En cas de maladie redoutée, l’assurance maladies graves (AMG) peut offrir une protection financière capitale au propriétaire d’une petite entreprise incorporée. Toutefois, l’AMG pose des défis stratégiques, particulièrement quand il faut décider si la police devrait être détenue directement par la société ou par l’entrepreneur personnellement.

La police d’assurance maladies graves a pour rôle principal de permettre la poursuite des activités de la société, dit Stuart Dollar, directeur au sein du Groupe-conseil en matière de planification – gestion de patrimoine, fiscalité et assurance à la Financière Sun Life.

Une prestation d’AMG « peut contribuer à payer les frais d’exploitation et toutes les dépenses liées à la poursuite des activités d’une entreprise comme les salaires, les services publics et le loyer. Elle peut également aider à payer le recrutement et la formation d’un remplaçant. Vous pouvez utiliser cet argent à toute fin appropriée pour que l’entreprise survive à la maladie grave de cette personne clé », explique-t-il.

L’AMG peut aussi fournir un financement qui permet à l’entreprise de rembourser ses dettes, en cas de maladie d’un propriétaire ou d’un cadre dirigeant, d’après Henry Korenblum, conseiller en fiscalité et patrimoine chez Wellington-Altus Insurance.

« Le créancier peut exiger que l’entreprise rembourse des prêts en cours ou limiter le crédit existant si l’état de santé du propriétaire est jugé critique, dit Henry Korenblum. Ainsi, la couverture de l’AMG peut servir à fournir des liquidités pour rembourser les dettes en souffrance. »

L’AMG (qui verse un montant forfaitaire) n’est pas un produit de substitution à l’assurance invalidité (qui couvre un pourcentage du revenu), bien que les deux types d’assurance puissent être complémentaires, indique Stuart Dollar.

Le coût élevé de l’AMG constitue la principale critique formulée à son encontre, ajoute-t-il. « De plus, par rapport à l’assurance vie qui verse à la fin un capital-décès si elle est maintenue en vigueur suffisamment longtemps, il n’y a aucune garantie qu’un jour, une prestation de l’AMG sera versée. »

La Loi de l’impôt sur le revenu ne permet pas aux sociétés ni aux particuliers de déduire de l’impôt les primes d’assurance maladies graves payées, note Stuart Dollar. Toutefois, la position administrative de l’Agence du revenu du Canada (ARC) a toujours été de considérer les prestations d’assurance versées par un régime d’assurance contre la maladie ou contre les accidents, ou par un régime privé d’assurance maladie, comme non imposables tant pour un particulier que pour une entreprise, poursuit-il.

PRÉCISION

La Loi de l’impôt sur le revenu (LIR) ne contient aucune règle d’imposition portant sur l’assurance maladies graves (AMG). On doit donc se baser sur les interprétations techniques de l’Agence de revenu du Canada (ARC) et sur la jurisprudence.

« Le revenu provenant de sources qui ne sont pas mentionnées dans la LIR n’est généralement pas imposable. De plus, l’ARC s’est prononcée dans certaines interprétations techniques pour déclarer que si les conditions prévues dans la loi provinciale font que la définition d’assurance contre la maladie et les accidents est respectée, la prestation ne sera pas imposable », précise Hélène Marquis, directrice régionale, planification fiscale et successorale de Gestion privée CIBC.

Par ailleurs, selon l’ARC, il y aurait un avantage pour l’actionnaire dans un cas où la stratégie de copropriété appauvrit la société par actions. Pour l’éviter, chaque partie impliquée dans l’entente privée doit payer sa juste part des primes.

Finance et Investissement

Cependant, d’autres facteurs peuvent influer sur le fait qu’une police soit détenue par une société par actions ou par un particulier.

Joel Campagna, associé, services de fiscalité chez MNP, à Waterloo, en Ontario, affirme que les sociétés étant imposées à des taux moindres que ceux des particuliers, le fait que la société soit propriétaire et bénéficiaire de la police d’AMG présente des avantages. En effet, généralement, une entreprise peut payer les primes de l’AMG avec de l’argent moins lourdement imposé qu’un particulier propriétaire ou qu’un entrepreneur.

Par exemple, au Québec, le taux d’imposition fédéral et provincial combiné d’une petite entreprise dont le revenu provenant de son exploitation est inférieur à 500 000 $ serait de 12,2 %, alors que le taux d’imposition du propriétaire de l’entreprise sur son revenu salarial pourrait atteindre 53,31 %.

« Par conséquent, si je fais payer ces primes par ma société, cela peut revenir moins cher que si je retire l’argent de ma société pour payer les primes moi-même », explique Joel Campagna.

Cependant, un entrepreneur qui se trouve dans une tranche d’imposition personnelle relativement basse pourrait envisager d’être personnellement propriétaire de la police d’AMG, soutient Steven McLeod, directeur général, Groupe de planification fiscale et successorale de la Canada Vie. Il pourrait arriver que le taux d’imposition personnel du titulaire soit plus proche du taux d’imposition des petites sociétés que du taux d’imposition personnel maximal, ce qui pourrait rendre la propriété personnelle relativement plus avantageuse quand on tient compte de tous les facteurs.

Le nombre élevé de créanciers de la société de l’entrepreneur représente un autre facteur qui pourrait faire pencher la décision en faveur de la propriété personnelle. « Si l’assuré est atteint d’une maladie grave et que la prestation de l’AMG est versée à l’entreprise, cet argent serait disponible aux créanciers pour régler leurs créances, observe Steven McLeod. Donc, dans le cas d’une police d’AMG détenue personnellement dont la prestation est versée au particulier, au moins celle-ci ne sera pas à la merci des créanciers de l’entreprise. » [NDLR : Si le particulier a donné des cautions personnelles, les créanciers pourraient accéder à la prestation].

Par ailleurs, à la différence du capital-décès d’une police d’assurance vie, une prestation d’assurance maladie ne peut être déposée au compte de dividende en capital (CDC) de la société, affirme Stuart Dollar. (Le CDC est un compte spécial qui accumule et suit les montants non imposables reçus par la société, qui peuvent être versés aux actionnaires sous forme de dividendes en capital non imposables.)

Par conséquent, quand la société détient directement la police d’AMG, « il n’existe aucune possibilité de retirer cette prestation de la société pour la verser, exonérée d’impôt, à l’actionnaire, Affirme Joel Campagna. Si on veut retirer l’argent pour le verser à l’actionnaire afin qu’il couvre [ses] frais médicaux, etc., le seul moyen de le faire est de lui verser un salaire ou des dividendes, sur lesquels le particulier sera imposé. »

Un entrepreneur peut calculer le coût, y compris celui de la valeur actualisée anticipée, des impôts à payer lorsque les prestations sont finalement reçues si la société est propriétaire de la police, suggère Joel Campagna. Il faudrait comparer ce chiffre à celui de la propriété personnelle d’une police d’AMG dans laquelle on utilise son argent personnel après impôt pour payer les primes initiales afin de recevoir un montant forfaitaire exonéré d’impôt si l’une des maladies désignées se déclarait.

Le partage de propriété de la police d’AMG entre la société et le particulier constitue une autre option. Avec une telle stratégie, la petite entreprise détiendrait le droit à la prestation de l’assurance et recevrait la totalité de la prestation de l’AMG en cas de maladie de l’assuré, signale Steven McLeod. L’actionnaire propriétaire de l’entreprise détiendrait personnellement la garantie de remboursement de primes, dont la prestation n’est versée que si l’assuré ne tombe pas malade (le fait de recevoir la prestation du remboursement des primes –celui-ci est optionnel –, impliquerait le rachat de la police et la résiliation de la couverture).

Par exemple, si la prime totale pour la couverture et l’avenant de remboursement des primes est de 10 000 $, l’intérêt de la société dans la prestation d’AMG peut valoir 3 500 $, et l’actionnaire devra payer la différence personnellement. Après 15 ans, en présumant que la prestation d’AMG n’a pas été versée, la prestation de remboursement des primes disponible pour l’actionnaire serait de 150 000 $, ce qui représente le total des primes payées, explique Steven McLeod.

« Si les parties paient la juste valeur marchande pour leur intérêt dans la convention, donc l’idée est que l’actionnaire recevra la prestation de remboursement des primes en exonération d’impôts. Par conséquent, il y a une incitation évidente à ce que la société paie la plus importante partie possible de la prime; il est donc conseillé de soutenir le partage des primes par un calcul actuariel, conclut Steven McLeod. L’ARC tient à ce que chaque copropriétaire de la police paie un montant raisonnable pour son intérêt dans la police. »