Choisir d’investir dans un fonds commun de placement constitué en société par actions (FCPS), aussi désigné comme un fonds en catégorie de société, peut aider un client qui vient tout juste de se marier sans contrat de mariage notarié et qui souhaiterait garder le contrôle sur la valeur de ce fonds.
C’est ce qu’a indiqué l’avocat et planificateur financier Serge Lessard, vice-président adjoint du Service de fiscalité, retraite et planification successorale chez Investissements Manuvie, à l’occasion du congrès de l’Association de planification fiscale et financière (APFF), en octobre dernier. Cette situation s’explique par les aspects légaux des FCPS, qui sont différents de ceux des fonds communs de placement constitués en fiducie (FCPF), et par les effets du mariage prévus dans le Code civil du Québec.
Ainsi, la société d’acquêts est le régime matrimonial par défaut au Québec depuis le 1er juillet 1970. Elle s’applique à tous les époux mariés depuis cette date qui n’ont pas déterminé de régime matrimonial dans un contrat de mariage notarié.
Dans ce régime, les biens et les dettes que chacun des époux possédait avant le mariage sont des biens propres. Ces derniers ne sont pas partagés à la fin du régime, comme lors d’un divorce, et l’époux qui les possède en garde le contrôle. Il peut disposer à sa guise de son bien, par exemple en le donnant à un tiers ou à une fiducie sans devoir obtenir le consentement de son conjoint.
Or, les fruits et revenus de ces biens propres pendant le mariage, dont les revenus de placement, font partie des biens acquêts. Et leur valeur peut être partagée à la fin du régime.
Que faire si un client qui détenait 100 000 $ dans un fonds commun avant de se marier souhaite en garder le contrôle, c’est-à-dire que ce fonds reste un bien propre ? Réponse : qu’il l’investisse dans un FCPS ou dans un contrat de fonds distinct, estime Serge Lessard. Voici les explications qu’il a fournies au congrès de l’APFF.
«La croissance de la valeur des parts d’un fonds commun de placement ne fait pas partie des « fruits et revenus », ni les distributions de gain en capital, mais le reste des distributions d’autre nature, comme les intérêts, les dividendes canadiens et les dividendes étrangers, vont être normalement des revenus, donc des acquêts», a-t-il expliqué.
Le problème est qu’il est difficile de retrouver la trace de chacun des types de distributions reçues durant le mariage, dans le but de départager les distributions de biens acquêts et celles de biens propres. C’est d’autant plus vrai lorsqu’on sait qu’un client va souvent réinvestir ses distributions afin de racheter de nouvelles parts du même fonds, si bien que certaines parts seront achetées avec des propres et d’autres avec des acquêts.
«Je ne sais pas si vous réalisez le spaghetti que vous allez avoir, a illustré Serge Lessard. Imaginez-vous le traçage de tout cela. En pratique, c’est presque impossible de retrouver ce qui est un propre et un acquêt sur une longue période.» Or, dans le régime de la société d’acquêts, les biens que l’on est incapable de prouver qu’ils sont propres sont par défaut des acquêts partageables entre les époux.
C’est ici que l’utilisation de FCPS peut devenir intéressante, selon Serge Lessard. Revenons à notre cas d’un client qui possédait 100 000 $ avant de se marier. Supposons qu’il les investisse dans un FCPS d’actions étrangères. Il détient alors des actions d’une société par actions canadienne qui, juridiquement, ne peut pas verser d’intérêt ni de dividende étranger.
«Si vous n’avez pas acheté un fonds d’actions canadiennes, vous n’aurez pas ou presque pas de distributions de dividende canadien. Il reste à recevoir juste du gain en capital par un dividende sur gain en capital [case 18 du feuillet T5]. Donc, dans un fonds en catégorie, toutes les distributions qui normalement seraient des acquêts, vous ne les aurez pas. Résultat, vous ne recevez que ce qui va rester un bien propre», a expliqué Serge Lessard.
Dans un tel cas, le FCPS serait un bien totalement propre durant la durée du mariage, y compris sa croissance et ses distributions. «Et ça s’applique même dans le cas d’un REER. On n’achète normalement pas un fonds en catégorie dans un REER, parce que ce n’est pas nécessairement utile de le faire pour des raisons fiscales, mais dans ce cas, ça peut être utile de le faire.»
Exemple éloquent
Dans sa présentation, Serge Lessard a comparé deux scénarios analogues, sans tenir compte de la fiscalité, dans lesquels un client possède 100 000 $ avant de se marier et les investit dans un fonds commun durant 25 ans à un rendement annuel composé de 5 %. Dans les deux cas, son pécule vaut 338 635 $ à la fin de cette période.
Dans le premier scénario, le client investit dans un FCPF pour lequel le rendement se décline ainsi : les parts de son fonds connaissent un rendement annuel de 1 %, les distributions de gain en capital, un rendement de 1 %, et les autres types de distributions, un rendement de 3 %. Au bout de 25 ans, la valeur totale des parts considérées comme des acquêts est de 210 392 $, soit 62,1 % de l’ensemble de la valeur des parts, selon les calculs de l’avocat. D’après ces derniers et compte tenu des récompenses entre les masses acquêts et propres, la valeur de la dette en faveur du conjoint s’établira à 87 287 $ si le divorce survenait au bout de cette période.
Dans le deuxième scénario, le client investit dans un FCPS. Le rendement se répartit ainsi : croissance des parts de 4 % et distribution de gains en capital de 1 %. Aucune distribution n’est considérée comme un acquêt. Résultat, après 25 ans, la totalité du pécule est restée un bien propre et aucune récompense n’est due entre les masses acquêts et propres. Ainsi, la valeur de la dette en faveur du conjoint est nulle.
«Je garde alors 100 % du contrôle du bien, ce qui fait que je peux en faire don», a noté Serge Lessard. Des fois, on propose des stratégies de dons de titres cotés en Bourse pour des raisons fiscales. C’est bien, sauf que si je veux faire ce don à partir d’un acquêt, je n’ai pas le droit de le faire sans le consentement de mon conjoint.»
Fonds distincts aussi utiles
Une autre catégorie de produits peut procurer des avantages similaires aux FCPS dans le même genre de cas. Ce sont les contrats de fonds distincts, d’après l’interprétation de Serge Lessard. Selon lui, ces fonds sont juridiquement des contrats de rente.
Les revenus générés par l’assureur avec le capital ne sont pas des fruits et des revenus, et donc ne seraient pas des acquêts, d’après Serge Lessard : «Ce ne sont pas vos fruits et revenus, ce sont les fruits et revenus de l’assureur. Ceux-ci vont faire augmenter la valeur des unités de fonds distincts plutôt que d’être distribués. Cela fera augmenter le montant sur lequel on va effectuer le calcul du versement de rente futur. [En clair], un contrat de fonds distincts ne distribue jamais tant qu’il n’est pas dans sa période de service de la rente.»
Même s’il n’y a pas de distribution ni de revenus au sens juridique qui proviennent du contrat de fonds distincts, le client devra «quand même payer l’imposition et on va lui envoyer un feuillet T3».
Selon Serge Lessard, les droits issus du mariage et qui se rapportent aux contrats de fonds distincts sont similaires à ceux qui touchent les droits ou avantages d’un régime de retraite.
«C’est comme un fonds de pension propre : la croissance de valeur du fonds de pension propre se retrouve à rester propre si aucun acquêt n’y est déposé, dit-il. Un fonds distinct pourrait probablement rester un propre, même s’il n’y a pas eu de décision d’un tribunal là-dessus.»