Après des années d’incertitude quant à son avenir, Patrimoine Richardson a débuté un nouveau chapitre de son histoire en 2020. Devenue publique, elle se présente comme la plus importante société indépendante détenue par ses employés au sein du secteur canadien de la gestion de patrimoine.
« Cette transaction a été une bonne nouvelle et a enlevé l’épée de Damoclès qui se trouvait au-dessus de nos têtes, cette possibilité d’être rachetés qui nous empêchait toujours un peu d’aller de l’avant », explique Martin Boulianne, directeur de succursale, conseiller en placement (CP), et responsable des deux bureaux de Patrimoine Richardson au Québec, ainsi que de celui d’Ottawa.
La société a été au coeur de nombreuses rumeurs concernant ses présumés acquéreurs potentiels. Le Groupe Banque TD a même fait une offre préliminaire évaluée à 600M$, en 2016, qui n’a jamais abouti.
En 2019, GMP Capital, qui possède alors le tiers des parts de Richardson GMP, se départit de ses activités de marché de capitaux auprès de Stifel dans le but de se concentrer sur la gestion de patrimoine. GMP Capital propose au Groupe Financier Richardson, de Winnipeg, d’acquérir le bloc d’actions qu’il détient.
Richardson GMP est alors la pro priété de GMP Capital, du Groupe Financier Richardson et des CP de Richardson GMP, à raison d’un tiers des parts pour chacun.
Les négociations, bien que ralenties par la pandémie, se concluent en août 2020. GMP Capital est ensuite rebaptisée Capital RF et regroupe l’ensemble des activités de Richardson GMP. En octobre 2021, Capital RF possède 43,7% des parts, les conseillers 30,8%, et le public 25,5%.
Richardson GMP adopte le nom de Patrimoine Richardson en novembre 2020. Ce changement de dénomination repose sur la volonté de mettre l’accent «sur le nom Richardson et sa riche tradition dans le secteur des services financiers au Canada depuis 90 ans, par l’intermédiaire de Richardson Greenshields et plus tard, de Partenaires Financiers Richardson», explique Martin Boulianne.
Richardson GMP est issue de la fusion de GMP Gestion Privée et de Partenaires Financiers Richardson, en 2009.
Plusieurs conseillers et investisseurs s’ennuient de l’époque où des sociétés comme Burns Fry; Nesbitt, Thomson; Lévesque Beaubien Geoffrion; et McNeil, Mantha fleurissaient, et que leur nom résonnait dans l’industrie, affirme Martin Boulianne: « Pour nous, la puissance du nom Richardson est donc symbolique ».
Patrimoine Richardson veut être perçue comme « la destination de choix pour les investisseurs à la recherche d’un fournisseur de solutions de gestion de patrimoine intégrées, autre qu’une banque », ajoute-t-il.
Cette différenciation importe. Car, selon Martin Boulianne, pour bon nombre d’institutions financières, « la gestion de patrimoine n’est pas la priorité, car il peut s’avérer plus payant pour eux d’offrir d’autres services ». Il ajoute que ces institutions préfèrent parfois payer un représentant à salaire pour vendre des fonds communs de placement plutôt que de rémunérer un CP sous forme de commissions.
Cette tendance devrait mettre de la pression sur les CP liés à des courtiers détenus par des banques qui ne réalisent pas une grosse production. «Ils vont être poussés vers la retraite ou une association avec une autre équipe», ce qui constitue une occasion de recrutement pour les indépendants, selon Martin Boulianne.
Cette tendance serait d’ailleurs exacerbée par les nouvelles règles de connaissance du produit qui pousse certaines banques à rationaliser leur gamme de produits. Patrimoine Richardson n’a aucun problème avec ces exigences, d’après Martin Boulianne.
« Ça ne change rien pour nos conseillers, qui peuvent offrir ce qu’ils veulent. Nous avons aussi une équipe qui les aide à aller chercher des produits un peu plus sophistiqués, comme du private equity, car ça fait partie de notre ADN de pouvoir offrir de tels produits », dit-il.
Patrimoine Richardson, dont l’actif sous gestion (ASG) s’élevait à 34G$ au 30 juin 2021, sert principalement des familles et des entrepreneurs fortunés.
Ambitieuse, la société affiche ouvertement son objectif de «tripler [son] ASG et de le porter à 100 G$». C’est ce qu’a indiqué Kish Kapoor, président et chef de la direction de Groupe Capital RF (RF Capital), en marge du dévoilement d’une entente entre Patrimoine Richardson et Services de compensation Fidelity Canada (SCFC), en août 2021.
En vertu de cette entente, SCFC offre des services de garde, de compensation et de règlement des opérations à Patrimoine Richardson. « C’est ni plus ni moins que notre back-office », illustre Martin Boulianne. Cela permet aussi aux CP d’utiliser la plateforme uniFide de SCFC, qui donne accès à une gamme d’outils personnalisables destinés à améliorer l’expérience du conseiller et du client.
Les services de courtier chargé de comptes chez Patrimoine Richardson, qui incluent les services d’exécution des opérations, de compensation, de règlement et de garde, étaient auparavant soutenus à l’interne par une société soeur. Martin Boulianne se réjouit de ce partenariat, «qui ajoute une certaine forme de stabilité dans l’esprit des gens et nous permet d’avancer, alors que notre intention est maintenant de croître rapidement au Québec et dans le reste du Canada».
Ces dernières années, le courtier n’a pas échappé à l’attrition observée dans l’industrie, notamment causée par le recrutement de CP par des concurrents et les départs à la retraite. Au Québec, les activités de Patrimoine Richardson ont crû à un rythme plus lent que celui de ses concurrents. Au 30 septembre 2018,28 CP géraient un actif de 3,53 G$ par rapport à 26 CP qui en géraient un de 3,95 G$ à la même date de 2021. L’actif géré a ainsi connu un taux de croissance annuel composé (TCAC) de 3,9 % durant cette période. Par comparaison, l’actif recueilli au Québec par les sociétés de courtage en placement de détail en valeurs mobilières a progressé à un TCAC de 10,9 %, du 3e trimestre de 2018 au 2e trimestre en 2021, selon la Banque de données des statistiques officielles sur le Québec.
Or, les revenus découlant des activités d’assurance au Québec de Patrimoine Richardson ont connu une progression notable. Ils sont passés de 380000$ pour les 12 mois se terminant au 30 septembre 2018 à 647000$ pour la même période prenant fin au 30 septembre 2021, soit un TCAC de 19,4 %. Les revenus d’assurance représentaient ainsi 2 % de l’ensemble des revenus générés par les CP pour les 12 mois se terminant à la fin de septembre 2021, ce qui constitue le pourcentage moyen dans l’industrie.
Expérience porteuse
Martin Boulianne est natif de la région des Escoumins, sur la Haute-Côte-Nord. Quelques semaines avant ses 17 ans, il quitte son village d’environ 3 000 habitants pour aller étudier à Chicoutimi. Après ses études collégiales, il obtient son baccalauréat en administration des affaires de l’Université du Québec à Chicoutimi (1993).
Au fil du temps, Martin Boulianne se découvre un intérêt pour la finance. « J’aimais la comptabilité, mais je trouvais la finance plus intéressante. Je me suis ouvert très tôt un premier compte de courtage, puis j’ai aussi lancé un club de placements avec des amis et ma famille », explique-t-il.
Durant l’été 1994, il décide même de faire son cours sur le commerce des valeurs mobilières. Martin Boulianne obtient son titre de comptable agréé en 1995, mais son intérêt pour les valeurs mobilières ne cesse de croître. Cela le mène à la Bourse de Montréal en 1996. Il est embauché à titre de vérificateur/examinateur.
À cette époque, la Bourse de Montréal était un organisme d’autoréglementation à part entière, qui était responsable d’environ 25 courtiers en valeurs mobilières de plein exercice, explique Martin Boulianne.
Il s’agit d’un moment clé de sa carrière: « La Bourse m’a beaucoup aidé à comprendre comment fonctionne l’industrie du courtage, de l’intérieur. »
C’est là qu’il rencontre Jean Gosselin, qui était inspecteur en chef de la Bourse. En 2000, celui-ci est passé chez Canaccord Financial [devenue Canaccord Genuity Gestion de patrimoine depuis] et l’invite à joindre la firme. Martin Boulianne, qui avait quitté la Bourse pour un poste de directeur, dérivés, chez Fimat, une filiale de la Société générale, accepte l’invitation.
« Je suis entré comme directeur du crédit et de la conformité, en septembre 2000. Mon timing était parfait, car ce fut l’éclatement de la bulle technologique, alors disons que ça brassait pas mal », lance-t-il en riant.
Bien qu’il soit demeuré seulement trois ans chez Canaccord, Martin Boulianne en parle comme d’une période significative. Il y fait l’apprentissage du Programme d’immigration des investisseurs, qu’il supervisera par la suite chez ScotiaMcLeod. Aujourd’hui encore, les nouveaux Canadiens représentent 20% de sa clientèle.
En 2016, après plus de 13 ans chez ScotiaMcLeod, Martin Boulianne rejoint Patrimoine Richardson. « Je cherchais quelqu’un pour prendre la direction de la succursale de Montréal et de celle que nous voulions ouvrir à Pointe-Claire », explique Jean-Pierre Janson, qui était alors président de la division montréalaise de la société.
Les deux hommes se sont connus à l’époque où Jean-Pierre Janson était dirigeant chez CIBC Wood Gundy. « ScotiaMcLeod voulait alors se départir de certaines succursales au Québec et je les ai contactés afin d’en acquérir quelques-unes. Martin était alors mandaté par ScotiaMcLeod pour travailler avec nous sur ce dossier. »
Jean-Pierre Janson vante ses qualités humaines: « Il est terre-à-terre, il aime aider les autres, et il a une attitude parfaite pour bâtir et travailler en équipe ».
Comme dans le reste de l’industrie, le confinement de la population en raison de la COVID-19 a généré son lot de défis. « Toutes les équipes ont eu accès rapidement aux outils. On a fourni des portables à ceux qui n’en avaient pas. Encore aujourd’hui, la flexibilité est là », relate Martin Boulianne.
Selon lui, l’accueil virtuel de clients ionboarding) s’est bien passé « car on a pu faire des vérifications diligentes virtuellement. On avait déjà un peu d’avance pour la signature électronique et ça se passait déjà très bien ». Évidemment, la pandémie a retardé les activités du courtier, mais celui-ci s’y est adapté au fil du temps.
Bases solides
Aujourd’hui, Patrimoine Richardson compte environ 90 employés au Québec, « et on a un véritable engagement envers les conseillers d’ici », signale Martin Boulianne. Il évoque la présence d’une équipe « sur place », pour le soutien au conseiller, ce qui comprend des fonctions de conformité, de marketing, « et même une traductrice ».
Le conseil de Capital RF, composé de 10 membres, en compte également 3 originaires du Québec. Il s’agit de Nathalie Bernier, qui a été première vice-présidente, planification stratégique et d’affaires, et chef de la direction financière de l’Office d’investissement des régimes de pensions du secteur public (Investissements PSP), de Marc Dalpé, CP et gestionnaire de portefeuille, ainsi que de Vincent Duhamel, qui a notamment été président et chef de l’exploitation mondiale, chez Fiera Capital.
Patrimoine Richardson entend croître à la fois de manière organique, par le recrutement de conseillers de l’externe, et par des acquisitions ou des investissements stratégiques, « si les occasions se présentent ».
Il évoque l’accès à un crédit de 200 M$ qui pourra être mis à profit pour « recruter des conseillers de l’externe, mais aussi pour faire des transitions de books d’affaires ». Plusieurs vérifications diligentes se déroulent d’ailleurs présentement, affirme Martin Boulianne.
Il signale aussi l’ajout de nouvelles plateformes technologiques au cours des derniers mois, notamment en matière de planification financière. « Nous voulons outiller nos conseillers, car ça aide la croissance organique. Ces plateformes s’ajoutent à celles qui demeurent, par exemple NaviPlan ».
L’une de celles-ci, Envestnet, permettra notamment aux gestionnaires de portefeuille internes d’intégrer des comptes discrétionnaires tiers dans des portefeuilles mondiaux diversifiés, sans le fardeau administratif généralement associé à de telles intégrations.
« On se doit de bien traiter ses conseillers. On bâtit pour le long terme », résume Martin Boulianne.