Au cours des dernières années, les fonds négociés en Bourse (FNB) ont surclassé les fonds communs de placement (FCP) individuels au chapitre des lancements de produits et des ventes nettes. Signe de déclin des fonds communs ? Pas si vite !
En 2012, parmi les nouveaux produits d’investissement, deux sur trois étaient des fonds communs de placement individuels (stand-alone). Cette année-là, les FNB représentaient un modeste pourcentage de 15 % de l’ensemble des nouveaux produits, comparativement à 18 % pour les fonds de fonds, selon les données de Strategic Insight.
Cinq ans plus tard, le renversement de situation était radical. En 2017, les FNB constituaient près de la moitié (47 %) des nouveaux produits. La proportion des FCP individuels glissait à 30 %, alors que la part des fonds de fonds augmentait à 23 %.
S’engouffrer dans la brèche
Quelques facteurs expliquent la chute du nombre de nouveaux FCP individuels.
«Les fonds communs couvrent déjà énormément de terrain, par exemple les catégories d’actif, les styles de gestion et les zones géographiques. En conséquence, le potentiel de création de nouveaux produits est plutôt limité», indique Normand Morin, directeur général de Excel Gestion Privée.
De plus, de grands manufacturiers de FCP ont récemment lancé leurs propres gammes de FNB, à l’image de Desjardins, Manuvie et Placements Mackenzie. Ce faisant, ils ont concentré beaucoup d’énergie à développer un nouveau secteur.
«Les ventes nettes en fonds communs sont plus difficiles à atteindre et on observe de l’engouement pour les FNB. Chez Desjardins, nous avons décidé d’entrer dans ce marché. En tant que manufacturier de fonds, il faut avoir un certain nombre de produits afin de couvrir les divers besoins des investisseurs», signale Sébastien Vallée, directeur principal Développement et Gestion des solutions de placement chez Desjardins.
Cet engouement pour les FNB s’est alimenté des fortes préoccupations des investisseurs et des épargnants envers les coûts, constate Jean Morissette.
«Jusqu’ici, le marché canadien des produits traditionnels d’investissement a plutôt résisté à la tendance à la baisse des frais. Les FNB se sont engouffrés dans cette brèche», dit ce consultant et ancien président de Services Financiers Partenaires Cartier.
Pour sa part, Mark Noble souligne l’intérêt grandissant des canaux de distribution envers les FNB.
«Les conseillers qui adoptent un modèle basé sur les honoraires ont tendance à se tourner vers les FNB afin de réduire les coûts d’investissement de leurs clients», signale le vice-président principal, Stratégies de vente chez FNB Horizons.
Mark Noble ajoute que cette tendance est davantage présente chez les conseillers de firmes inscrites auprès de l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM). «Ces firmes continuent, fermement, à évoluer vers la rémunération à honoraires», constate-t-il.
Des ventes supérieures
Entre 2012 et avril 2018, les ventes nettes de FNB ont totalisé 95,7 G$, comparativement à 36,8 G$ chez les FCP individuels. Autrement dit, pendant cette période d’un peu plus de six ans, les ventes nettes de FCP individuels n’ont représenté que 38 % de celles des FNB.
Les résultats de l’année 2017 illustrent également la grande force d’attraction des FNB. Les 25,8 G$ en ventes nettes des FNB représentent le double des 12,9 G$ en ventes nettes engrangées par les FCP individuels.
Entre 2012 et avril 2018, année après année, les ventes nettes des FNB sont demeurées en territoire positif.
«Pour des investisseurs, il est relativement facile d’avoir et de conserver des produits qui collent à des indices en progression, comme cela a été le cas lors des dernières années», évoque Marc Dubuc, représentant en épargne collective et ex-directeur principal Stratégie marketing et gestion de l’offre chez Desjardins.
Du côté des FCP individuels, seuls les fonds ayant moins de deux ans d’existence ont eu la faveur du public. Entre 2012 et avril 2018, ces jeunes fonds ont généré des ventes nettes positives de 68 G$. En revanche, pendant cette même période, les FCP individuels ayant plus de deux ans d’existence ont affiché des sorties nettes de 31,2 G$.
Jean Morissette constate qu’au royaume des FCP individuels, la nouveauté a une espérance de vie réduite.
«Plusieurs investisseurs recherchent activement les occasions qui fluctuent en fonction de divers facteurs tels que le style, le secteur et la région. Ce qui est en hausse à une certaine période donnée ne le sera plus au bout d’un certain temps. Les manufacturiers de fonds communs cherchent constamment à être présents au bon endroit, au bon moment», dit Jean Morissette.
Selon Sébastien Vallée, les changements prochains au Règlement 81-102 sur les fonds d’investissement introduiront une vague d’innovations qui touchera à la fois les FCP et les FNB : «De nouveaux fonds aux mandats alternatifs seront définitivement mis en marché».
Ces fonds alternatifs réussiront-ils à rejoindre les conseillers et les épargnants ? «Je ne crois pas qu’ils deviendront populaires en raison de la volatilité de leurs stratégies», estime Normand Morin, le patron d’Excel Gestion Privée.
Fin de la multiplication des FNB ?
Entre janvier 2017 et avril 2018, quelque 173 nouveaux FNB sont apparus sur le marché. Fin avril, Strategic Insight en dénombrait 599 au total.
Selon un haut dirigeant de FNB Horizons, on s’approcherait de la limite naturelle à l’extension de ce produit, compte tenu de la taille du marché canadien.
«Un FNB financièrement rentable doit capter entre 20 M$ et 50 M$ d’actif, et ce, en fonction du type de stratégie utilisée et du niveau des frais de gestion. Or, lever 50 M$ au Canada, c’est comme en lever dix fois plus aux États-Unis ! De plus, les manufacturiers américains de FNB ont facilement accès aux investisseurs d’ici qui leur ont confié plus de 35 G$ d’actif. Pour toutes ces raisons, je ne crois pas que le marché canadien puisse maintenir entre 700 et 1 000 FNB», estime Mark Noble, responsable des ventes de FNB Horizons.
Toutefois, ajoute-t-il, cela ne signifie pas que l’innovation tire à sa fin. Bien au contraire.
«De nouveaux entrants réussiront à attirer l’attention des investisseurs et des conseillers grâce à des produits innovateurs, mais il s’agira de l’exception plutôt que de la règle. L’industrie continuera de croître, mais cette croissance sera principalement captée par les dix plus grands manufacturiers de FNB», poursuit Mark Noble.
D’après ce connaisseur de l’industrie, les années de vaches grasses des lancements de produits avec plus de 175 nouveaux FNB par année seraient derrière nous.
«Je pense qu’au cours des trois prochaines années, il y aura de nombreuses fermetures parmi les FNB n’ayant pas suffisamment d’actifs», dit Mark Noble.
Fin des jours heureux
Dans l’esprit de Dan Hallett, vice-président et analyste de fonds chez High View Financial Group, nul doute, les fonds communs de placement devront continuer à affronter des vents contraires, provenant autant de la concurrence des FNB que de la réglementation.
«[Les fonds communs] étant un segment de marché beaucoup plus ancien que celui des FNB, leurs jours de forte croissance sont terminés. Les FCP continueront à croître, mais à un rythme plus modeste que par le passé», signale-t-il.
Directeur national, Pratique canadienne de la gestion d’actifs chez KPMG, James Loewen est co-auteur de l’étude «Canadian asset management industry opportunities & risk report» (KPMG, 2017). Il estime que les changements en matière de réglementation forceront les manufacturiers de fonds d’investissement à rationaliser leurs offres de produits.
De plus, «les préférences changeantes des clients et l’arrivée de perturbateurs de marché comme pourraient l’être certaines fintechs pousseront les manufacturiers de fonds à être plus innovants, comme c’est actuellement le cas aux États-Unis et en Europe», signale James Loewen.