé qui reçoit de telles options sera imposé au moment de les exercer. Cet avantage pécuniaire se traduit par la différence entre la juste valeur marchande (JVM) de l’action au moment de l’exercice et le prix d’exercice ou le prix payé pour acheter le titre.
Ainsi, le gain tiré de l’exercice d’une option d’achat d’actions est considéré comme un revenu d’emploi et sera imposé au taux marginal d’imposition de l’employé. Ce revenu imposable pourrait cependant être admissible à une déduction au fédéral de 50 % et une déduction de 25 %* aux fins de l’impôt du Québec. Ceci permet d’obtenir un taux d’imposition marginal maximal d’environ 33 %. «Même si, techniquement, on considère ce gain comme du revenu d’emploi, ces déductions visent à imposer ces montants au même taux que le gain en capital», explique Paule Gauthier. Mentionnons que pour avoir droit à ces déductions, il faut que le prix d’exercice soit égal ou supérieur à la JVM des actions de la société au moment où l’employeur a octroyé les options à l’employé.
Que se passe-t-il maintenant si un client fortuné souhaite faire un don ? «Le don de ces actions cotées en Bourse suivant l’exercice des options permettra de réaliser des objectifs philanthropiques tout en profitant d’économies d’impôts», souligne Paule Gauthier. Il faudra cependant que ce soit un don reconnu. On doit l’accorder à un organisme de bienfaisance enregistré qui émet des reçus officiels ou encore à une fondation publique ou privée.
Le client qui donne ces actions après l’exercice d’option sera alors doublement avantagé et profitera de déductions additionnelles.
Cette déduction additionnelle est égale à 50 % au fédéral, pour un total de 100 % permettant ainsi d’éliminer ce revenu d’emploi. Quant au provincial, elle sera de 50 points de pourcentage de plus, pour une déduction totale de 75 %. «Si toutes les conditions sont réunies, ce double avantage permettra de réduire l’imposition effective à 6 % comparativement à 33 % sans don», précise-t-elle. Soulignons que ces déductions additionnelles sont possibles si le don en faveur de l’organisme de bienfaisance enregistré est effectué dans les 30 jours suivant la levée de l’option. Enfin, le don doit être fait dans la même année fiscale que l’acquisition des titres.
En plus de réduire ou d’éliminer l’impôt exigible sur le revenu réalisé, l’exercice d’options d’achat d’actions d’entreprise permet d’obtenir un reçu pour don de bienfaisance. Ce crédit d’impôt pour don correspondra à la JVM des actions données et permettra de réduire l’impôt exigible du donateur.
Prenons l’exemple d’un cadre ayant 1 000 options qui expirent le mois prochain et supposons que le prix d’exercice est de 20 $ par action, avec une JVM de 50 $ à l’exercice. Il souhaite donner 50 000 $ à un organisme de bienfaisance.
Pour des raisons fiscales, il opte pour un don d’actions en nature de 50 000 $ après l’exercice d’options d’achat d’actions, plutôt que de donner l’argent provenant de la vente des actions. En présumant qu’il profite des deux déductions, ce client ne paiera qu’un impôt de 6 % au Québec sur l’avantage initial lié à l’option d’achat d’actions de 30 000 $, soit un impôt de 1 800 $. En présumant que le cadre a un revenu imposable suffisant pour que le crédit pour don de bienfaisance soit d’environ 50 %, le cadre aura une économie de 23 200 $ (la moitié de 50 000 $ moins 1 800 $). Le coût net s’élèvera dans ce cas à environ 26 800 $, soit 53,6 % de la valeur du don.
Le traitement fiscal lié à l’exercice d’option d’achat d’actions octroyées à des employés est complexe. Par exemple, lors de la disposition des actions, il sera nécessaire de faire les transactions dans le bon ordre afin de ne pas avoir de mauvaises surprises en mettant en péril la déduction additionnelle pour les actions données. «Il faut donc être prudent dans la séquence des titres qui font l’objet de don afin de s’assurer que les gains exonérés soient bien ceux qui ont été planifiés», indique Paule Gauthier. Pour éviter les erreurs, l’actionnaire devrait consulter son comptable ou un fiscaliste afin de prendre les bonnes décisions.
L’augmentation, ces dernières années, de la transparence vis-à-vis de la divulgation de la rémunération des cadres supérieurs d’entreprises cotées en Bourse pourrait en inciter bon nombre à donner une partie de leurs options d’achat d’actions. Dans le cas d’employés ou de dirigeants initiés, il faudra respecter certaines règles de gouvernance. «La société qui octroie les options va vérifier que ses employés les exercent durant les périodes permises. De même, il faudra attendre que les options soient libérées avant de les donner. C’est aussi une question de volume de transactions. Dans le cas d’un PDG d’une grande société publique ou d’une institution financière, par exemple, il y aura plusieurs règles internes à respecter», remarque Hélène Latreille, déléguée du président-directeur général aux partenariats philanthropiques à la Fondation du Grand Montréal.
Donner avec ou sans numéraire ?
Par ailleurs, au moment d’exercer les options, le fait de décaisser ou non des montants aura aussi une incidence sur le traitement fiscal du don. Dans le cas où l’actionnaire n’a pas les fonds pour payer les actions au moment de l’exercice des options, il peut faire le don d’actions après exercice d’option sans échange d’argent. Il devra alors vendre à découvert les titres afin d’utiliser les fonds pour exercer ses options d’achat. La livraison des titres permettra de couvrir la vente à découvert et le courtier paiera à l’actionnaire la différence entre le produit de la vente à découvert et le montant déboursé pour exercer les options.
«Dans un tel cas, si on souhaite faire un don, on devra envoyer des instructions écrites à son courtier pour lui indiquer de donner le produit net de la transaction en espèces à l’organisme de bienfaisance. Si je fais ces transactions à l’intérieur de mon délai de 30 jours, je pourrai bénéficier de la déduction additionnelle sur une portion seulement du gain sur les options, représentant la proportion de don sur les titres achetés au moment de l’exercice», précise Paule Gauthier. En clair, cette dernière stratégie d’exercice d’options sans numéraire est un peu moins avantageuse fiscalement que la stratégie de don d’actions après l’exercice d’options d’achat.
Il sera également possible d’exercer les options d’achat en déboursant le prix d’exercice et en faisant don des actions en nature à l’organisme de bienfaisance, comme illustré dans l’exemple plus haut. Ceci permettra de profiter pleinement de la déduction additionnelle à laquelle il est admissible puisque le montant du reçu de charité sera fonction de la juste valeur marchande des titres cédés. Le choix de la méthode de don et son coût dépendront de la situation financière particulière du client. Une multitude de scénarios est possible.
Le don d’actions cotées en Bourse suivant l’exercice des options permettra de réaliser des objectifs philanthropiques et de profiter d’économies d’impôts.
– Paule Gauthier
* Cette déduction provinciale pourrait s’élever à 50 % pour des options d’achat octroyées après le 21 février 2017, si certaines conditions sont respectées.