L’assurance maladies graves pourrait-elle donner lieu à une éventuelle action collective, compte tenu du type de publicité qui lui est parfois associé et du manque de clarté de ses contrats ?
Certaines publicités laissent entendre que toutes les personnes ayant un cancer pourraient toucher cette assurance. «Que ferez-vous si vous avez un diagnostic de cancer ou êtes victime d’une crise cardiaque ? Pigerez-vous dans vos économies ?» signale l’une d’elles.
Or, il se trouve que les cancers et les crises cardiaques ne donnent pas automatiquement droit à des prestations d’assurance maladies graves. Les cancers et les crises cardiaques doivent mettre la vie en danger. Ainsi, un cancer pour lequel l’individu aurait de 30 % à 40 % de risques de mourir ne déclencherait pas automatiquement le versement de ces prestations, et la personne touchée pourrait alors devoir piger dans ses économies.
S’agissant peut-être d’une conséquence indirecte de cette mise en marché problématique, «le pourcentage de demandes de règlements payées varierait entre 78 % et 86 % selon les assureurs», relevait un récent article de Finance et Investissement.
De plus, les contrats d’assurance maladies graves sont difficiles à comprendre… même pour les conseillers. Plus tôt cette année, une émission de La Facture de Radio-Canada signalait que la réclamation d’un conseiller en sécurité financière avait été refusée par son assureur en dépit d’une crise cardiaque et d’une opération à coeur ouvert.
Ancien vice-président exécutif d’AXA Canada, maintenant consultant, Robert Landry met en relief l’impact juridique possible du type de formulation des contrats d’assurance maladies graves. «Il me semble que la justice donne de plus en plus raison aux consommateurs qui ne peuvent pas comprendre ce qu’ils signent, que les clauses de contrats soient valides ou non», dit-il.
Parallèlement, Robert Landry souligne la difficulté des assureurs à présenter une offre compréhensible pour le commun des mortels.
«Les contrats utilisent des termes médicaux très sophistiqués afin de définir les maladies graves qui déclencheront le remboursement des réclamations. Si les assureurs faisaient autrement, la formulation risquerait d’être tellement vague que les primes augmenteraient de façon démesurée», dit-il.
Afin d’en savoir davantage sur la possibilité théorique d’action collective, Finance et Investissement a cogné aux portes d’avocats spécialisés en assurance de personnes. Ces avocats ont tous décliné nos propositions d’entrevues. «Nous représentons les assureurs et nous serions en conflit d’intérêts si nous acceptions une entrevue sur ce thème», nous a dit l’un d’entre eux.
Lyne Duhaime, présidente de l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes au Québec (ACCAP-Québec), fait une mise en garde : «L’assurance maladies graves n’est pas un produit simple. Il ne convient pas à tout le monde. C’est un produit pour lequel on doit avoir des conseils pertinents», souligne-t-elle.
«Du chaud et du froid»
Depuis 15 ans, l’avocat Normand Painchaud pilote des actions collectives impliquant notamment des assureurs, des gestionnaires de fonds communs de placement et des banques. Il est associé de Sylvestre Painchaud et associés, un cabinet d’avocats expérimenté en actions collectives, droit civil et litiges. Il collabore également avec l’organisme Option consommateurs.
Invité à donner son opinion sur la possibilité d’une action collective à l’encontre d’assureurs offrant l’assurance maladies graves, Normand Painchaud signale que la situation présente du «chaud et du froid», allant dans un sens comme dans l’autre.
Ainsi, la Loi sur la protection du consommateur (LPC) peut être invoquée lorsque des publicités ou des représentations sont fausses ou trompeuses. L’omission d’un fait important est également interdite.
Supposons, par exemple, une publicité qui ne porterait que sur les probabilités d’avoir un cancer. Si cette publicité ne mentionnait pas que tous les cancers ne déclenchent pas le versement de prestations, elle omettrait alors un fait important. «Voilà qui donnerait certaines tractions à une éventuelle action collective», commente Normand Painchaud.
En revanche, ajoute l’avocat, la LPC stipule que les contrats d’assurance ne sont pas visés par l’impératif de la lisibilité. Mais ce n’est pas tout, car le Code civil prévoit, à l’article 14.36, que les contrats de consommation ou d’adhésion doivent être lisibles. «Le fait que des professionnels de l’assurance ne comprennent pas ces contrats, ou qu’ils doivent y consacrer beaucoup d’énergie, renforce l’idée de l’illisibilité», dit l’associé du cabinet Sylvestre Painchaud.
Faisant référence au point de vue de Robert Landry, Normand Painchaud exploite cette idée. «S’il est vrai que ces contrats doivent être définis avec une terminologie médicale allant au-delà de la compréhension des consommateurs dans le but de circonscrire le risque, est-ce alors un produit qui devrait exister ?» demande-t-il.
Normand Painchaud soulève un dernier élément : l’importance relative des réclamations refusées par les assureurs.
«Que représentent les 14 % à 22 % de demandes refusées ? Est-ce que cela se compare à d’autres produits comme l’assurance invalidité ? Est-ce que ces 14 % à 22 % de demandes refusées font de l’assurance maladies graves un produit donnant un avantage financier indu aux assureurs ? Si tel était le cas, cela donnerait une traction supplémentaire à une éventuelle action collective. Mais ces informations financières sont très difficiles à obtenir», explique-t-il.
À ce stade-ci, conclut Normand Painchaud, «il y a des probabilités de mener avec succès une action collective à l’encontre d’assureurs dans les circonstances décrites. Mais elles sont difficiles à quantifier sans de plus amples données .»