En 2017 et 2018, le non-respect de la procédure de remplacement d’une police d’assurance de personnes occupait les première et deuxième places respectivement des infractions alléguées dans les demandes d’enquête adressées à la Chambre de la sécurité financière (CSF). Au moment d’écrire ces lignes, les chiffres pour 2019 n’avaient pas encore été colligés, signale l’avocate Sandra Robertson, syndique adjointe à la CSF.
Le préavis de remplacement, avec ses huit pages, est détaillé et peut susciter certaines appréhensions des conseillers en sécurité financière. Bien le remplir requiert du temps et constitue un exercice intellectuel en soi : expliciter les avantages et désavantages pour le client, pourquoi une modification du contrat existant n’est pas envisagée, les différences de garanties complémentaires, etc.
Un document client d’abord
Bien des conseillers abordent le préavis comme une tâche administrative et procédurière qui répond uniquement à des impératifs de conformité. Voilà un piège dans lequel Sandra Robertson invite les représentants en assurance de personnes à ne pas tomber. Le préavis « vise à informer le client des avantages et inconvénients du remplacement d’un contrat d’assurance pour l’aider à prendre une décision éclairée ».
Adrien Legault, chef de la conformité chez Aurrea Signature, ajoute deux nuances importantes : le préavis, dit-il, « est là pour protéger la relation entre le client et ce qui s’avère souvent être son nouveau conseiller. Il protège à la fois le client et le représentant. »
En effet, c’est souvent au moment où un client change de conseiller, cette nouvelle relation menant à une révision du plan financier du client, que le préavis est mis en jeu, selon lui. « Le préavis qui fait le plus souvent l’objet d’une plainte, c’est lors de l’entrée en scène d’un nouveau représentant, » ajoute-t-il.
De plus, souligne Sandra Robertson, la priorité du conseiller est de maintenir en vigueur tout contrat existant d’assurance. « C’est seulement s’il est en mesure de démontrer que le remplacement est dans l’intérêt du client qu’il est justifié de l’effectuer », insiste-t-elle.
Pièges et fautes
Les deux spécialistes soulignent certaines fautes récurrentes dans les préavis. Au premier rang, ils déplorent que les conseillers le remplissent sans avoir bien pris connaissance du contrat existant. « On ne se donne pas le temps de bien lire et de bien analyser le contrat du client et, du coup, on l’empêche de prendre une décision éclairée », fait ressortir Sandra Robertson.
Une foule d’idées préconçues entachent la procédure : on tient pour acquis que l’on connaît le produit existant, sans prendre en considération le fait qu’il a pu changer à notre insu ; on croit le connaître parce qu’on en a vu d’autres semblables, mais en fait on n’a jamais vendu les produits de l’assureur impliqué et on ne les connaît pas du tout.
Souvent, ces idées préconçues sont le résultat d’un trop grand empressement à réaliser une vente. « Le conseiller procède au préavis, dit Adrien Legault, sans prendre soin de sonder la police dans le détail de peur de réveiller le représentant précédent et de manquer une vente. Une tonne d’erreurs partent de là. »
« Si on avait bien compris le contrat existant, on n’aurait pas procédé au remplacement, soutient Sandra Robertson. Est-ce que ça tient d’une mauvaise intention du conseiller ? Non. Ça tient plutôt d’une méconnaissance et d’une négligence. »
Autre faute majeure, les conseillers utilisent des formules creuses qui n’expliquent rien et ils recourent à un jargon technique. Sandra Robertson donne l’exemple d’une réponse fréquente pour expliquer, dans les termes mêmes du formulaire de préavis, « en quoi le contrat d’assurance actuel ne répond pas aux besoins de votre client ». Ce à quoi certains répondent laconiquement : « Ne répond plus aux besoins du client. »
Il faut expliquer concrètement en quoi la police actuelle ne correspond pas aux besoins du client en précisant, par exemple, que la prestation actuelle de 100 000 $ est insuffisante pour combler les besoins de couverture qui sont désormais passés à 170 000 $, surtout à cause de frais hypothécaires accrus.
Par ailleurs, on emploie parfois un langage technique auquel le client ne comprend rien, par exemple en signalant une « T25 » plutôt que de préciser qu’il s’agit d’une police temporaire de 25 ans.
Autre erreur : « les représentants sous-estiment les désavantages pour le client », juge Adrien Legault. Pour-tant, le formulaire intègre d’office deux désavantages majeurs à remplacer une police en cours : l’annulation des clauses d’incontestabilité et de suicide. Selon celles-ci, un assureur peut refuser de payer le capital-décès si l’assuré meurt dans les deux ans qui suivent l’entrée en vigueur du contrat pour cause de suicide ou si des renseignements concernant la santé de l’assuré sont inexacts ou omis.
Il s’agit d’avantages inhérents à tout contrat existant. « Est-ce que l’économie de 5 $ par mois avec une nouvelle prime justifie de perdre ces deux clauses ? demande Adrien Legault. On peut en douter. »
Remplacer un contrat peut comporter d’autres désavantages potentiels qui varient selon la nature de la police, au dire de la CSF. Parmi ceux-ci, on note l’ajout d’une exclusion, la prolongation d’un délai de carence, l’absence de droit de transformation en assurance permanente/temporaire et la perte d’une protection permanente.
« Si on croit vraiment que le nouveau contrat qu’on propose est le meilleur, il faut être capable de l’écrire et de le défendre », affirme Sandra Robertson.
Défense contre les poursuites
Un argument articulé et explicité pour justifier l’instauration d’un nouveau contrat « est la meilleure défense contre les contestations de la part de l’assureur précédent et de son représentant », soutient Adrien Legault.
À une époque pas très lointaine, « certains bureaux portaient plainte automatiquement auprès de la CSF. Ils se servaient du syndic comme d’un outil de concurrence déloyale. Et ça se fait encore. Car la CSF est obligée par la loi de faire une enquête, et ça devient une manœuvre de blocage », ajoute-t-il.
Selon Adrien Legault, on peut soupçonner que bien des plaintes semblant provenir de clients lésés « sont en fait pilotées par leurs représentants ».
Un préavis de remplacement solidement étoffé et argumenté constitue la meilleure arme pour contrer ces plaintes. Un contestataire y pensera à deux fois avant d’en soumettre une. Au pire, signale Sandra Robertson, « on pourra toujours être ciblé par une demande d’enquête, mais on sera préparé pour se défendre ».
Quelques trucs
Voici quelques idées afin de s’assurer d’être conforme. Deux rencontres avec le client valent mieux qu’une, propose Sandra Robertson : « On peut aller trop vite en visant à remplacer une police existante au cours d’une seule rencontre avec le client. Cela empêche de réfléchir pleinement à la situation. »
Elle suggère aussi de rédiger à l’avance des modèles de préavis, car, dit-elle, « on est souvent appelé à remplacer les mêmes types de contrats ». Avoir des modèles en main, auxquels on a déjà réfléchi et qu’on a pris le temps d’écrire à tête reposée, permet de se sentir moins pris au dépourvu devant l’effort de remplir un formulaire exigeant, surtout quand le temps manque.
Lacune moins grave, mais qui peut s’avérer embêtante, « les représentants ont bien de la misère à respecter le délai de cinq jours pour l’envoi du préavis, » fait remarquer Adrien Legault, un problème que Sandra Robertson souligne aussi. Car le préavis doit être acheminé non seulement au nouvel assureur, mais aussi à celui qui fournit la police existante.
Sandra Robertson suggère de se faire des alertes et rappels pour être certain que le préavis a été envoyé. « Sinon, note-t-elle, cela peut susciter une autre possibilité d’enquête. » Du même coup, pour parer toute contestation à ce chapitre, elle suggère de faire l’envoi par un mode d’expédition qui « donne une preuve de temps », qu’il s’agisse de courrier recommandé, de télécopie ou de courriel.
Sandra Robertson fait ressortir un bénéfice majeur à la pratique de l’art du préavis : « Ça démontre le professionnalisme du représentant, ça montre qu’il n’est pas simplement un vendeur. »