«Ce qui m’impressionne le plus chez Annie, c’est sa grande polyvalence», affirme Frederick Chenel, vice-président principal et chef des relations avec les consultants et développement des affaires, Marchés institutionnels chez Fiera Capital. «Elle a travaillé pour des agences de réglementation et des institutions financières, dans des postes de conformité et de direction financière. Elle a su exceller dans toutes ces fonctions grâce à son grand professionnalisme, son esprit entrepreneurial et sa bonne humeur contagieuse.»
Difficile effectivement de ne pas remarquer la diversité dans le parcours d’Annie Sinigagliese. De vérificatrice chez Arthur Andersen & Co. à un poste en conformité financière à l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM) en passant par les fonctions de chef de la direction financière de Brockhouse & Cooper pour devenir finalement directrice générale de l’Association canadienne du commerce des valeurs mobilières (ACCVM), Annie Sinigagliese est toujours à la recherche de nouveaux défis capables de la stimuler.
Le virus de la Bourse
Après un baccalauréat et un diplôme d’études supérieures spécialisées en comptabilité à l’Université du Québec à Montréal et deux ans de stage dans le domaine, Annie Sinigagliese se rend compte qu’elle n’a peut-être pas sa place dans un cabinet comptable.
«Je faisais des vérifications, notamment de machineries lourdes, et je n’étais pas très motivée, se souvient-elle. Mais à un moment, on m’a envoyée faire la vérification externe de Fimat, qui était à l’époque la filiale de courtage en produits dérivés de la Société Générale, et j’ai aimé ce que j’ai vu.»
Avide de continuer dans ce domaine tout en recherchant de nouvelles expériences, son titre de comptable professionnelle agréée en poche, elle se tourne vers la Bourse de Montréal, où elle est nommée inspectrice, finance et conformité.
«Le chef des inspections de la Bourse avait été contrôleur chez Fimat, donc je le connaissais. J’avais aimé l’aspect de vérification financière pour la firme de courtage, mais je voulais en apprendre plus. Là, il y avait aussi tout l’aspect de ce qu’il se passe dans une firme de courtage avec le client», déclare-t-elle.
Après quatre années à la Bourse de Montréal, elle passe à l’OCRCVM avec son équipe. Elle y reste toutefois peu de temps, car on lui demande de choisir entre le poste d’inspecteur financier et celui d’inspecteur de la conformité, un choix qu’elle se refuse à faire. «J’aimais vraiment les deux. Je trouvais que ça se combinait bien. Des fois, on apprenait des trucs du côté financier qui montraient des faiblesses du côté conformité, et vice-versa», explique-t-elle.
Une élève motivée
Tout au long de sa carrière, Annie Sinigagliese n’a pas hésité à relever les défis qui s’offraient à elle. Et lorsqu’elle sent qu’elle n’a plus rien à apprendre, elle change de poste, voire d’employeur.
Dans son poste actuel à l’ACCVM, elle affectionne particulièrement le fait de ne jamais se sentir dans une position confortable et d’être toujours en processus d’apprentissage. «Je suis en formation continuelle et j’adore ça ! Dans mon travail, je ne peux jamais dire que j’en connais assez et que c’est fini, sinon je vais être dépassée. Mon poste exige de toujours apprendre et d’être à l’écoute de ce qu’il se passe.»
En juillet 2005, comme elle juge avoir fait le tour de son travail à l’OCRCVM, elle décide de retourner à la Bourse de Montréal en acceptant le poste d’enquêteur, négociation de produits dérivés.
«C’était complètement nouveau pour moi. Je devais écouter les enregistrements des négociateurs, qui avaient un vocabulaire très spécifique. J’ai dû me faire aider, parce que c’était très technique», dit-elle en souriant.
Elle suit donc un cours de négociation au Canadian Securities Institute et entre en relation avec le Service des opérations de marché de la Bourse, où les employés répondent volontiers à ses questions.
«J’ai eu la chance dans ma carrière de pouvoir compter sur des gens qui répondaient à mes questions, car j’en posais toujours beaucoup», plaisante la directrice générale de l’ACCVM.
Un tournant majeur
Après deux ans à la Bourse de Montréal, Annie Sinigagliese reçoit un appel d’un chasseur de têtes. Il cherche à pourvoir un poste de directeur des finances dans une firme de courtage qu’il ne nomme pas. Elle refuse deux fois la proposition, ne se doutant pas qu’il s’agit d’une occasion qu’elle décrit aujourd’hui comme l’un des moments déterminants de sa carrière.
Lors d’un cocktail, Brockhouse & Cooper, la société qui cherche à l’engager, interroge une de ses collègues pour tenter de comprendre ces refus. Lorsqu’elle apprend qui est à l’origine de l’offre, Annie Sinigagliese appelle immédiatement la firme pour passer l’entrevue.
«C’était le client que j’adorais aller vérifier. Lorsqu’on est vérificateur, on n’est pas nécessairement le bienvenu, mais chez Brockhouse & Cooper on se sentait accepté», explique-t-elle.
Elle commence donc à travailler pour eux en 2007 à titre de directrice, finance et conformité. «J’avais l’impression d’être à ma place dans cet environnement. On était une petite firme, mais on faisait de grandes choses», dit-elle avec enthousiasme. Elle y occupe plusieurs postes et travaille notamment pour les bureaux de Montréal et de Boston jusqu’à la fin de l’année 2014, moment où elle décide de relever d’autres défis.
Son ancien patron, Howard Messias, se souvient d’elle comme d’une personne qui gardait la tête froide et restait stratégique même dans les moments les plus difficiles. «Elle a toujours réussi à désamorcer les tensions. Un joueur d’équipe incroyable, authentique, intelligent et drôle», commente-t-il.
Représenter l’industrie
En 2015, Annie Sinigagliese reçoit un appel d’Ian Russell, président et chef de la direction de l’ACCVM, qui lui déclare que son nom revient souvent dans l’industrie. Elle décide donc de passer une entrevue et est rapidement recrutée pour représenter l’Association au Québec.
«Je crois que la vie t’amène où il faut que tu sois. Je n’ai jamais eu de plan de carrière, mais j’ai toujours eu beaucoup d’occasions», souligne Annie Sinigagliese.
Dans son poste actuel, elle a la responsabilité des enjeux québécois, mais elle dirige aussi certains comités nationaux, dont celui des produits dérivés, du courtage en ligne et des technologies. En tout, l’ACCVM compte 119 firmes membres, dont une vingtaine au Québec, et chapeaute 19 comités ainsi que près de 40 groupes de travail.
Si elle craignait au départ d’obtenir difficilement des consensus dans les comités qu’elle dirige, Annie Sinigagliese affirme que la réalité est tout autre. «Les petites et les grandes firmes se comprennent, car en fin de compte, c’est la même réalité. Il n’y a pas vraiment de concurrence quand vient le moment de s’asseoir à une table de comité de notre association», souligne-t-elle. Elle-même n’est d’ailleurs jamais en désaccord avec l’industrie.
Selon elle, les régulateurs et le gouvernement sont globalement ouverts aux problèmes de l’industrie. Elle indique par exemple avoir d’excellentes relations avec Claudyne Bienvenu, vice-présidente pour le Québec et l’Atlantique de l’OCRCVM. «On est en mesure d’avoir des conversations transparentes. Dans la plupart des cas, on est du même avis. Lorsque ce n’est pas le cas, on parvient à comprendre qu’on ne se comprend pas. J’ai un respect énorme pour Claudyne Bienvenu», soutient-elle.
Le respect est visiblement mutuel. «Annie est une personne dynamique que rien n’arrête, décrit Claudyne Bienvenu. Nous nous sommes rencontrées à l’aéroport quelques semaines après sa nomination au poste de directrice de l’ACCVM. J’ai retrouvé cette femme déterminée avec des projets plein la tête et des idées sur les multiples dossiers qui étaient en cours à l’ACCVM et chez les régulateurs.»
«À ce jour, son implication est à la hauteur des projections dont elle m’avait fait part. Il faut être forte pour mener à bien son mandat. D’autant qu’Annie occupe seule ses fonctions au Québec !» ajoute Claudyne Bienvenu.
Croire aux technologies
«Quand mon patron m’a confié la responsabilité des comités et des questions technologiques, je lui ai dit qu’il avait choisi la mauvaise personne», se souvient Annie Sinigagliese.
Pour être à la hauteur, la représentante du Québec, qui semble maintenant tout à fait dans son élément lorsqu’elle parle de technologie, a suivi différents programmes de certification, notamment sur la chaîne de blocs (blockchain) et sur l’intelligence artificielle.
Elle admet que, malgré les formations, tout n’a pas été simple. Selon elle, le principal défi était que, au départ, les membres voyaient les technologies comme «des forces quasiment destructrices». Avec le temps, elle a toutefois réussi à démontrer que les technologies apportent une véritable plus-value aux clients.
Convaincue que la solution pour réglementer et comprendre ces technologies repose sur la réunion des connaissances et des compétences différentes autour d’une table, elle s’efforce d’aider ses membres à comprendre ce qu’il se passe actuellement et les bénéfices de la technologie.
Elle prévoit qu’au cours des prochaines années, l’intelligence artificielle, la chaîne de blocs et l’accès à une multitude de données entraîneront beaucoup de changements.
Selon elle, l’évolution de l’industrie repose beaucoup sur une question d’argent. Récemment, elle a communiqué avec le ministère des Finances du Québec afin de savoir comment l’industrie pourrait les aider. Un dialogue s’est donc amorcé. « On nous demande ce que nous pouvons faire en tant qu’industrie pour aider l’économie québécoise», explique Annie Sinigagliese.
Si l’Association a laissé carte blanche au ministère quant à l’ordre du jour, elle espère toutefois que certains sujets seront abordés, notamment celui des prospectus, pour discuter de l’accès des investisseurs québécois à certaines émissions.
Elle s’attend aussi à parler du Programme des gestionnaires en émergence du Québec (PGEQ). Selon elle, il serait possible d’aider ces gestionnaires en leur donnant, par exemple, accès aux plateformes de leurs firmes membres de façon avantageuse. Elle espère aussi qu’on se penchera sur la simplification de la structure de réglementation au Canada, afin que celle-ci reste efficace, mais que son application soit plus simple et moins coûteuse.