Les immeubles à revenu – comme des multiplex ou des complexes immobiliers – peuvent représenter des actifs complexes dont les prix évoluent sans cesse, mais qui, s’ils sont bien gérés, peuvent constituer un investissement lucratif dans un portefeuille.
Les clients fortunés ayant un parc immobilier dans leurs actifs peuvent aussi tirer profit de diverses stratégies fiscales et financières. En voici quatre.
Profiter de la déduction pour amortissement
Le propriétaire d’un immeuble locatif ne peut pas déduire le coût initial de ce bien de son revenu de location net annuel. Toutefois, comme ces biens se détériorent ou deviennent désuets au fil des ans, ces propriétaires peuvent amortir leur coût sur une période de plusieurs années, selon l’Agence de revenu du Canada (ARC). Cette déduction est appelée déduction pour amortissement (DPA). Elle s’applique seulement sur l’immeuble, et non sur le terrain.
Les propriétaires d’immeuble peuvent utiliser la DPA afin de reporter sur plusieurs années, soit au moment de la vente de l’immeuble, l’impôt qu’ils paieraient autrement sur une base annuelle.
Le taux le plus élevé que le client peut déduire et reporter chaque année est de 4 %. L’ARC calcule la DPA selon le taux de 4 % multiplié par la fraction non amortie du coût en capital (FNACC). Ainsi, la DPA n’est pas la même chaque année et est dégressive.
Prenons le cas d’un client qui vient d’acheter un parc immobilier de 6,5 M$, dont la valeur des bâtiments est de 3 M$. Une règle spéciale existe pour la première année de la DPA, faisant en sorte que le client ne peut déduire que la moitié des 4 % possibles. Ainsi, s’il utilise la DPA de 2 % la première année, cela lui permet de réduire son revenu locatif de 60 000 $ et de différer l’impôt à payer sur ce montant. La deuxième année, la FNACC en début d’année est de 2 940 000 $. S’il utilise le taux maximum de DPA, soit 4 %, elle serait alors de 117 600 $. Il continue ainsi chaque année jusqu’à la vente de l’immeuble, qui se fait 10 ans après l’acquisition.
Lors de la vente de l’immeuble, le client doit inclure à son revenu le total de DPA utilisée au fil des ans et l’ajouter à ses revenus de l’année. Comme la facture fiscale est généralement très élevée en raison de la vente de l’immeuble et que l’impôt est payé dans une seule année, certains clients remettent en question cette stratégie. Il considèrent que tant qu’à payer un impôt important à la vente, ils devraient peut-être en payer moins à la vente et un montant inférieur chaque année.
Or, les fiscalistes consultés pour cet article ont une autre lecture de la DPA. À leur avis, l’économie d’impôt faite annuellement pourrait être perçue en quelque sorte comme un régime enregistré d’épargne-retraite (REER).
«Ce que le client économise en impôt aujourd’hui, il peut l’investir. En fait, il reporte l’impôt dans le futur», ajoute David Truong, conseiller au centre d’expertise de Banque Nationale Gestion privée 1859.
«Ça réduit les revenus du contribuable, la personne a plus d’argent disponible, dit Simon-Pierre Lauzon, associé en fiscalité au cabinet de fiscalité Gallant et associés. Donc, c’est plus facile [pour la personne] d’avoir un cash flow, de réinvestir et d’acheter d’autres immeubles.»
Comme les clients fortunés ont généralement un taux d’impôt marginal élevé chaque année, ils risquent de payer pratiquement le même taux d’impôt sur le montant cumulatif de DPA que sur leurs revenus annuels.
L’un des principaux avantages d’utiliser la DPA est donc de pouvoir reporter de l’impôt durant potentiellement plusieurs années et de pouvoir faire fructifier cet argent. En cas de besoin, cet argent sera aussi accessible, ce qui n’est pas le cas lorsqu’on paie l’impôt chaque année.
Prévoir les conséquences d’un décès
La gestion d’un parc immobilier, qu’il soit d’une importance moyenne ou très grande, requiert souvent une grande quantité de liquidités.
Or, au décès du client fortuné, les règles fiscales font en sorte qu’il est réputé avoir disposé de tous ses biens à leur juste valeur marchande. Si la succession n’a pas assez de liquidité pour payer cette facture fiscale à la suite de son décès ou que le client n’était pas adéquatement couvert par une assurance vie, la succession risque de devoir liquider des actifs très rapidement afin de payer cette facture fiscale importante, mettant en péril le patrimoine. Ce serait le cas, par exemple, si des clients devaient faire une vente de feu d’actifs pour payer la facture fiscale.
«Généralement, les immeubles prennent de la valeur, explique David Truong. Or, au décès, on est réputé avoir vendu. Si la personne a utilisé la déduction pour amortissement, par exemple, la succession doit alors payer l’impôt tout de suite, sans même avoir le produit de vente des bâtisses.»
L’objectif est d’éviter le manque de liquidité pour la succession au décès, et ce, qu’elle veuille ou non reprendre possession du parc immobilier. Une bonne pratique est d’avoir une police d’assurance vie pour le client fortuné, qui couvrira ainsi les besoins au décès. Si la succession envisage la liquidation des biens par la suite, elle pourra choisir le moment qui lui semblera le meilleur pour se départir des immeubles, le temps étant généralement la clé en immobilier afin d’obtenir la juste valeur marchande pour un bien.
Pour un client qui possède un parc immobilier de grande envergure et met l’ensemble de ses actifs immobiliers dans une société de portefeuille dont il est l’actionnaire principal, la vente des immeubles est évitée.
En effet, dans cette situation, au décès, ce sont les actions qui seront liquidées au sein de la société de gestion, et non les immeubles en soi, ce qui ne déclenche pas le remboursement de la DPA. Évidemment, il y aura d’autres conséquences fiscales à la disposition des actions, mais au moins, le client ne devra pas payer l’impôt sur la DPA alors qu’il n’a pas réellement vendu l’immeuble.
Évaluer l’option de la société de portefeuille
Certains clients fortunés se demandent s’ils devraient transférer leurs actifs immobiliers au sein d’une société de portefeuille. Cette stratégie a ses avantages et ses inconvénients, selon la situation du client. Concentrons-nous sur un piège fiscal qui guette alors l’actionnaire de la société de portefeuille dans la gestion des liquidités générées par les activités immobilières de la société de portefeuille.
«La fiscalité ce n’est pas de la grosse magie, dit David Truong. En fin de compte, que le client gagne ses revenus dans une société de gestion ou personnellement, ça devrait revenir au même résultat. S’il pense faire une économie, il doit regarder plus loin s’il n’y a pas une autre répercussion quelque part.»
Généralement, les clients fortunés qui résident au Québec sont imposés personnellement au taux d’imposition combiné marginal maximal, qui oscille à 53,31 %. Or, en transférant ses actifs dans une société de gestion, il pourra bénéficier du taux d’imposition corporatif de 50,17 % (taux corporatif 2021) sur les revenus locatifs qu’il touche et a conservé dans sa société de portefeuille, soit un écart de 3,13 points de pourcentage.
Cet écart peut sembler attrayant et donner l’impression qu’il est plus avantageux de réaliser du revenu locatif dans une société de portefeuille plutôt que personnellement. Cependant, le portrait est incomplet, comme l’explique David Truong. En effet, en présence d’une société, il existe deux niveaux d’imposition, soit celui de l’entreprise suivi de l’imposition du dividende à l’actionnaire.
«Si on considère l’impact fiscal complet [du fait] de générer un revenu dans la société et de le distribuer à l’actionnaire, ce n’est pas 53,31 % [de taux d’imposition personnel que le client payera], mais plus 58,16 % (avec les taux de dividende de 2021). Donc, il y a une surimposition lorsqu’on le fait dans la société de gestion.»
David Truong et son équipe ont calculé qu’il faudrait plus de 100 ans pour que le report d’impôt de 3,13 points de pourcentage, lorsque le revenu est gagné par la société de portefeuille, puisse générer suffisamment de revenus pour compenser l’impôt global supplémentaire de 4,85 points de pourcentage. Si la société de portefeuille touche un revenu de gain en capital, puis le distribue à l’actionnaire, l’écart défavorable est de 2,43 points de pourcentage. Pour le revenu de dividende d’une société publique, l’écart est nul.
«Un revenu d’intérêt (ou locatif) et un gain en capital généré dans une société et distribué à l’actionnaire sont fiscalement plus onéreux que s’ils avaient été gagnés directement par le particulier, et ce, même si ce revenu était imposé au taux marginal maximum pour le particulier», résume-t-il.
Démontrer le revenu d’entreprise
Par ailleurs, les clients fortunés possédant un parc immobilier de grande ampleur et qui embauchent des employés pour le gérer peuvent avoir des avantages fiscaux importants, s’ils le planifient bien.
En effet, s’ils réussissent à faire la démonstration que les revenus générés par les immeubles sont des revenus d’entreprise exploitée activement et non des revenus de biens, ils pourront profiter du taux d’impôt combiné des sociétés privées qui oscille entre 17,24 % et 26,7 %, d’après les calculs du Centre québécois de formation en fiscalité pour 2018.
«S’il s’agit d’un gros parc immobilier, on pourrait faire face à du revenu d’entreprise si les faits le démontrent, dit David Truong. C’est beaucoup plus avantageux de le gagner dans une société par actions. Cependant, le client a le fardeau de la démonstration à faire.»
Simon-Pierre Lauzon ajoute que « pour être considérer comme étant une entreprise exploitée activement plutôt qu’une entreprise de placement, les clients doivent prouver qu’ils emploient dans l’entreprise plus de cinq employés à plein temps tout au long de l’année pour assurer la conduite active de l’entreprise. Il faut que le client montre son payroll carrément et démontre que les employés y travaillent réellement.»
David Truong cite d’autres éléments afin de démontrer qu’on gagne du revenu d’entreprise, comme le fait d’avoir des affichages pour les locaux à louer ou d’avoir un service de conciergerie à temps plein.
Il n’est malgré tout pas obligatoire que les clients fortunés y travaillent eux-mêmes, ils peuvent administrer les opérations de la société de gestion et se verser un dividende, sans en être des salariés.
En fait, lorsque la masse critique des actifs immobiliers permet de faire la démonstration que le client gagne du revenu d’entreprise, il est fortement conseillé de transférer tous les actifs immobiliers dans une société de gestion.
«Ça devient super intéressant, parce qu’en plus de profiter des taux d’imposition plus faibles, la récupération d’amortissement est imposée comme du revenu d’entreprise», indique Simon-Pierre Lauzon.
Au décès du client, les règles fiscales font en sorte qu’il est réputé avoir disposé de tous ses biens à leur juste valeur marchande.
Ceux qui possèdent un parc immobilier de grande ampleur et qui embauchent des employés pour le gérer peuvent avoir des avantages fiscaux importants.