Avec la montée des taux d’intérêt, le secteur des fonds négociés en Bourse (FNB) de titres à revenu fixe a changé au cours de la dernière année et demie. De la famine, on est passé à l’abondance, ce qui crée des défis et des occasions pour les clients.
Dans une note d’août 2022, Valeurs mobilières TD (VMTD) soulignait que le secteur des FNB obligataires avait une part de marché faiblissante. « Les FNB de titres à revenu fixe composent 29 % du marché total des FNB aujourd’hui, en déclin par rapport au niveau de 35 % en 2012. »
Ceci s’explique par la croissance supérieure de l’actif des FNB d’actions au cours de la période de 10 ans se terminant en 2022. « L’environnement des bas taux d’intérêt durant la même période a fait plafonner le potentiel de croissance des FNB de revenu fixe », indiquait l’équipe d’analystes de VMTD.
Dans sa note de mars 2023, VMTD chantait un air bien différent. « Après des années de bas taux d’intérêt suivies par une montée rapide des taux en 2022, les rendements obligataires ont rebondi à des niveaux attrayants cette année. Plusieurs investisseurs voient le revenu fixe, grâce à des revenus séduisants et un faible risque, comme un des investissements les plus populaires dans l’environnement actuel. »
Certes, le rendement de nombre de FNB de titres à revenu fixe a été négatif en 2022, la montée des taux ayant diminué le prix des obligations. La relation entre le prix des obligations et les rendements étant inverse. Or, la remontée des taux d’intérêt crée des occasions à long terme et redonne un nouveau souffle au secteur.
En 2022 et pour les sept premiers mois de 2023, les créations nettes de FNB de titres à revenu fixe ont été supérieures à celles des FNB d’actions, entre autres en raison de l’attrait pour les FNB de comptes à intérêt élevé. Résultat : à la mi-août 2023, l’actif total des 334 FNB de titres à revenu fixe (109,3 G$) représentait 31,4 % de l’actif de l’ensemble des FNB canadiens.
VMTD constate que le secteur des FNB de revenu fixe a connu le lancement de 19 nouveaux produits dans la période d’un an, à partir d’une base de 306 produits. Les FNb d’actions ont vu émerger plus du double, soit 45 nouveaux produits à partir d’un compte original de 808.
Ces développements sur le front des FNB de revenu fixe s’inscrivent dans un mouvement plus large, explique VMTD. Malgré une assez bonne tenue des marchés boursiers, « les craintes de récession ont incité les investisseurs à mettre de l’argent dans des actifs plus sécuritaires. Des FNB à thème défensif, comme des FNB de marchés monétaires, d’obligations gouvernementales, d’options couvertes et d’allocation d’actifs ont été plus populaires que d’autres thèmes orientés vers la croissance ».
Ainsi, seulement neuf FNB de gestion de liquidités se sont partagé des entrées nettes de 3,4 G$ dans les cinq premiers mois de 2023, ce qui en fait un type de produit populaire. Et pour cause : « Avec un niveau de risque très bas et une duration de zéro, les FNB de gestion de trésorerie en dollars canadiens et américains offrent des revenus d’intérêt de 5,0 % et 5,2 % respectivement », commente VMTD. (Lire : « Engouement pour les FNB de comptes d’épargne à intérêt élevé »)
Les FNB d’obligations gouvernementales sont l’autre catégorie championne des créations nettes de janvier à mai 2023, récoltant 2,4 G$. « Les obligations gouvernementales surperforment durant les récessions, et les investisseurs en ont accumulé en prévision d’une récession potentielle cette année », note VMTD. Les FNB d’obligations gouvernementales de longue durée ont obtenu les deux tiers des créations nettes de ce type de FNB, qui est négocié principalement par des investisseurs institutionnels.
Pertinente diversification
Il est quelque peu étonnant que les FNB d’épargne à intérêt élevé ou de gestion de liquidité soient inclus dans la catégorie générale des FNB de titres à revenu fixe, reconnaît Daniel Straus, directeur général, recherche FNB à Banque Nationale Marchés financiers. « Nous les classons ainsi parce que c’est de cette façon que les investisseurs les envisagent et les utilisent, dit l’analyste, et avec les niveaux de revenus qu’ils offrent, autour de 5 %, on les comprend. »
Or, il s’agit de produits très différents, souligne-t-il. « Les gens auraient avantage à ne pas complètement remplacer les FNB obligataires par des produits de gestion de liquidité. » Dans la situation où les taux d’intérêt changeraient de direction, explique-t-il, les premiers gagneraient, les deuxièmes perdraient. « Les FNB obligataires sont de l’assurance dans un portefeuille : ils ziguent quand les marchés zaguent. »
Dans la faveur retrouvée pour les FNB de revenu fixe, les investisseurs peuvent renouer avec les multiples avantages qui les caractérisent. Au premier chef, leur rôle de guichet unique, comme le caractérise Andres Rincon, premier directeur, chef des ventes et stratégie de FNB à VMTD. « Avec un seul titre en Bourse, un investisseur peut avoir accès d’un coup à des centaines d’obligations de multiples émetteurs, de plusieurs niveaux de qualité et de structures », explique-t-il. Plus encore, les écarts cours acheteur-cours vendeur sur un FNB sont souvent inférieurs à ceux des titres sous-jacents qui les composent, sans compter que leurs frais de gestion ne sont en moyenne que de 0,39 %. Pour les FNB de titres à revenu fixe indiciel, le RFG moyen est même de 0,24 %.
L’analyste en fait ressortir aussi les multiples usages dans un portefeuille. Entre autres, la solution guichet unique donne un accès facile à de nombreux types de titres qui seraient autrement difficiles à acheter, par exemple les obligations de sociétés à haut rendement et les titres de dette de pays émergents. Du coup, les allocations tactiques à des secteurs spécialisés s’en trouvent facilitées et accélérées. La vente à découvert, habituellement fort complexe dans les titres obligataires, se fait en un tournemain à l’aide d’un seul symbole boursier.
Par ailleurs, le marché des FNB de titres à revenu fixe reste varié. Un investisseur peut gérer la duration ou la qualité de crédit des émetteurs de son portefeuille en privilégiant le placement dans un sous-segment d’émetteurs de titres à revenu fixe.
Également, la stratégie de vente à perte à des fins fiscales dans des comptes non enregistrés est facilitée. L’une des opérations les plus populaires à la fin de 2022 a été la vente de titres à revenu fixe pour cristalliser des pertes fiscales. La hausse des taux entraînant la chute des prix obligataires, les portefeuilles de nombreux investisseurs se retrouvaient avec des pertes non réalisées. Bon nombre ont substitué des FNB à des titres individuels, cristallisant ainsi les pertes tout en conservant leur exposition au secteur et en amenuisant les coûts de cette manœuvre.
Vent favorable
Dans une note d’août 2022, Andres Rincon jugeait que tout le secteur des FNB était entré dans une phase de plus grande maturité « avec des barrières à l’entrée qui augmentent et une compétition qui s’intensifie ». Il soutient encore ce point de vue, notant que « les coûts pour les mainteneurs de marché sont plus élevés avec plus de produits à couvrir, de telle sorte qu’il est plus difficile pour un fournisseur d’arriver avec un produit innovateur ».
Dans le secteur des FNB de titres à revenu fixe, BMO affiche le premier rang des émetteurs en termes d’actifs, avec 30 % de part de marché, suivi de RBC iShares (24 %), selon VMTD. Placements Vanguard, Placements Mackenzie et FNB Horizons viennent ensuite avec chacune une part de 7 % du marché.
Dans le secteur des titres de revenu fixe, les innovations sont relativement rares. Une exception tient aux FNB à gestion active, qui se multiplient. « BMO a récemment acquis une foule de nouveaux gestionnaires et, de ce fait, s’oriente de plus en plus vers la gestion active », fait ressortir Andres Rincon. Même dans le domaine hyperactif des fonds axés sur les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), l’émergence de nouveaux produits est clairsemée. « Ça intéresse plus les institutions, ajoute-t-il. On voit peu d’intérêt de la part des investisseurs individuels. Desjardins, qui s’est spécialisé dans cette voie, a montré des signes de vie, mais il ne s’agit pas de nouveaux produits, plutôt d’un changement de certains mandats pour être plus aligné sur l’objectif [carboneutre]. »
À cause du vent très favorable des taux d’intérêt plus hauts, le secteur des FNB obligataires fait face surtout à des occasions et à peu de défis. La plus grande de celles-ci tient « au retour du portefeuille classique 60-40 », juge Dan Hallett, vice-président et directeur à Highview Financial. « Les obligations jouent leur rôle à nouveau, dit-il. Elles ne sont pas simplement un diversificateur, mais contribuent au rendement du portefeuille. »
Une autre occasion tient à l’apport en liquidité que permettent les FNB obligataires, un avantage que la crise de liquidité de mars 2020 a révélé. « À un moment où les titres obligataires individuels ne se négociaient pas, rappelle Dan Hallett, les FNB continuaient à s’échanger et à donner de la liquidité à ceux qui en avaient besoin. »
Erika Toth, directrice, distribution de FNB aux marchés de conseil et institutionnels à BMO Gestion d’actifs, souligne un seul défi, mais il est lié aux investisseurs qui se sont précipités en grand nombre vers les fonds à courte duration. « Les gens devraient penser à plus long terme et préserver des titres obligataires à long terme dans leur portefeuille », dit-elle.
Advenant une récession et une baisse des rendements obligataires, les titres à revenu fixe à long terme profiteraient davantage de ce fléchissement, car leurs prix monteraient, la relation entre le prix des obligations et leur rendement étant inverse.
L’apparition croissante de FNB à gestion active en titres à revenu fixe constitue un développement heureux, pense Dan Hallett. « Pour les obligations gouvernementales canadiennes, le recours à des FNB passifs fait très bien l’affaire, dit-il, mais dès qu’on sort de ces limites, il peut être très pertinent pour une majorité d’investisseurs d’acquérir des titres obligataires plus exotiques par l’intermédiaire de gestionnaires actifs. Jouer dans ces marchés est plus difficile qu’il y a 20 ans : la liquidité est plus friable, l’investisseur individuel n’a pas accès aux meilleurs prix même dans les réseaux de courtage à escompte. »
Par contre, Dan Hallett fait à l’endroit des FNB obligataires la même critique qu’il lance à tout le secteur des FNB : « Ce qui me frappe, c’est combien les choses ont perdu toute proportion. Il y a trop de produits et, ça oriente beaucoup d’investisseurs vers de mauvaises décisions. Ils changent de produits trop souvent ; ils deviennent des gestionnaires actifs et sautent d’un FNB à l’autre. C’est bon pour l’industrie, pas pour les investisseurs et leurs conseillers. »